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HONDURAS - Anatomie politique après le coup d’État

Carolina Bardales

lundi 13 novembre 2017, mis en ligne par Françoise Couëdel

1er novembre 2017.

En juin 2009, le Parlement du Honduras et les groupes de pouvoir – avec l’assentiment du gouvernement des États-Unis – ont perpétré un coup d’État contre un gouvernement constitutionnel qui bénéficiait d’un énorme soutien du peuple : des organisations syndicales, professionnelles, éducatives, environnementalistes, indiennes, garifunas, paysannes et citoyennes en général. Les exécutants du coup d’État ont argué que le gouvernement avait été renversé parce qu’il voulait voter la réélection du président, interdite par la Constitution de 1982.

Un grand nombre des auteurs du coup d’État appartenaient aux cadres du Parti libéral (PL), parti majoritaire qui réunissait des personnes de la droite et du centre gauche, ce qui a eu pour résultat de diviser ce dernier car une grande partie du centre-gauche a désapprouvé cette action de leurs dirigeants. Les dissidents, avec l’appui d’autres honduriens défenseurs de la démocratie, ont organisé la résistance contre le coup d’État (FNRP). En 2011 le FNRP a donné naissance à deux nouveaux partis politiques : le parti Liberté et Refondation (LIBRE, de centre gauche) et le Parti anticorruption (PAC, du centre).

La fracture du PL, en 2009, ouvrait la voie au Parti national (PN, parti d’extrême droite) pour qu’il se déclare vainqueur, lors d’élections verrouillées, avec un taux d’abstention de 80%, qui s’explique par le retrait des candidatures de nombreux membres du PL et indépendants conscients de ce que la seule façon de restaurer la démocratie après un coup d’État est de convoquer une Assemblée nationale constituante. En conséquence, à partir de 2010, le PN avec une majorité absolue au Parlement, a eu la voie libre pour tout faire et défaire à sa guise. Profitant de cette conjoncture, Juan Orlando Hernandez (JOH) – un personnage machiavélique, fasciste, aux ambitions démesurées – a imaginé un plan macabre pour implanter une dictature dans ce pays d’Amérique centrale.

Le plan consistait à prendre le contrôle des trois pouvoirs de l’État, (législatif, exécutif et judiciaire), du Tribunal suprême électoral (TSE), des Forces armées, du Registre national des personnes (RNP), du Ministère public(MP) et d’autres institutions clés de l’appareil d’État.

La mise en œuvre de ce plan a débuté en août 2013, quand le Parlement (présidé par JOH) a porté un nouveau coup à la démocratie en destituant (sans avoir la compétence pour le faire) quatre des cinq magistrats de la Salle constitutionnelle de la Cour suprême de justice (CSJ) [1]. Résultat de cette manœuvre douteuse, JOH – alors candidat à la présidence pour le PN – a pu nommer des magistrats qui plus tard lui ouvriraient le chemin vers la réélection. Cette même année, JOH a intrigué pour changer tous les membres du haut commandement militaire et policier, et nommer à ces postes des membres de sa famille et des amis. Ce fut le début de la militarisation du pays à laquelle on assiste et à propos de laquelle le Conseil des Droits humains de l’ONU a fait connaître sa préoccupation en maintes occasions. [2].

En janvier 2014, JOH a fait en sorte que le Parlement nomme de nouveaux magistrats au TSE. Cette nomination devait avoir lieu en mai 2014 et était de la responsabilité du Parlement nouvellement élu en novembre 2013 [3].

Grâce à une campagne électorale politiquement déloyale à l’égard d’autres organisations politiques, financée en outre par de l’argent volé à la sécurité sociale et grâce à une fraude électorale, JOH a été déclaré « vainqueur » des comices présidentiels de 2013. Concernant ces élections, la Mission d’observation de l’Union européenne (MOE-UE) a publié un rapport de soixante-quatre pages dans lequel elle fait certaines recommandations [4] parmi lesquelles figurent : dépolitiser le Tribunal suprême électoral et y intégrer des représentants des nouveaux partis politiques (LIBRE et PAC).Ces recommandations et d’autres devaient être mises en application pour les élections de 2017, mais faute de volonté politique du gouvernement de facto et l’absence de pression de la part de l’Union européenne, elles n’ont pas été prises appliquées.

En avril 2015, JOH a fait en sorte que 15 députés et l’ex président Callejas présentent à la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice un recours pour dépénaliser l’article 239 de la Constitution, qui interdit la réélection [5]. La chambre constitutionnelle – au service de JOH – a déclaré inconstitutionnel cet article. Il faut souligner que cet article ne peut pas être modifié, il est gravé dans le marbre, intangible, car il a été rédigé dans l’intention d’éviter la résurgence de dictatures. En conséquence, la seule voie légale pour ratifier la réélection est que le peuple souverain, par la voie d’une Assemblée nationale constituante, déroge à la constitution actuelle et en adopte une nouvelle.

Les partis politiques PAC, LIBRE et PINU (socio-démocrate), ainsi que d’autres organisations ont déposé plusieurs recours en nullité contre la réélection, mais la CSJ, au service de JOH, les a déclarés irrecevables. [6]. En outre, le Ministère public et les Forces armées qui étaient dans l’obligation de procéder d’office et de destituer JOH de sa charge – en application de l’article 239 de la constitution – ont gardé le silence.

Protégé par la résolution de la CSJ, le TSE a autorisé l’inscription de JOH au titre de candidat présidentiel aux élections primaires de mars de cette année. Paradoxalement, ceux qui ont perpétré le coup d’État de 2009, supposant que le président de cette époque-là avait l’intention de se faire réélire, gardent maintenant le silence. Cela ressemble beaucoup à la situation décrite dans le poème de Martin Niemöller « Quand vinrent les nazis ».

