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DIAL 2887

BRÉSIL - Population noire : Inégalité, genre, pauvreté. Les liens avec l’Afrique. La question des quotas.

lundi 1er mai 2006, par Dial

Nous présentons tout d’abord l’étude Tableau des inégalités - genre et race, réalisée par le Fond de développement des Nations unies pour la femme (UNIFEM) et par l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA), rendue publique le 17 novembre 2005 au ministère de la culture à Brasilia. Ce travail confirme l’existence d’inégalités sexuelles et raciales au Brésil. Dans la seconde partie, nous présentons une synthèse d’une autre étude, provenant du Bureau brésilien de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail domestique des femmes noires. Ces deux articles sont parus en novembre 2005 dans ADITAL (Agencia de Información Fray Tito para América Latina). En dernier lieu, le lecteur trouvera une présentation de la politique africaine de Lula qui cherche à resserrer les liens historiques entre les Noirs brésiliens et les Noirs d’Afrique, ainsi qu’à mettre sur pied une politique discutée de « quotas » en faveur des étudiants noirs. Ce dernier article, de Mario Osava, a été publié par IPS le 15 février 2006.


Population noire et pauvreté

Les chiffres divulgués par l’étude montrent qu’en 2003, 43% de la population noire se trouvait en dessous du seuil de pauvreté alors que ce chiffre pour la population blanche était de 20%. La situation s’aggrave lorsqu’on analyse les données liées à l’indigence : alors que 7% des Blancs reçoivent moins du quart du salaire minimum mensuel par individu ce pourcentage atteint 19%, presque le triple, s’agissant des Noirs.

Selon l’IPEA, les chiffres relatifs à la concentration du revenu dans le pays montrent que celui-ci « est de coloration blanche » : 64,6% des 10% des plus pauvres dans la population étaient des Noirs ; concernant les pourcentages des plus riches celui des Noirs tombe à 22,3% des 10% des plus riches et seulement 11,5% étaient des Noirs parmi le 1% des plus riches. Les modifications des chiffres entre 1996 et 2003 quant à la distribution des revenus n’ont fait que creuser les inégalités de type racial.

En 2003 le salaire des femmes était d’à peu prés 2/3 de celui des hommes (695 ,4 reals en moyenne pour les hommes et 439,9 pour les femmes). Si on envisage les inégalités salariales du point de vue de la couleur de peau, les Noirs recevaient à peu prés 48% du salaire des Blancs. Le cas des femmes noires est encore aggravé : c’est à peine si elles perçoivent 30% du revenu moyen des hommes blancs.

Selon l’enquête « les discriminations pratiquées en milieu scolaire et la nécessité pour la population noire d’avoir à abandonner les études pour se consacrer au travail, compte tenu du fait que les indicateurs relatifs à l’éducation sont systématiquement inférieurs à ceux des Blancs, n’expliquent qu’en partie l’inégalité salariale. Un autre aspect significatif de cette différence s’explique par la discrimination en elle-même, ce qui est attesté par une série d’études menées sur ce domaine ».

En ce qui concerne les femmes, le niveau de scolarisation peu élevé n’est pas ce qui explique les différences salariales car elles ont en moyenne une scolarité d’une année de plus que les hommes et de meilleurs résultats en formation selon tous les indicateurs. Pour autant, cela ne leur garantit pas les mêmes conditions de travail que celles qui sont proposées aux hommes.

L’étude affirme également que femmes et Noirs rencontrent davantage de difficultés pour obtenir un poste de travail, que ce soit dans l’économie formelle ou l’économie informelle. Alors que près de 8% des hommes en général et 10,6% des Blancs étaient au chômage en 2003, ces pourcentages grimpaient à 12,4 et 12,6% pour les femmes et les Noirs respectivement. L’augmentation des taux de chômage entre 1996 et 2003 a été plus accentuée dans le cas des femmes et des Noirs que pour la population blanche ou masculine.

Des données de l’étude montrent que les Noirs constituent un groupe sur-représenté dans le monde de l’analphabétisme alors que les Blancs y sont sous-représentés car les Noirs représentent 16,8% de la population analphabète tandis que les Blancs ne sont que le 7,1% pour une moyenne nationale de 11,6%. En ce qui concerne la population qui a suivi une scolarité de 12 ans ou plus, les Blancs en représentent 15,2% tandis que les Noirs sont à peine 4,6% de celle ci.

Selon l’étude, l’amélioration de la qualité de vie et de santé est liée aux conditions socio-culturelles, politiques et économiques de la population. 70% des femmes, blanches et noires de plus de 40 ans et ayant moins d’un an d’études n’ont jamais fait d’examen clinique mammaire, mais lorsque le niveau de la scolarité passe à 12 ans ou plus d’études, dans la même fourchette d’âge ce pourcentage tombe à environ 15%.

