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DIAL 2358

HAÏTI - À l’approche des élections. Imbroglio, précarités et démocratie

Gilles Danroc

mercredi 1er mars 2000, mis en ligne par Dial

Le 19 mars doivent avoir lieu en Haïti les élections législatives et municipales. La situation générale de ce pays est particulièrement confuse et souvent difficile à saisir. Un bref tableau, qui dégage en différents domaines les traits majeurs de cette « démocratie balbutiante », nous est présenté dans l’article suivant de notre correspondant Gilles Danroc.


En mars prochain est prévu le premier tour des élections locales et nationales d’Haïti à l’exception des élections présidentielles fin 2000. Mais rien n’est clair ni assuré dans ce processus électoral au point que beaucoup se demandent si elles auront lieu. Pendant ce temps la pression internationale s’intensifie : si les élections largement financées par les pays amis et les instances internationales n’ont pas lieu, alors l’aide sera coupée. Crise promise donc, mais Haïti est habituée à une crise qui dure depuis le 7 février 1986 (départ du dictateur Jean-Claude Duvalier) jusqu’à nos jours, malgré des victoires électorales et politiques importantes comme :

 le vote massif pour la Constitution de 1987,

 les élections honnêtes du 16 décembre 1990 qui ont porté au pouvoir le président J-B. Aristide,

 son retour au pouvoir en Haïti en octobre 1994 après trois longues années de violence après le coup d’État du général Raoul Cédras en septembre 1991.

Le bilan, somme toute, est maigre car cette percée démocratique n’a pas été assise dans les faits et n’a pas fait naître un véritable changement de comportement ni entraîné le développement d’une culture démocratique. De 1994 à nos jours, nous assistons à un curieux mélange de pouvoir autoritaire - qui se passe de tous les intermédiaires : société civile, décentralisation, voire partis politiques réduits à l’aura d’un leader - et d’anarchie. Cette dernière se comprend comme l’impossibilité du pouvoir central à gouverner sans intermédiaires structurels. La pagaille, l’incurie des services publics, la corruption et le népotisme s’en donnent à cœur joie au point de saper durablement la toute jeune démocratie balbutiante. À cet égard l’effritement depuis des années du secteur démocratique et les divisions structurelles du parti « Lavalas » de J.B. Aristide, ou plutôt l’impossibilité de ce courant à se structurer en parti politique moderne, expliquent le flou actuel de la politique comme le désarroi de la population. Celle-ci a beaucoup espéré le 16 décembre 1990, puis a subi la terrible violence du coup d’État militaire puis l’anarchie politique et la corruption au point de ne voir aucune amélioration de son sort.

L’économie est au plus bas et le raidissement nationaliste démagogique du pouvoir n’empêche pas son extrême dépendance des bailleurs de fonds. Du reste on assiste ces dernières années à une déresponsabilisation générale : pour les intellectuels de gauche qui ont rêvé d’une révolution aristidienne, sorte de victoire de la « théologie de la libération », tout est le fruit de la CIA et de la politique US.

Ces intellectuels qui ont déserté le terrain à la première menace se sont coupés du peuple laissé seul face à la répression et à l’accroissement de la misère. Ils ont tout intérêt à justifier leur démission en se défaussant sur les USA. Bien sûr quelques nobles figures d’intellectuels courageux, attentifs aux revendications et aux souffrances du peuple haïtien ainsi que quelques gens d’Église de plus en plus isolés et des militants de base sont l’exception qui confirme la règle...

La classe politique au pouvoir ou en quête de prise de pouvoir lors des prochaines élections annonce d’avance son impuisance à résoudre des problèmes comme la violence et l’insécurité, l’éducation ou la santé pour tous ou encore la justice effective pour tous, principale revendication du peuple haïtien.

Le délabrement de l’économie sert de prétexte à ne rien faire. Les « pays amis » (USA, Europe) se retirent derrière l’échec de l’institutionnalisation de la démocratie et le déficit d’avancée vers l’État de droit pour réduire leurs aides. L’opinion internationale porte ailleurs son information et son intérêt. Haïti n’intéresse presque plus personne.

Pourtant, sur place, dans la confusion générale, certains courants de la société civile ou des éléments de la classe politique élaborent une critique de plus en plus précise devant la menace d’un pouvoir néopopuliste autoritaire concentré entre les mains de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide et son entourage. Là se sont nouées des alliances peu compréhensibles avec des éléments de l’armée d’Haïti comme Fourel Célestin, candidat au Sénat pour « Lafanmi Lavalas » à Jacmel, Josef Medard, candidat dans l’Artibonite et Dany Toussaint à l’Ouest - ou avec certains milieux d’affaires. Les rumeurs vont bon train sur fond de corruption non maîtrisée de l’État et des institutions de la République.

La valse des commissaires du gouvernement, les procureurs du parquet révoqués pour corruption, enrichissement illicite ou collusion avec les milieux de la drogue augmentent le malaise général et jettent le discrédit sur un pouvoir confiné à l’impuissance. Ce sentiment d’impuissance et la déresponsabilisation de la classe moyenne favorisent cette démobilisation politique qui est observée malgré l’engouement de la population pour s’inscrire sur les listes électorales et recevoir une carte plastifiée avec photo, grande première en Haïti. Personne n’est sûr de rien : les élections auront-elles lieu ? Seront-elles crédibles et participatives ? L’an 2000 reste une année capitale pour l’avenir, compromis ces dernières années, de la démocratie en Haïti...

 


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2358.
 Traduction Dial.
 Source : Gilles Danroc, mars 2000.
 
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