Dans ce contexte, comment interpréter les prochaines élections présidentielles de novembre 2017 ?

Selon l’opinion et le ressenti du peuple hondurien, les élections de novembre prochain – de même que celles de 2013 et 2009 – font figure de prolongation du régime de fait instauré en juin 2009 et qui est devenu une dictature. Pour les élections de novembre 2017 ce n’est pas l’élection des autorités qui est en jeu, comme cela pourrait être le cas dans une élection normale. Il s’agit de restaurer la démocratie a minima et d’éviter le danger d’une consolidation d’un système dictatorial dans le style de celui de Recep Tayyip Erdogan en Turquie.

Que se passe-t-il actuellement au Honduras ?

Le Parti national a instauré une dictature qui n’a pas le soutien du peuple mais qui se maintient grâce à la militarisation et le contrôle absolu des institutions de l’État. Ce qu’on observe de manière générale aujourd’hui est :

 1.- La poursuite systématique et l’assassinat de journalistes, d’avocats, de défenseurs de droits humains, d’environnementaliste, de dirigeants étudiants et enseignants, de syndicats et de tout citoyen qui ose dénoncer les atrocités de la dictature.

 2.- Une militarisation de la société dans le but de réprimer la contestation sociale, de susciter la peur chez les citoyens et de maintenir à tout prix le régime actuel.

 3.- Une violation permanente de la constitution et des lois annexes.

 4.- Une violation massive des droits humains

 5.- Un narco-État qui encourage le trafic de drogues, la corruption et le crime organisé

 6.- Une détérioration des conditions de travail par la non-application du code du travail, de la législation du travail, la création du travail temporaire et l’obligation d’être inscrit au PN pour postuler à un emploi public.

 7.- L’expropriation, sans jugement préalable, des biens de citoyens qui ne sont pas dans la ligne du régime (y compris des membres du PN) ; jusqu’à des emprisonnements, sans preuve de culpabilité consécutive à un jugement.

 8.- La restriction de la liberté d’expression par le biais d’assassinats de journalistes et la fermeture de moyens de communication : quotidien Tiempo, Globo TV et Radio Globo.

 9.- La criminalisation des manifestations, avec suspension de la liberté de réunion, d’association et de mobilisation, qui assimile la revendication sociale au « terrorisme » (par le biais de la loi antiterroriste).

 10.- Abdication de la souveraineté et du contrôle du territoire national – au profit des corporations transnationales par l’octroi de concessions minières pour des périodes illimitées – y compris des espaces protégés et des zones classées patrimoine national.

 11.- La poursuite de citoyens qui représentent un obstacle à la radicalisation du régime, y compris de dirigeants même du PN : par exemple Rafael Callejas, impliqué dans le FIFA Gate, qui a été extradé aux États-Unis avec la totale collaboration de ce gouvernement. Un autre exemple est la poursuite des propriétaires de moyens de communication critiques envers le régime, comme c’est le cas de la famille Rosenthal.

Pourquoi 8 ans après le coup d’État n’a-t-il toujours pas été possible de restaurer l’État de droit ?

En 2009, la communauté internationale avait déclaré qu’elle ne donnerait pas son aval à des élections qui se dérouleraient sous un régime de facto, sous un régime répressif et en état de siège. En conséquence le gouvernement élu ne serait pas reconnu. Grand était l’espoir du peuple que la démocratie soit rétablie en quelques mois : le nouveau gouvernant de facto, ne pouvant compter sur le financement et l’aide internationale, démissionnerait et convoquerait une Assemblée nationale constituante que le peuple réclamait. Malheureusement, en février 2010 – trahissant le peuple hondurien – les pays de l’Union européenne ont renoué leurs relations diplomatiques avec le nouveau gouvernement de facto –avalisant le coup d’État – et donnant ainsi le feu vert aux putschistes pour qu’ils disposent du pays à leur guise. C’est ce qui se produit maintenant.

Quel espoir y a-t-il actuellement que les choses s’améliorent ?

La restauration de l’État de droit ne peut s’obtenir que grâce à une conjonction de facteurs endogènes et exogènes. Au niveau interne, le peuple a manifesté et exigé le renoncement du gouvernant de facto. Restaurer la démocratie dans ce pays d’Amérique centrale suppose que les actions du peuple soient fortement soutenues par la communauté internationale. Il en est ainsi car le régime dictatorial se maintient par l’usage de la force : face à des milliers de militaires dans les rues exhibant des armes de guerre israéliennes et le contrôle absolu des institutions de l’État, le peuple est sans défense.

Actuellement, les partis de l’opposition au régime sont en passe de constituer une alliance large pour participer aux élections de novembre prochain. Si les conditions étaient réunies pour garantir des élections libres de toute fraude électorale, l’alliance pourrait gagner et restaurer l’État de droit.

Actuellement, l’Europe commence à jouer un rôle plus important dans les relations diplomatiques avec l’Amérique latine. Elle prend de la distance avec la politique antidémocratique des États-Unis. En conséquence, l’Union européenne pourrait exercer des pressions pour que le gouvernement de facto mette en application les recommandations de la Mission d’observation électorale que l’Union européenne a émises en 2014. Cela garantirait des élections transparentes et conduirait donc à la restauration de la démocratie au Honduras. En outre, l’Europe pourrait exiger aussi que la Mission d’appui contre la corruption et l’impunité (MACCIH) – qui se limite à une fonction représentative – se voie octroyer des pouvoirs pour rechercher et juger les crimes commis depuis le coup d’État.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/188983.

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