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LIVRE - Jésus Christ libérateur : lecture historico-théologique de Jésus de Nazareth, de Jon Sobrino

jeudi 16 octobre 2014, mis en ligne par colaborador@s extern@s

 Première édition en espagnol : Editorial Trotta, Madrid, 1991
 traduction de Thérèse Benito, avec la collaboration de Daniel Brette et Marillys Delgutte
 préface de Gustavo Gutiérrez
 collection « Théologies »
 éditions du CERF
 ISBN : 978-2-204-09154-1
 544 pages, 29 euros.

Quatrième de couverture

Comment redonner enfin la première place aux pauvres, au cœur de notre humanité ?

Alors que la guerre civile explose au Salvador, Jon Sobrino, jésuite, théologien, militant, décide de s’engager. Aux côtés de Gustavo Gutiérrez, il élabore une nouvelle théologie. Traditionnelle par son enracinement biblique, entièrement tournée vers la figure de Jésus Christ. Révolutionnaire par sa contextualisation dans la réalité de l’Amérique latine : la pauvreté a engendré une injustice intolérable que le chrétien se doit de regarder en face s’il veut être fidèle à l’Évangile. Il en ressort un Christ libérateur, serviteur du Royaume de Dieu. Et cette théologie s’appelle la théologie de la libération.

Après avoir soulevé de nombreux espoirs, après avoir été accusée de dérive marxiste, voici le véritable visage de la théologie de la libération, telle que décrite et expliquée par ce proche du pape François qu’est Jon Sobrino.

L’ouvrage majeur pour comprendre une page essentielle du monde présent.

L’auteur

Né en Espagne en 1938, Jon Sobrino vit au Salvador depuis 1957. Directeur du Centre Monseigneur Romero, il est aussi professeur de christologie à l’Université centroaméricaine (UCA).

Table des matières

Préface, par Gustavo Gutiérrez........................................ 7

Introduction à l’édition française................................. 13
La croix ...................................................................... 18
La miséricorde........................................................ 19
L’espérance............................................................. 20
La conversion.......................................................... 21
L’amour de Dieu..................................................... 22
La rédemption......................................................... 23
Le royaume et l’anti-royaume....................................... 24
Le royaume est historique, mais il est aussi dialectique et antagonique 26
La partialité du royaume.......................................... 26
Une dernière remarque, pour le temps présent.......... 27
Le Dieu Père et le Père qui est Dieu............................. 28

Introduction : pourquoi un autre livre de christologie 31
Remarques préliminaires en guise de confession............ 31
Le pourquoi de cette christologie.................................. 37
Finalité, contenu et esprit fondamental......................... 39
Une christologie écrite à El Salvador, un peuple crucifié et rempli d’espérance 42

Première partie – Méthodologie de la christologie latino-américaine

Chapitre 1. – Une nouvelle image et une nouvelle foi en Christ 47
Le « Christ libérateur » : nouvelle image et nouvelle foi des opprimés 48
La nouvelle image du Christ comme dépassement d’images aliénantes 52
Un Christ « abstrait »............................................... 53
Un Christ « réconciliateur »...................................... 55
Un Christ « absolument absolu ».............................. 56
L’image du Christ à Medellín et à Puebla...................... 58
L’image du Christ à Medellín................................... 58
Le salut comme « libération »............................... 58
Le « principe de partialité » : pauvres et pauvreté... 59
Les principes herméneutiques : espérance et praxis 60
La présence du Christ dans les opprimés.............. 61
La réflexion christologique de Puebla....................... 62
Les conséquences pour la christologie........................... 65

Chapitre 2. – Le lieu ecclésial et social de la christologie 67
La problématique du « lieu » de la christologie............... 68
Le lieu théologique et les sources de la révélation...... 68
Le lieu théologique et les signes des temps................ 70
Le lieu théologique et la foi réalisée en Christ........... 73
Le lieu théologique comme réalité............................ 74
Le lieu ecclésial : l’Église des pauvres............................ 76
L’ecclésialité générale de la christologie.................... 76
La concrétisation à partir de l’Église des pauvres....... 78
Le lieu socio-théologal : le monde des pauvres............... 80
Le monde des pauvres : réalité qui donne à réfléchir. 82
Le monde des pauvres : réalité qui donne capacité à penser 83
Le monde des pauvres : réalité qui apprend à penser. 85
Conclusion : des pauvres à Jésus de Nazareth................ 87