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Femmes noires et tâches domestiques

Dans le cadre de la célébration du mois de la Conscience noire au Brésil, l’Organisation internationale du travail (OIT), a présenté à la société brésilienne et à trois de ses constituantes plus particulièrement – gouvernement, organismes de travailleurs et organismes d’employeurs – les principales initiatives en cours de déploiement dans ce secteur, sous la houlette du Bureau du Brésil. Ce que, toutefois, met en évidence cette présentation d’ensemble, ce sont les résultats d’une étude sur les tâches domestiques, étude réalisée par l’OIT en coopération avec le DIEESE ( Département intersyndical d’études et de statistiques socio- économiques ).

Cette étude représente un effort de plus pour réunir des informations fondamentales concernant l’égalité sexuelle et raciale dans le monde du travail au Brésil ? Elle a pour objectif un groupe important de travailleuses - en majorité noires - qui connaissent une situation de désavantage prononcé par rapport à quelques-uns des principaux indicateurs du marché du travail, tant pour ce qui se rapporte au droit du travail qu’au rendement et à la couverture sociale prévisionnelle.

Quelques unes des principales conclusions :

Au Brésil les discriminations sexuelles et raciales ont agi comme axes structurels des modèles d’inégalité et d’exclusion sociale. Cette logique se retrouve sur le marché du travail où les femmes et plus particulièrement les noires vivent les situations les plus défavorables. Si l’on considère l’analyse à la lumière de six régions métropolitaines – Belo Horizonte, Distrito Federal, Porto Alegre, Recife, Salvador et San Pablo – on peut observer que le travail dans le secteur des gens de maison est l’une des formes principales d’insertion sur le marché du travail des femmes noires, pour lesquelles il représente entre 22%(Salvador) et 32% (Porto Alegre) de leur activité totale.

Dans l’ensemble, par rapport aux femmes non noires et par rapport à l’emploi féminin en totalité le poids du pourcentage d’emploi des femmes noires dans les tâches domestiques représente au moins le double et s’agissant du Salvador il dépasse le triple. La majeure partie des travailleuses du secteur des gens de maison est mensualisée (payée au mois) qu’elles aient ou non un carnet de travail. Les travailleuses mensualisées représentent toujours plus de 72% des travailleuses dans toutes les régions métropolitaines analysées. Il y a cependant, des différences entre noires et non noires.
Les journalières ( payées à la journée) dont la situation de travail est plus instable et précaire sont présentes dans toutes les régions dans une proportion qui dépasse 20%. Cependant dans ce cas, on note les différences sur une base raciale de façon assez marquée. La majorité du personnel de maison féminin se situe entre 25 et 39 ans tant s’agissant des noires que des non-noires . Malgré tout c’est parmi les noires que prédominent les 18 à 24 ans.

La scolarité de la majorité du personnel de maison féminin est concentrée sur l’enseignement basique ou primaire incomplet, ce qui signifie moins de huit ans d’études. Le personnel de maison féminin non-noir a un niveau légèrement supérieur à celui du personnel noir : le pourcentage de noires ayant suivi l’enseignement primaire incomplet a dépassé celui des non-noires à l’exception de certaines catégories et régions.

Les informations relatives au rendement horaire moyen ( c’est à dire sans prise en compte des différences dues à une plus ou moins longue journée de travail) du personnel de maison féminin montrent que les Noires continuent à gagner moins que les non-Noires. On retrouve dans ce secteur en majorité féminin et caractérisé par une main d’œuvre de bas niveau de scolarisation, la discrimination entre Noirs et non-Noirs. Les seules exceptions à cette règle se sont manifestées parmi les domestiques mensualisées, avec carnet de travail signé par l’administration du District fédéral et parmi les journalières de San Pablo.

Moins de la moitié du personnel de maison féminin dans toutes les régions a cotisé pour la protection sociale prévisionnelle. Il en résulte que de la totalité du personnel de maison féminin la plus grande partie aura droit à pension de retraite avec beaucoup de difficulté, de même qu’à tous les autres avantages de la protection sociale, comme l’aide en cas de maladie et d’autres avantages qui découlent de la contribution au système de retraite.

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Lula veut renforcer les liens historiques avec les Noirs d’Afrique
Les liens plus étroits qui sont en train d’être noués entre le Brésil et le continent africain constituent un développement positif, tant en termes de politique étrangère que de ses effets sur la lutte contre la discrimination subie par des Brésiliens noirs, a déclaré à IPS, Geraldo Rocha, directeur du Centre pour la mobilisation des populations marginalisées (CEAP).

Le président Lula « a ouvert une nouvelle ère dans les relations du Brésil avec l’Afrique », contribuant ainsi au renforcement de l’identité brésilienne, qui est fortement influencée par la population noire du pays, a souligné Rocha. « C’était plus que nécessaire de rétablir ces relations, qui étaient précédemment ignorées par les gouvernements brésiliens », a-t-il indiqué.

