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DIAL 3269

MEXIQUE - Des communautés s’opposent à des projets d’installation d’éoliennes

Orsetta Bellani

mercredi 12 février 2014, mis en ligne par Dial

Les deux premiers textes de ce numéro de février sont consacrés aux luttes des communautés indiennes de l’isthme de Tehuantepec contre les projets d’implantation d’éoliennes sur leurs terres. Le premier texte, ci-dessous, a été publié par Noticias Aliadas le 14 novembre 2013. Il présente la situation actuelle dans l’isthme et les enjeux du conflit. Le second est la déclaration publique d’un groupe de personnes luttant contre ces projets et expulsées de force de leur communauté en novembre 2013.


Des entreprises s’installent sans consultation préalable des peuples indiens qui habitent sur l’isthme de Tehuantepec.

Le vent souffle sans cesse sur l’isthme de Tehuantepec, dans le méridional État de Oaxaca. Nuit et jour il agite les arbustes, balaie la mer et met en mouvement les pales des aérogénérateurs.

Pour promouvoir la production d’énergie éolienne dans cette région mexicaine, le Département de l’énergie et l’Agence pour le développement international (USAID) des États-Unis ont publié en 2004 un Atlas des ressources éoliennes de l’État de Oaxaca qui assurait que les communautés tireraient des bénéfices sociaux et économiques de l’énergie renouvelable. D’après l’atlas, le potentiel éolien d’une grande partie de l’isthme de Tehuantepec est « excellent », ce n’est donc pas une surprise si en décembre 2012 l’Association mexicaine d’énergie éolienne (AMDEE), qui regroupe les principales entreprises de ce secteur, comptait déjà 15 parcs d’éoliennes dans cette zone.

Bettina Cruz Velázquez, membre de l’Assemblée des populations indiennes de l’Isthme pour la défense de la terre et du territoire, accuse : « Les entreprises se sont réparti notre territoire, de la même façon que les Espagnols quand ils sont arrivés en Amérique. Je reconnais qu’il existe une préoccupation mondiale pour le changement climatique, mais ce qui meut les entreprises c’est de convertir notre air en argent. L’énergie verte est un commerce destiné à obtenir des profits en trompant les communautés. On détruit notre mode de vie et on porte atteinte à notre autonomie alimentaire, en nous en nous obligeant au déplacement ».

Les multinationales qui mettent en œuvre 15 projets dans l’isthme de la province de Oaxaca sont au nombre de 10 — Iberdrola, Acciona, CFE, Enel Green Power, Gamesa, Gemex, Penoles, Eléctrica del Valle de México, Renovalia, Demex — et d’autres projets ont déjà été agréés par la Commission de régulation de l’énergie du gouvernement fédéral mexicain. L’objectif du gouvernement de Oaxaca est d’installer 2000 mégawatts d’énergie renouvelable d’ici à 2015.

Sans consultation préalable

Toutes les entreprises semblent suivre le même schéma d’intervention qui n’a prévu aucune consultation préalable, libre et informée, pour les 15 peuples indiens qui habitent sur l’isthme de Tehuantepec, alors que la Convention 169 sur les populations autochtones et tribales de l’Organisation internationale du travail (OIT), ratifiée par le Mexique en 1991, de même que quelques lois nationales, le requiert. Pour obtenir le droit de posséder la terre pendant 30 ans les représentants des entreprises vont de maison en maison et demandent aux familles paysannes de signer des contrats léonins dans lesquels ils fixent le montant du bail de location de la terre. Ils promettent en outre travail, développement, investissements dans les infrastructures et une baisse des factures d’électricité après l’entrée en fonction du parc d’éoliennes.

En réalité 10 parcs d’éoliennes en activité dans l’isthme de Tehuantepec fonctionnent dans le cadre du schéma d’« auto-approvisionnement » que le Secrétariat à l’énergie du gouvernement fédéral définit comme « production d’énergie électrique à des fins d’auto-consommation à la condition que cette énergie soit destinée à satisfaire les besoins de personnes physiques ou morales sans conséquences néfastes pour le pays ». Les « personnes physiques ou morales » qui utilisent actuellement l’énergie produite par les aérogénérateurs afin de satisfaire les besoins de leur consommation sont des multinationales, parmi lesquelles Nestlé, Femsa – Coca Cola, Bimbo, Nissan et Mitsubishi.

