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VENEZUELA - Le panthéon des rebelles

José Roberto Duque

mercredi 17 avril 2013, mis en ligne par Thierry Deronne

« Je n’ai pas pu te dresser de monument de marbre aux inscriptions de couleur. »
Tite Curet Alonso

Les maisons où a vécu Hugo à Sabaneta et à Barinas révèlent une chose tellement répétée qu’on semblerait l’oublier : le trait essentiel qui a forgé ce caractère, c’est la pauvreté. Pauvres maisons. Pauvres écoles, champs, rues d’une enfance. Il était pauvre et son langage était simple quand il cessait de se moquer de l’Empire pour dialoguer avec nous, d’où cette manie des mauvaises blagues alors que le protocole lui commandait la modération et le respect. « Pourquoi tu ne te tais pas ? » lui lança un jour le roi Juan Carlos lors d’un sommet ibéro-américain. Parce que mon peuple est volubile, vieil imbécile, et que je suis fils de mon peuple.

En parlant d’hommages, il s’est produit il y a peu de temps quelque chose de significatif au sujet des symboles culturels que les conventions bourgeoises considèrent comme dignes de prix et de sanctifications. Le Venezuela au complet a célébré le décret de l’UNESCO sacrant Patrimoine Immatériel de l’Humanité les « Diables dansants du Venezuela ». Presque TOUS les diables dansants du Venezuela. J’ignore si ce fut le fait des proposeurs ou des décerneurs, toujours est-il que quelqu’un a écarté du lot les diables de San Hipólito. Qu’est-ce que cela à voir avec Chávez ? Beaucoup. Symboliquement, géographiquement, celui qui se rend à San Hipólito comprendra mieux Chávez et la Venezuela chaviste.

Les Diables Dansants de San Hipólito naquirent en 1810 ; ils sont, d’ailleurs, les plus anciens du Venezuela. La différence avec les diables primés est qu’alors que ces derniers possèdent un substrat catholique comme le reflète leur cérémonie (ce sont des diables soumis : ils descendent dans la rue, chantent, font la fête, mais quand le curé leur dit d’arrêter ils se vautrent, posent la tête au sol et la fête prend fin), ceux de San Hipólito en revanche sont des marrons, des esclaves en fuite, qui ne se prosternent devant personne. Leur rituel est simple, populacier et plus ou moins chaotique. Il célèbre la fête du peuple par-dessus toute idée de soumission et de genuflexion propre aux religions. Les diables arrivent sur les lieux de la fête en criant, en rameutant les gens ; démarre un rythme de « polka » (danse) qu’accompagnent quelques dévots en tissant un arbre à la manière du rite du « sebucán ». La fête se déploie avec le merengue paysan et le joropo résonne ensuite, presque toujours avec le « seis por derecho », la « periquera » et le « pajarillo ».

Comme il n’y a pas d’autorité religieuse pour interdire la bagarre ou le lancer de bouteilles en pleine euphorie collective, les figures des Grands Diable et Diablesse se chargent de mettre de l’ordre, armés d’un fouet. L’ivrogne qui se lâche ou qui tente de violer la cérémonie reçoit son coup de fouet, et ainsi la discipline se maintient, autogérée et sans police, le châtiment étant vécu plus comme une blague que comme un acte de répression. Bien que la date centrale de la célébration soit le 24 juin, le jour de la Saint Jean, l’autre clef de ces diables est qu’ils se rendent partout où on les invite, à tout moment de l’année, dans tout le pays.

Les Diables de San Hipólito sont adorés par le peuple, parce qu’ils sont l’expression du peuple et détestés ou regardés avec méfiance par la bourgeoisie (c’est pourquoi on ne leur a pas donné le prix qu’octroie la vision hégémonique de « Culture » dans le monde).

Les Diables de San Hipólito sont des ex-esclaves, des marrons, des rebelles, populaciers et incontrôlables par la bourgeoisie, qui échappent aux règles établies.

Les Diables de San Hipólito ne seront jamais l’objet d’hommages bourgeois parce que leur seule existence est un crachat à la face des amidonnés, des faux, des domestiques, des soumis et des cireurs de pompe.

Les Diables de San Hipólito sont nés sur l’axe San Hipólito-Los Rastrojos, une série de terres et de hameaux aux alentours de Sabaneta de Barinas.

Le camarade Hugo Chávez est né dans une des terres de Los Rastrojos. C’est là que Mamá Rosa lui a enseigné les clefs du courage et de la dignité. Ce petit village mérite d’être reconnu comme berceau de la rébellion américaine.

Alors, nous enfermons Chávez dans un Panthéon européen ou bourgeois, ou nous lui offrons le hamac dans la plaine qui l’a vu naître et se convertir en légende, là, dans le berceau de sa rébellion ?


Texte intégral (espagnol) : http://www.tracciondesangre.blogspot.com/2013/03/el-panteon-de-los-rebeldes.html

Traduction : Thierry Deronne

Première publication : http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/03/15/le-cimetiere-des-rebelles-par-jose-roberto-duque/

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