Chapitre 3. – Le « Jésus de l’histoire », point de départ de la christologie 89
La relation entre Jésus et le Christ................................ 90
Jésus comme chemin vers le Christ........................... 90
Jésus comme sauvegarde du Christ........................... 93
Les différents points de départ de la christologie........... 96
Les affirmations dogmatiques conciliaires................. 96
Les affirmations biblico-dogmatiques....................... 98
Le kérygme............................................................. 99
L’expérience de la présence actuelle du Christ dans le culte 101
La résurrection du Christ......................................... 101
La doctrine de Jésus................................................ 102
Le retour à Jésus de Nazareth....................................... 103
Les christologies européennes.................................. 104
Les christologies latino-américaines.......................... 106
La signification systématique du « Jésus de l’histoire ».... 108
La signification de « la part historique » de Jésus dans les christologies européennes 109
La signification de « la part historique de Jésus » dans la christologie latino-américaine 114
« La part la plus historique de Jésus » : la pratique dans l’esprit 114
De la pratique de Jésus à la « personne » de Jésus. 117
Du Jésus de l’histoire au Christ total.................... 120
La suite du Christ comme mystagogie.................. 122
Le retour à Jésus dans le Nouveau Testament................ 122
Les écrits du Nouveau Testament (à l’exception des évangiles) 123
Les évangiles........................................................... 127
La christologie latino-américaine comme christologie « évangélique » 130
L’utilisation critique du « Jésus de l’histoire »............ 131
« L’aspect évangélique » de la christologie................. 133

Deuxième partie – Mission et foi de Jésus

Chapitre 4. – Jésus et le royaume de Dieu....................... 139
La réalité ultime pour Jésus : le royaume de Dieu.......... 140
La voie notionnelle : l’utopie attendue au milieu de la misère de l’histoire 144
Le royaume de Dieu dans l’Ancien Testament........... 145
L’attente du royaume de Dieu au temps de Jésus : Jean Baptiste 148
La notion qu’a Jésus du royaume de Dieu................. 152
Le royaume de Dieu est proche........................... 154
Le royaume de Dieu est pure initiative de Dieu, don et grâce 155
Le royaume de Dieu comme eu-aggelion, bonne nouvelle 157
La voie du destinataire : le royaume de Dieu est pour les pauvres 160
Les pauvres comme destinataires du royaume de Dieu 160
La partialité du royaume de Dieu............................. 166
Le royaume de Dieu comme royaume de vie minimum 169
Rendre réelle la bonne nouvelle................................ 172
La voie de la pratique de Jésus...................................... 174
Les miracles : clameurs du royaume......................... 175
Les miracles comme signes libérateurs de la présence du royaume 176
Les miracles comme saluts pluriels pour les pauvres 178
La dimension christologique des miracles : la miséricorde de Jésus 179
La foi qui guérit de l’extérieur et de l’intérieur...... 182
L’expulsion des démons : victoire sur le Malin.......... 184
La réalité du Malin : dimension ultime de l’anti-royaume 184
L’expulsion des démons et les caractéristiques de l’anti-royaume 185
L’accueil des pécheurs : libération de soi et de la marginalisation 187
Accueil des pécheurs ou pardon des péchés ?........ 188
L’accueil comme libération.................................. 190
La réaction de l’anti-royaume.............................. 191
La délicatesse de Dieu : « Ta foi t’a sauvée ».......... 192
Les paraboles du royaume de Dieu........................... 193
Les paraboles : récits interpellants et polémiques au sujet du royaume 193
Le message central : défendre le fait que le royaume de Dieu est pour les pauvres 195
La célébration de la venue du royaume..................... 199

