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DIAL 2514

BRÉSIL - la situation actuelle du pays. Une déclaration de la Conférence nationale des évêques

vendredi 16 novembre 2001, par Dial

Dans une Déclaration sur l’actualité du pays faite à l’occasion de leur Assemblée générale annuelle du mois de juin 2001, les évêques brésiliens ont fait connaître leur vision de la situation actuelle du pays : ils relèvent des motifs de crainte mais aussi d’espérance. Ils prennent fermement position sur un certain nombre de points chauds, tels que la corruption, la menace que fait peser l’Association de libre commerce de l’Amérique (ALCA), les effets négatifs de la mondialisation. Ils mettent parallèlement en valeur la « solidarité fraternelle du pauvre », l’intérêt des associations communautaires et le Forum social mondial qui s’est tenu à Porto Alegre au début de cette année [1].


(...)

Craintes

Nous ressentons de vives préoccupations en voyant comment la presse présente aujourd’hui généralement notre pays, avec son cortège de graves difficultés.

À l’exemple du prophète Jérémie, nous dénonçons la violence et la faim, dans les campagnes et dans les villes (Jr 14,18). Nous sommes solidaires de notre peuple dans ses souffrances et ses espoirs, surtout dans la région semi-aride qui connaît actuellement encore une fois une grande sécheresse, aggravée par l’incurie des gouvernants et le manque de volonté politique pour des réformes structurelles.

En dépit de l’amélioration de certains indices économiques, les injustes inégalités sociales demeurent, comme en témoigne le récent sondage national sur un échantillon de foyers et d’autres études. Selon la Fondation Getúlio Vargas, le nombre de pauvres au Brésil atteint 50 millions, soit 20 % de la population. Les privilèges et les pratiques qui perpétuent les structures injustes de la société n’ont pas disparu.

La corruption se répand de plus en plus, agressant la conscience du peuple par l’usage du mensonge. Elle conduit au discrédit des institutions. Elle n’a pas encore été combattue efficacement et elle est toujours encouragée par l’impunité.

L’accroissement de l’insécurité lié à la recrudescence de la criminalité, la difficulté de trouver un emploi, surtout pour les jeunes, ou la crainte de le perdre, l’insuffisance des salaires et l’incertitude sur les orientations du pays produisent l’angoisse.

L’augmentation de la violence est sans doute le fruit du désespoir de beaucoup de gens, mais elle est aussi une réaction devant l’impunité et une conséquence des injustices qui existent dans notre société et du manque d’énergie pour les combattre.

Demeure toujours le mépris envers les populations indigènes qui réclament une juste délimitation de leurs terres. L’impasse dans laquelle s’enlise la réforme agraire fait apparaître la nécessité d’établir une limite maxima aux propriétés rurales, ainsi que le propose une campagne nationale à laquelle nous nous sommes associés. L’agriculture familiale a besoin d’un juste soutien qui permette de mettre un terme à l’exode rural vers les périphéries urbaines et les bidonvilles.

Nous sommes préoccupés par l’augmentation effrayante de la dette du Brésil, aussi bien extérieure qu’intérieure. Elle limite l’action du gouvernement, soumet l’économie du pays aux intérêts spéculatifs, et fait échec aux politiques publiques qui traitent des besoins essentiels de la population, stérilise les investissements indispensables et affaiblit gravement des secteurs économiques entiers.

La crise énergétique qui a éveillé dans le peuple une réaction salutaire d’austérité, a renforcé les doutes sur la politique des privatisations et commence à avoir de graves conséquences sur le niveau de l’emploi et l’activité économique, en minant la confiance envers l’administration publique.

L’Amazonie, dans sa complexité, du point de vue de sa biodiversité et de son importance géopolitique, devient un problème national qui doit être assumé par tous avec sérieux.

Nous sommes aussi préoccupés par la situation des prisons, où nos frères et nos sœurs se voient placés dans des conditions inhumaines qui font obstacle à leur réadaptation et leur réinsertion dans la société. À ce sujet, nous nous opposons aux tentatives en cours pour abaisser l’âge pénal chez les délinquants adolescents, car nous estimons que ce n’est pas la mesure adéquate pour la solution des problèmes actuels. Nous sommes aussi soucieux devant la vague croissante du crime organisé, défiant ouvertement l’ordre politique et social.