En outre, ce que perçoivent les familles rurales de la région de Oaxaca sont de simples miettes. D’après Roberto Garduño, du quotidien mexicain La Jornada, en Europe le loyer habituel de la terre payé par les entreprises éoliennes représente 3,9% des coûts de production, tandis qu’au Mexique il se situe entre 0,025% et 1,53%. Dans de nombreux cas, ces contrats sont illégaux parce qu’une partie importante de la terre occupée par les parcs éoliens n’est pas privée mais communale.

« Dans le cadre de ce régime de propriété la terre appartient à la communauté, les familles en ont l’usufruit sans en être propriétaires » explique l’avocat Raúl Rangel González. « Sule l’Assemblée communautaire a le droit d’accorder à l’entreprise le droit d’exercer son activité ».

Le cas de la Barre de Santa Teresa

Un cas emblématique du comportement discriminatoire et violent des entreprises éoliennes à l’égard des peuples indiens de l’isthme est le projet que le consortium mexicain Mareña Renovables veut implanter sur la Barre de Santa Teresa, une langue de terre de quelques 27 kms de sable et de mangroves. Il s’agit d’un investissement d’un milliard de dollars pour la construction de 132 aérogénérateurs destinés à produire 396 mégawatts d’électricité.

« Lorsqu’ils ont réalisé les premières études, les poissons sont morts en masse. Ici nous vivons de la pêche et de la Barre Santa Teresa vient notre pain quotidien. Nous ne voulons pas de ce projet et la lutte est montée en puissance après que le président municipal Miguel López Castellano se soit vendu à l’entreprise et ait signé l’autorisation d’installation », raconte à Noticias Aliadas une habitante de San Dionisio del Mar qui a préféré garder l’anonymat.

La répression contre ceux qui s’opposent au projet a été forte. En février le gouverneur de l’État d’Oaxaca, Gabino Cué Monteagudo, a fait savoir par un communiqué qu’il mettrait en œuvre « toutes les actions nécessaires pour éviter qu’un investissement aussi important quitte l’État ».

Des groupes de choc s’organisent pour faire taire les opposants au projet, lesquels reçoivent des visites d’inconnus qui les menacent devant leurs enfants. En outre ils ont essayé d’expulser par la force de la mairie de San Dionisio del Mar la communauté qui l’occupait depuis janvier 2012 après l’expulsion du maire López Castellano qui a reçu 20,5 millions de pesos (1,13 million d’euros) de la part de Mareña Renovelables au titre de l’utilisation du sol et qui n’a pas clarifié la destination de ces ressources auprès de la population.

En octobre 2012 un groupe de gens encapuchonnés — membres, semble-t-il, de la section communale du Parti révolutionnaire institutionnel au pouvoir — ont tenté de bloquer la caravane humanitaire qui est allée jusqu’à San Dionisio del Mar pour apporter de la nourriture aux indiens ikjots et zapotèques qui s’opposent à la construction du méga-projet d’éoliennes dans la région, et ils ont arrosé d’essence Isaúl Celaya López, l’un des habitants, en le menaçant de le brûler vif.

Cependant, la justice a donné raison aux peuples indiens de la Barre de Santa Teresa. Le 9 octobre, un tribunal de la localité de Salina Cruz s’est prononcé pour la suspension temporaire des activités de construction en réponse à une demande de protection présentée par l’Assemblée générale de San Dionisio del Mar.

Dans des déclarations à la presse, Miguel Ángel Garcia Aguilar, membre de cette assemblée a déclaré que la sentence « est une victoire de poids dans la lutte pour le respect du territoire et des droits des peuples indiens. Nous exigeons de toutes les autorités impliquées dans le projet d’éoliennes à San Dionisio del Mar et du consortium Mareña Renovables qu’ils appliquent les dispositions suspensives édictées par le juge fédéral. »


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3034.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 14 novembre 2013.

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