Excursus 1. – Le royaume de Dieu dans les christologies actuelles 203
La redécouverte du royaume de Dieu comme réalité ultime et eschatologique 204
La réalité ultime comme crise de tout ce qui n’est pas ultime 205
La détermination du royaume comme réalité ultime : son contenu, son avènement 207
Jésus et le royaume : médiateur et médiation de Dieu 208
Les signes et la réalité du royaume....................... 209
La nouvelle compréhension du « déjà-là mais pas-encore  » 209
Le royaume de Dieu dans les christologies modernes..... 211
R. Bultmann : l’eschatologisation du médiateur........ 212
W. Pannenberg : l’ eschatologique comme anticipation du futur ultime 215
La réalité ultime : la résurrection de Jésus, anticipation de la fin de l’histoire 215
Le royaume de Dieu comme condition de possibilité de vivre du futur 216
La dimension sociohistorique (abstraite) du royaume de Dieu 219
J. Moltmann : la suite du médiateur afin de construire la médiation 223
La réalité ultime comme contradiction du présent : la résurrection d’un crucifié 223
La réalité ultime du médiateur : la suite du crucifié 224
La réalité ultime de la médiation : le royaume de Dieu pour les pauvres 226
W. Kasper l’abstrait-(et universel) royaume de l’amour 228
Le royaume de Dieu dans la christologie latino-américaine 231
Les raisons qui permettent de conférer l’ultimité au royaume de Dieu 232
La caractérisation systématique du royaume de Dieu. 237
Le royaume de Dieu en présence de l’anti-royaume et en opposition à lui 238
Les pauvres en tant que destinataires du royaume. 239
La dimension historique du royaume de Dieu...... 243
La dimension populaire du royaume de Dieu....... 245
Le concept systématique du royaume de Dieu.......... 247
Le contenu du royaume de Dieu : la vie juste des pauvres 247
La transcendance historique du royaume de Dieu. 248
La transcendance théologale du royaume de Dieu. 251

Chapitre 5. – Jésus et Dieu (I). Jésus face à un Dieu-Père. 255
Les notions que Jésus avait de Dieu.............................. 256
La prière de Jésus......................................................... 261
La confiance en un Dieu qui est Père............................ 267
La bonté de Dieu.................................................... 268
Le Dieu bon n’est ni autoritaire ni oppresseur.......... 270
La confiance de Jésus : « Abba, Père »....................... 274
Disponibilité envers un Père qui est Dieu...................... 276
La « conversion » de Jésus......................................... 278
Les tentations.......................................................... 279
La « crise galiléenne »............................................... 283
L’ignorance de Jésus................................................ 286
La foi de Jésus............................................................. 289
La récupération du thème en théologie..................... 290
La foi de Jésus dans le Nouveau Testament............... 291
La foi de Jésus dans l’évangile de Marc................ 291
La foi de Jésus dans la lettre aux Romains............ 292
La foi de Jésus dans la lettre aux Hébreux............ 293
Qui est Dieu pour Jésus ?............................................. 294
Conclusion : « messie », « fils », « frère ».......................... 295

Chapitre 6. – Jésus et Dieu (II). La praxis prophétique de Jésus comme défense du vrai Dieu 299
Prophétie et anti-royaume............................................ 299
La praxis prophétique.............................................. 299
La structure théologale-idolatrique de la réalité......... 301
Les controverses de Jésus : Dieu est sujet à controverse.. 302
Les controverses directes dans les synoptiques.......... 303
La controverse sur le premier des commandements... 308
L’effondrement des masques opéré par Jésus : Dieu peut être manipulé 311
L’ignorance et le mensonge...................................... 312
L’effondrement des masques des mécanismes de la religion oppressante 313
La dénonciation des oppresseurs et de leurs idoles........ 317
Les dénonciations des riches.................................... 317
Les dénonciations des scribes et des pharisiens......... 323
Les dénonciations des prêtres................................... 327
Conclusion : Jésus « prophète »..................................... 330

Excursus 2. – La question de Dieu. Dieu de vie et idoles de mort 333
La question de Dieu comme athéisme ou idolâtrie........ 333
Athéisme et idolâtrie en théologie............................. 335
L’idolâtrie dans la théologie de l’Amérique latine...... 339
Jésus et la question de Dieu : purifier la divinité de toute idolâtrie 345
Jésus et la question de Dieu : orthopraxis...................... 349