La Campagne de la fraternité de cette année nous a alertés sur le danger des drogues, elle a montré la nécessité d’une action soutenue et organisée en faveur des toxicomanes, et elle a recommandé l’élaboration d’une pastorale de la sobriété dans nos communautés.

Perspective

Il est urgent de concevoir un projet de développement national qui mobilise la population et qui mette en valeur les potentialités de notre pays, pour qu’elles soient utilisées avec discernement et responsabilité, en cherchant à réaliser l’intégration solidaire du Brésil dans le contexte mondial, en accord avec l’esprit de fraternité qui fait partie de notre tradition chrétienne.

Pour qu’un tel projet soit viable, il est indispensable de pouvoir compter sur les instruments nécessaires pour sa mise en œuvre. Dans ce cadre, nous jugeons urgent d’évaluer les résultats des privatisations et de revoir leur programme, en cherchant à préserver le caractère public des activités qui concernent les droits des citoyens, et en s’attachant à ce que tous les secteurs de la société contribuent au véritable développement du pays et au bien commun du peuple brésilien.

L’heure est venue d’un combat décisif contre la corruption. Celle-ci perdure et nous oblige à chercher les racines historiques de la perversité culturelle qui a permis que la corruption s’installe au Brésil. Elle se nourrit de l’impunité, protégée par la connivence, qui devient complicité. Elle est entretenue par les corporatismes historiques, habitués à utiliser au profit d’intérêts particuliers les structures du pouvoir public, que ce soit celles de l’exécutif, du judiciaire ou encore du législatif, ou de toutes les instances publiques. Il est contraire à l’éthique de favoriser, par sectarisme politique, ou par esprit de corps, l’erreur de celui qui porte préjudice au bien commun. Nous appelons toutes les institutions de notre société à revoir leurs pratiques, pour que soit déclenché un grand sursaut national afin d’éradiquer la plaie de la corruption qui corrompt l’exercice de la démocratie.

Nous faisons nôtres les craintes qui s’accumulent dans le monde devant les orientations perverses du processus actuel de mondialisation, qui veulent sacrifier l’existence de la majorité de l’humanité aux intérêts égoïstes de quelques-uns.

Dans cette perspective, nous estimons qu’il est urgent de dénoncer la menace que fait peser sur notre continent la proposition de l’Association de libre commerce de l’Amérique (ALCA). Nous appuyons la résistance du gouvernement brésilien, et, au nom de la vie et de la dignité de nos peuples, nous rejetons avec véhémence cet instrument de domination qui nous est imposé, qui ignore les objectifs sociaux de l’économie, réduit les personnes à n’être que des consommateurs, ne respecte pas les différences culturelles, s’intéresse seulement à l’expansion du marché et dédaigne entièrement les inégalités sociales et la concentration des revenus qui sont devenues les caractéristiques douloureuses du Brésil et de l’Amérique latine.

La parole du Pape nous encourage à réaffirmer que « la foi ne peut pas laisser les chrétiens indifférents devant ces questions d’importance mondiale. Elle les incite à interpeller dans un esprit constructif, les responsables de la politique et de l’économie, en exigeant que le processus actuel de mondialisation soit fermement maîtrisé par les raisons du bien commun des citoyens du monde entier, sur le fondement des exigences incontournables de la justice et de la solidarité » (Prière de l’Angélus du 8 juillet 2001, Osservatore Romano, 9 juillet 2001.

Espérances

Nous voudrions partager avec tous « l’espérance qui ne trompe pas » (Rm 5,5) ; elle nous vient du Dieu de la vie, Seigneur de l’histoire.

En premier lieu, nous sommes encouragés par l’exemple des gens simples qui, au milieu des difficultés réalisent le miracle quotidien de leur survie, dans la lutte de chaque jour et dans la solidarité fraternelle du pauvre qui aide le pauvre. Un exemple émouvant a été donné par les collecteurs de matières recyclables qui se sont réunis à Brasilia, manifestant devant toute la nation leur organisation et leur conscience civique.

Un autre signe d’espérance nous vient de la région semi-aride, avec la création et le renforcement d’associations communautaires et par l’articulation de nombreux autres organismes qui mettent en œuvre un programme de construction d’un million de citernes, démontrant la viabilité de projets communautaires pour lutter contre la sécheresse, prouvant ainsi qu’il est possible de vivre dans cette région semi-aride.

