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MEXIQUE - Les diacres dans le diocèse de San Cristobal de las Casas, au Chiapas

Bertrand Jégouzo

samedi 31 mars 2007, mis en ligne par CEFAL

Il se passe au Mexique, dans le diocèse de San Cristobal de las Casas, un événement ecclésial dont l’enjeu est important. Il faut s’y arrêter un instant.

Pendant 40 ans à la tête du diocèse, Mgr Samuel Ruiz avait choisi d’ordonner diacres de nombreux indigènes mariés. Ces hommes répondaient aux critères énoncés par St Paul dans le Nouveau Testament : « Il faut que le dirigeant soit un homme irréprochable : mari fidèle à sa femme. Qu’il dirige bien sa famille et maintienne ses enfants dans l’obéissance, en toute dignité. » 1Tim 3 1-13. Le diocèse comporte aujourd’hui 335 diacres, pour un total de 80 prêtres.

Par cette décision, Mgr Ruiz s’est donné les moyens d’avoir des responsables ecclésiaux, reconnus et de qualité, pour gérer pastoralement l’ensemble des nombreuses communautés villageoises indiennes dispersées dans la campagne. Ainsi, le troupeau ne reste pas sans pasteurs.

D’autre part, il en va d’une inculturation de la foi chez les peuples indigènes. Dans ces communautés, comme d’ailleurs en Afrique et dans les sociétés de tradition orale, vivant en précarité, l’accès au mariage est vu comme un devoir social et une responsabilité, vis à vis de l’ensemble du groupe. En se mariant, on accède à des savoirs vitaux pour le groupe. Ces savoirs sont transmis par les anciens. On devra les transmettre à son tour pour que le peuple vive. Refuser de se marier, c’est ne pas vouloir être solidaire de son peuple. Dans ce contexte culturel, on peut estimer que la personne célibataire ne donne pas nécessairement un témoignage à l’évangile. Elle fait plutôt preuve d’une inadaptation sociale, d’une immaturité et d’un refus de vivre la solidarité avec le groupe. Elle n’a d’ailleurs pas le droit à la parole au cours des assemblées villageoises.

Mgr Ruiz a raconté, dans une conférence à Paris, comment un de ses prêtres, proche des gens et estimé d’eux avait vu, un jour, tous les villageois de la zone arriver en fête à son presbytère. Les gens étaient parés de leurs plus beaux habits. Tous les orchestres des villages étaient là. Le prêtre, curé de la paroisse, les a reçus, ne comprenant pas ce qui se passait. Le jour en question ne correspondait à aucune fête patronale, ni chrétienne, ni indienne. L’ « ancien », responsable de la communauté indienne, a pris la parole. Pendant un moment assez long, il a félicité le prêtre pour son travail, pour la proximité avec eux dont il avait fait preuve. Le prêtre se demandait où le paysan indien voulait en venir. Après maintes circonvolutions, l’indien en est venu au fait. Il trouvait le curé formidable, mais il estimait qu’il lui manquait une seule chose : il fallait que le curé se marie pour être vraiment solidaire d’eux. Et d’ailleurs, tout était prévu. Le responsable indien avait amené une de ses filles qui était parée et prête pour la célébration du mariage. Ce fait éclaire la pratique pastorale de Mgr Ruiz. En ordonnant diacres des hommes mariés religieusement dans la foi catholique, en respectant des dimensions humaines et chrétiennes d’une société, on ne pose aucun obstacle à l’annonce de l’Évangile de la Résurrection de Jésus, bonne nouvelle pour les pauvres et les opprimés.

Le successeur de Mgr Ruiz à la tête du diocèse a maintenu cette option pastorale, la trouvant adaptée à la situation historique de ces peuples du Chiapas et adaptée à l’urgence de l’annonce de l’évangile.

Par contre, cette option a été interdite par l’église de Rome qui craint la remise en cause du rite latin du célibat des prêtres. Le préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements a informé l’évêque de « San Cristóbal de las Casas » que les ordinations de diacres permanents étaient suspendues dans son diocèse.

Le théologien et prêtre mexicain issu de la communauté « zapothèque », Eleazar López Hernández, principal promoteur de la théologie indienne a écrit : « Les évêques et les fidèles du diocèse de San Cristóbal ont accepté la décision prise à Rome et poursuivront, non sans douleur, leur action pastorale et leur accompagnement des communautés indigènes de la zone en intégrant les prescriptions supérieures. Avec l’aide de Dieu, ces communautés trouveront des formes nouvelles et meilleures de vivre cette inculturation de leur foi et leur engagement chrétien, malgré les restrictions imposées ».

Le « conseil des diacres » du diocèse a organisé une manifestation. L’évêque, mgr Arizmendi, a alors déclaré : « Ce n’était pas une marche de protestation, mais un pèlerinage pour demander à Dieu de nous aider à discerner en quoi nous avons failli et dans quels domaines nous avons à nous corriger. »

Dans le cadre de la Mission de l’Église, l’inculturation reste un défi. La revue souhaite être un lieu de débat, d’échanges sur cette question vitale pour l’évangélisation. On peut aussi espérer et souhaiter que les évêques d’Amérique Latine qui vont se réunir à Aparecida au Brésil, en mai 2007, dans le cadre de la V° Conférence du CELAM (le Conseil Épiscopal latino – américain), continuent la réflexion et l’élaboration de réponses créatrices dans l’Esprit promis par Jésus pour cheminer ensemble fraternellement vers le Père commun.

Bertrand Jégouzo.


Publication originale dans la revue Mission de l’Église, hors série n°154, janvier-mars 2007.

Republication par demande de l’auteur.

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