Troisième partie – La croix de Jésus

Chapitre 7. – La mort de Jésus (I). Pourquoi a-t-on tué Jésus ? 357
La persécution : climat de la vie de Jésus....................... 359
La persécution d’après les synoptiques..................... 360
La persécution dans l’évangile de Jean...................... 362
Jésus « le persécuté »................................................ 364
La conscience de Jésus au milieu de la persécution........ 366
La conscience d’une mort probable.......................... 366
Le sens que Jésus a donné à sa propre mort.............. 368
Le jugement de Jésus................................................... 373
Le procès religieux.................................................. 373
Le procès politique.................................................. 376
La mort de Jésus comme conséquence de sa mission..... 382

Excursus 3. – Jésus et la violence................................... 385

Chapitre 8. – La mort de Jésus (II). Pour quoi Jésus meurt-il ? 397
« L’explication » de la croix dans le mystère de Dieu...... 398
De la croix comme scandale à la croix comme salut....... 401
Le sacrifice.............................................................. 404
La nouvelle alliance................................................. 406
La figure du Serviteur souffrant............................... 407
La portée salvifique de la croix chez Paul...................... 409
La manifestation de ce qui est agréable à Dieu.............. 412
La crédibilité de l’amour de Dieu................................. 416

Chapitre 9. – La mort de Jésus (III). Le Dieu crucifié..... 421
Le silence de Dieu face à la croix de Jésus..................... 425
Les paroles de Jésus en croix.................................... 426
L’abandon de Dieu face à la croix de Jésus............... 429
La souffrance de Dieu.................................................. 433
Dieu face à la souffrance.......................................... 433
La souffrance en Dieu............................................. 436
La connaissance de Dieu face à la croix de Jésus........... 444
Reformulation de la transcendance de Dieu : le Dieu « très haut » et le Dieu « très bas » 446
L’insuffisance de toute théologie naturelle................ 448
Les victimes comme lieu de la révélation de Dieu...... 452

Chapitre 10. – La mort de Jésus (IV). Le peuple crucifié. 457
Le peuple crucifié comme le Serviteur souffrant de Yahvé 459
Méditation sur le peuple crucifié.............................. 461
Réflexion sur le mystère du peuple crucifié............... 464
Le serviteur est tué pour avoir instauré le droit et la justice 464
Le Serviteur est choisi par Dieu pour le salut........ 466
Le Serviteur prend sur lui le péché du monde...... 467
Le Serviteur est lumière des nations..................... 469
Le Serviteur apporte le salut................................ 471
Le peuple crucifié comme présence du Christ crucifié dans l’histoire 474
Le peuple crucifié comme « peuple martyr ».................. 475
La compréhension traditionnelle du martyre............. 476
La compréhension « chrétienne » du martyre............. 478
L’analogie du martyre : le « peuple martyr ».............. 483

Épilogue. ........................................................................ 487
Notes ............................................................................... 491

Préface, par Gustavo Gutiérrez

Voici quelques années, on parlait d’une christologie « d’en haut », à partir du Fils de Dieu, christologie « descendante » comme on disait alors ; et en opposition à celle-ci, d’une christologie « d’en bas », à partir de l’humanité du Jésus de l’histoire, et qu’on disait « ascendante ». Ce sont là des étiquettes qu’on employait pour souligner certains accents et pour permettre de classifier les travaux qui portaient sur ces matières. C’est un classement qui peut être utile dans un premier temps mais qui, à la longue, s’il est poussé trop loin, fait courir le risque de laisser de côté des notions impor- tantes, tout autant à propos du mystère (au sens biblique du terme, c’est-à-dire la réalité qui nous enveloppe) que de l’histoire présente : données sur lesquelles repose toute christologie, et qui correspondent l’une et l’autre au Christ total. Entre autres raisons, parce que le mystère de l’amour de Dieu doit être communiqué dans notre aujourd’hui et non pas gardé secret, qu’il doit être dit et non pas caché.
Jon Sobrino note au commencement de son livre :