Nous constatons avec joie le dynamisme de la société brésilienne, visible dans un grand nombre d’initiatives des mouvements sociaux, des expériences d’économie solidaire et de réseaux qui coordonnent les avancées les plus diverses des groupes sociaux.

De telles initiatives témoignent des énergies morales qui sont la richesse du peuple, et qui alimentent notre espérance de voir se résoudre la crise actuelle et de retrouver les chemins de la construction d’une société juste et solidaire dans notre pays. L’expérience du bénévolat fait apparaître de nouvelles voies de service et de solidarité que l’Église catholique veut mettre de plus en plus en valeur.

Dans le cadre de cette mobilisation, nous attirons l’attention sur l’importance spéciale des élections de l’année prochaine. C’est une précieuse occasion pour repenser le Brésil. Il importe d’élire des personnes capables de rassembler les volontés politiques, de créer un consensus effectif pour concrétiser les changements nécessaires et pour prendre des mesures indispensables pour remettre l’ordre juridique, social, culturel, politique et économique au service de la vie et de la dignité des Brésiliens. Dans ce processus les partis politiques ont, au premier chef, la responsabilité inaliénable de désigner des candidats qui soient en mesure d’assumer des fonctions publiques avec un programme clair et de s’engager à gouverner démocratiquement.

Il est également nécessaire de purger les élections de toute espèce de corruption électorale, qui abuse de la pauvreté du peuple et utilise le pouvoir économique et la machine administrative pour assurer la continuité du pouvoir politique dans les mains de celui qui l’exerce au profit de groupes corporatifs ou d’organisations partisanes. D’où l’importance du Séminaire national des juges et promoteurs électoraux, qui doit se tenir à Brasilia au mois d’août, à l’initiative de la Commission brésilienne Justice et paix, avec le soutien du Tribunal électoral suprême, en vue des élections de 2002.

En ce début du nouveau millénaire où la mondialisation qui crée l’exclusion menace d’obscurcir l’horizon de l’humanité, nous saluons l’initiative des groupes de la société civile qui agissent dans la ligne du Forum social mondial tenu au début de cette année à Porto Alegre. Ils essaient, au niveau mondial, de rechercher des solutions devant les menaces que l’empire du profit fait peser sur le monde au point de porter atteinte à la vie sur la planète Terre. Ancrés sur notre foi chrétienne et rejetant toute forme de violence, nous voulons nous associer à leur action. Nous invitons les instances publiques à entendre cette clameur qui s’amplifie de jour en jour, et à apporter leur contribution positive pour faire face aux défis qui se présentent aujourd’hui à notre pays. Nous voulons saluer et souhaiter le succès à la Conférence mondiale de l’Afrique du Sud sur le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui l’accompagne.

Nous rappelons les paroles des évêques latino-américains réunis à Puebla (n° 1134-1165), qui nous appellent à une vie simple, sobre et austère, privilégiant le service fraternel aux plus pauvres d’entre les pauvres ; à aider les institutions qui prennent soin des déficients et des malades, des personnes âgées seules, des enfants, des mineurs abandonnés, des prisonniers, des porteurs du virus VIH et de tous ceux qui demandent la proximité miséricordieuse du Bon Samaritain (Lc 10, 25-37). La vie, la famille, la dignité de la personne humaine sont des valeurs inaliénables, et la source permanente de discernement pour tous. Toute discrimination sociale est injuste.

La Campagne de la fraternité de l’année prochaine, qui abordera le thème des populations indigènes, nous amènera à réfléchir sur les racines de la nation brésilienne, et à agir pour que soit mise en valeur et respectée la culture de ces peuples, et pour que leur soient assurées de dignes conditions d’existence.

La passion pour la vérité, devant la réalité de notre pays, avec une concentration des revenus si importante, devient passion pour la justice, et nous met au service de la vie sur les traces de Jésus qui est venu « pour que tous aient la vie en abondance » (Jn 10,10). Le sang de tant de martyrs qui sont morts pour la cause de la justice continue à féconder notre solidarité !

Dans ce climat d’angoisses et d’espoirs, nous voulons nous sentir tous impliqués, dans une Église qui aspire à sa rénovation permanente, dans un processus d’évangélisation qui s’inspire de la vie des communautés des Actes des Apôtres. (...)


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2514.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : Conférence nationale des évêques, novembre 2001.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 
 

responsabilite


[1Pour faciliter la lecture, nous avons mis certains passages en caractères

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