Lula a visité l’Algérie, le Bénin et le Botswana, de mercredi à samedi [7-11 février], avant de prendre part au Sommet sur la gouvernance progressiste à Pretoria, la capitale de l’Afrique du sud, pendant le week-end. Il avait déjà été dans 17 pays en Afrique pendant quatre voyages différents depuis qu’il a pris fonction en janvier 2003.
Le Brésil ne va plus négliger l’Afrique, a déclaré Lula à Gaborone, la capitale du Botswana, où il a offert une aide brésilienne pour lutter contre l’épidémie du VIH/SIDA qui affecte 30%de la population, qui est de 1,8 million d’habitants. Dans cette nation d’Afrique australe, le président a parlé de la ‘‘dette’’ du Brésil envers les Africains qui ont aidé à donner naissance à « l’un des peuples les plus joyeux et les plus magnifiques sur la terre’ ».

Les liens historiques et culturels du Brésil avec l’Afrique avaient déjà été mis en exergue au Bénin. Dans cette nation ouest-africaine, Lula a visité la « Porte du non-retour », où les esclaves étaient embarqués, mais par laquelle certains sont revenus, après que le Brésil - le géant de l’Amérique latine - a aboli l’esclavage en 1888. Le président a rencontré également les descendants de l’une des familles qui sont revenues, et dont le nom de famille est également Silva. Par ailleurs, il a pris part à une cérémonie locale du vodou.

Son périple a débuté en Algérie, le seul pays sur son itinéraire où le Brésil a des intérêts économiques. La visite a été d’une importance capitale en raison de la nécessité de réduire le déficit commercial de près de 2,5 milliards de dollars vis-à-vis de ce pays d’Afrique du nord, a souligné Lula dans un résumé de son voyage au cours de son programme radiodiffusé hebdomadaire, lundi. L’Algérie est le plus grand fournisseur étranger de pétrole du Brésil. Pour parvenir à un commerce plus équilibré avec ce pays, l’administration Lula cherche à accroître des exportations de produits alimentaires, en particulier le bœuf, et de biens industriels.

Parmi ses offres d’aide, Lula a promis, unilatéralement, de supprimer graduellement les taxes sur toutes les importations venant des nations les plus pauvres d’Afrique, et d’apporter la technologie agricole brésilienne ainsi que l’assistance sanitaire, en particulier dans la lutte contre le VIH, le virus du SIDA.

La politique étrangère de Lula est « l’un des aspects intéressants de son gouvernement, où il est resté fidèle à ses racines de gauche », contrairement à la politique économique, a déclaré Joel Rufino dos Santos, historien et écrivain noir. Ses visites répétées en Afrique sont en conformité avec les mesures de discrimination positive de son gouvernement en faveur de la population noire, a-t-il commenté à IPS.

Au nombre de ces initiatives, figurent la création d’un secrétariat pour la Promotion de l’égalité raciale, qui a le statut d’un ministère du gouvernement, et l’incorporation de l’histoire et la culture afro-brésilienne dans les programmes d’enseignement à partir de 2003. Toutefois, la mise en œuvre de cette mesure a rencontré des difficultés, a indiqué Rocha, à cause du manque d’enseignants ayant la formation dans ces domaines. Les objectifs du CEAP incluent la promotion des cours de formation aux enseignants et la publication de livres et matériels didactiques sur la culture et l’histoire africaine et afro-brésilienne, a-t-il noté.

Une autre mesure appuyée par l’administration Lula, l’adoption de quotas pour les étudiants noirs, fait l’objet d’un débat passionné. Des commissions au sein de la Chambre basse ont approuvé un projet de loi qui réserverait la moitié de toutes les places dans les universités publiques aux étudiants qui ont fini leurs trois dernières années du cours secondaire dans le système éducatif public. Le projet de loi a pour but de favoriser les étudiants défavorisés dont les familles n’ont pas les moyens de les envoyer dans des écoles privées qui donnent l’avantage aux enfants de milieux riches et de classes moyennes lorsqu’il s’agit de l’admission dans les meilleures universités, qui sont publiques. Le quota réservé aux diplômés des écoles publiques inclurait une part exclusivement destinée aux étudiants noirs et indigènes, proportionnelle à leur présence dans chacun des 26 Etats du Brésil, selon le projet de loi.

L’administration Lula « est sur la bonne voie », malgré les difficultés et insuffisances, dans ses efforts pour venir à bout de la discrimination que les Noirs ont toujours subie au Brésil, un pays marqué par une inégalité sociale et économique extrême, a déclaré Rocha. Les visites du président en Afrique ont contribué à « donner de la visibilité à ces questions », a-t-il souligné.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2877.
 Traduction Dial.
 Sources (espagnol) : ADITAL novembre 2005 et IPS, août-15 février 2006.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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