Se confronter à quelque chose qui est réellement « mystère » n’est pas chose facile ; le formuler et le conceptualiser est plus difficile encore ; le faire comme il conviendrait est impossible. La foi donne un nom à ce mystère insondable qu’est Jésus-Christ, mais la christologie ne peut pas le maîtriser – et puisse-t-elle ne jamais y parvenir ; elle ne doit pas donner le sentiment d’en savoir trop sur Jésus-Christ, ce qui, en fin de compte, serait la façon la plus claire de le méconnaître. Cette perspective nous place, d’entrée de jeu, dans une attitude de respect face au sujet et nous rappelle nos limites au moment d’aborder la réflexion théologique sur cette affirmation de foi : Jésus est le Christ, il est Jésus-Christ.

Le propos de Jon – ici et dans son second livre : La fe en Jesucristo. Ensayo desde las víctimas, 1999 – est de considérer globalement le sens et la portée de cette expression de la foi : « Le contenu de cette christologie – affirme-t-il – est Jésus- Christ dans sa totalité. » Tel est son but : c’est pourquoi il met fermement les pieds dans la réalité du monde des pauvres et des exclus de l’Amérique latine et des Caraïbes, et, très concrètement, dans la situation de pauvreté et d’oppression du peuple de El Salvador. Là, dans une société marquée par l’injustice et les inégalités sociales, à partir des victimes de cette situation, des personnes qui meurent « avant l’heure », comme disait Bartolomé de las Casas de la population autochtone de ce continent, il vit et pense sa foi. C’est de ces victimes que nous parle le message de Nazareth. Jésus dit qu’il est venu les libérer de tout ce qui les empêche de mener une vie pleine, partagée avec d’autres dans l’égalité et la fraternité, vie à laquelle ils ont droit en tant qu’êtres humains, et en tant que filles et fils de Dieu (voir Lc 4, 16-21 et Medellín, « Justice »). Mgr Oscar Romero a su écouter cette voix et l’a mise en pratique comme témoin et martyr de Jésus, le Messie, et de son royaume.

Mais il convient de s’interroger : y a-t-il un lien entre la réalité humaine et sociale et la réflexion sur les vérités de la foi ? Certains n’hésiteraient pas à répondre que la relation s’établit parce qu’il s’agit d’une théologie contextuelle ; mais dire cela n’est qu’un authentique pléonasme qui oublie que toute théologie est contextuelle, d’une façon ou d’une autre, et que la différence consiste en ce que certaines théologies reconnaissent leur contextualité et d’autres, non. En vérité, les choses vont plus loin et sont plus profondes ; elles proviennent d’un point de vue qui part de la nécessité d’une réflexion menée à partir de l’« envers de l’histoire » et qui traite des différentes dimensions de la libération en Jésus-Christ.

Cela explique que, depuis quelques décennies, nous voyons apparaître des réflexions théologiques élaborées à partir des situations vécues en divers continents de ce qu’on appelle le Tiers-Monde, des minorités ethniques et culturelles de nombreux pays, de la condition féminine telle qu’elle se présente dans ces différentes réalités et d’autres situations de discrimination. Ces notes rendent compte de la complexité constitutive de la pauvreté, de son inhumanité et de son caractère anti-évangélique, comme l’ont dit Medellín et Puebla. Ce monde de l’exclusion et de l’insignifiance sociale interpelle sérieusement l’existence même du message chrétien et sa proposition – interpellation qu’il est urgent de considérer et à laquelle il faut répondre sans délai en faisant appel aux sources de la foi et de la théologie. C’est ainsi que nous pouvons percevoir des accents du message chrétien qui ne ressortent pas à partir d’autres points de vue.

Jon insiste sur le fait que la suite de Jésus est la source de la christologie. C’est une perspective qui implique que l’on soit attentif aux conditions concrètes dans lesquelles s’inscrit ce cheminement sur les pas de Jésus et à l’engagement que les chrétiens vont y assumer. C’est là, sans doute, une perspective « d’en bas », mais cette fois, non seulement en ce qui concerne la condition humaine en tant que telle mais parce qu’on tient compte de la situation injuste et intolérable de ceux qui occupent les dernières places dans l’échelle sociale, ce qui implique, par le fait même, un « en haut » social et économique. Nous nous trouvons face à un partage des souffrances qui découlent de cet état de choses, comme l’exprime le mot « com-passion » (souffrir avec). Dans ce cas, la pratique de la solidarité, comme dirait Schillebeeckx, est l’engagement approprié qui, en affrontant inévitablement pouvoirs et privilèges rencontre – comme Jésus et tant d’autres de ses témoins en Amérique latine et aux Caraïbes –, de douloureux conflits sur son chemin.

Dans le simple et beau passage de l’Évangile que nous connaissons comme « l’obole de la veuve », nous sommes impressionnés, et à juste titre, par l’affirmation finale de Jésus qui estime davantage l’aumône infime d’une pauvre femme que le dépôt abondant des riches. Mais nous courons le risque d’être moins attentifs au chemin que Jésus a suivi pour arriver à cette conclusion. Marc nous donne toutefois, au début du récit, la clé de ce texte : « Jésus s’assit face au tronc du Trésor… », c’est-à-dire qu’il choisit un lieu précis pour regarder « comment les gens mettaient des pièces dans le tronc du Trésor » (Mc 12, 41). Le choix de la porte du Trésor parmi les nombreuses autres que possédait le temple a créé les conditions permettant d’opérer un discernement dans le comportement de ceux qui présentaient leurs offrandes. Se situer en un point stratégique pour observer la réalité affine notre vision, nous permet de voir des aspects qui, autrement, nous échapperaient et, comme en ce cas, nous offre la possibilité de raviver et de réactualiser la mémoire prioritaire et libératrice de Dieu pour les derniers de ce monde.

Il s’agit d’une réflexion théologique qui ne part pas, historiquement parlant, de n’importe quelle réalité, qui n’est pas uniquement un fait social, mais qui considère ceux-là mêmes que le royaume du Dieu de la Bible considère en premier lieu. Par conséquent, le point de vue auquel nous nous référions a son fondement dans la foi au Dieu amour dont la révélation s’adresse en premier lieu aux tout-petits et non aux sages et aux intelligents (Mt 11, 25-26). Assumer cette perspective ne signifie pas, bien évidemment, qu’on oublie l’ensemble du message biblique, les enseignements de l’Église au long de son parcours historique, le témoignage varié et riche de ses martyrs, les différentes perspectives théologiques qui ont nourri la vie de l’Église, pour réfléchir sur la foi. Au contraire, cela nous donne une manière d’apprendre de toutes ces instances et instructions en dialoguant avec elles, et, d’une certaine façon, en les actualisant pour proclamer la promesse du royaume de Dieu, déjà présent mais pas encore pleinement dans notre ici et maintenant.

Lire l’Écriture, penser la foi, se mettre à l’écoute des traditions chrétiennes les plus authentiques, actualiser le témoignage du martyre de Jésus en tenant compte de la réalité que vivent les pauvres et les marginaux, tout cela implique qu’on prenne l’histoire au sérieux. C’est dans l’histoire que se révèle le Dieu de notre foi, que le Fils de Dieu se fait l’un de nous et donne sa vie sur la croix entre les mains de ceux qui refusent le royaume. C’est dans l’histoire que surviennent des événements dans lesquels nous devons discerner, en communauté de foi, les signes des temps et trouver les chemins qui permettent de vivre le message chrétien. C’est dans l’histoire que nous devons faire nôtre la pratique de Jésus et annoncer le royaume en étant en contact et en dialogue avec les gens, particulièrement avec les opprimés et les insignifiants de leur temps.

La christologie de Jon Sobrino, parce qu’elle est attentive à la vie, aux souffrances et aux rêves du peuple des pauvres, parce qu’elle rappelle que l’amour a conduit Jésus à la croix et que Dieu, Père/Mère, le confirme en le ressuscitant, apporte, précisément pour ces raisons, un message d’espérance en Jésus-Christ libérateur.

C’est une grande satisfaction que, grâce à l’investissement de Thérèse Benito et à l’intérêt porté par les Éditions du Cerf, cette œuvre importante soit aujourd’hui traduite en français.

Gustavo Gutiérrez,
avril 2011.

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