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Les nouvelles règles du commerce électronique font peser des risques sur l’agriculture des pays en développement

Jane Kelsey

mercredi 10 janvier 2018, mis en ligne par Françoise Couëdel

Les technologies digitales peuvent offrir de nouvelles informations et des possibilités de marché au secteur agricole des pays en développement, y compris aux petits producteurs sur les marchés locaux. Les gouvernements ont besoin de souplesse pour pouvoir mettre en place des stratégies à moyen terme pour développer ce potentiel.

Dans le même temps, la dépendance face aux technologies digitales peut accentuer davantage encore la domination du marché par une partie de l’agro-industrie intégrée verticalement et par les entreprises transnationales qui contrôlent les chaînes d’approvisionnement nationales et mondiales à tous les niveaux : production, transport, commercialisation, distribution, plateformes en ligne, et paiements opérés sur les marchés digitaux.

Une domination accrue accentuera les pressions sur les coûts, le remplacement de la main d’œuvre par les nouvelles technologies et la création d’aliments artificiels par l’impression 3D, constitueront bientôt de nouvelles menaces.

Les entreprises agricoles globales comme Monsanto et John Deere sont en passe de s’imposer en monopolisant ces données. Leur nouveau modèle commercial regroupe des données micro sur les pratiques et les conditions des exploitations, les utilisent pour contrôler toute la filière agricole et la chaîne de valeur, depuis la planification des cultures jusqu’à l’investissement dans des opérations commerciales à venir sur les marchés des produits agricoles.

Les micro-entreprises et les PME ont déjà exprimé leurs préoccupations concernant la concentration qui est déjà manifeste sur les marchés des plateformes de commerce électronique, les modes de paiements électroniques et les services de livraison transfrontaliers.

Les normes sur le commerce électronique que promeuvent l’OMC et d’autres accords commerciaux internationaux, en particulier le Partenariat transpacifique (TPP) limiteront la capacité des pays à profiter de ce potentiel et intensifiera la puissance de marché de ceux qui sont déjà positionnés et ne contribuera en aucune manière ni à réduire la fracture numérique, à donner plus de pouvoir aux pays en développement et aux petits agriculteurs, ni à garantir la souveraineté alimentaire.

Les données agricoles sont des ressources précieuses, individuelles, communautaires et nationales. Les règles proposées promeuvent un flux global de données qui permet aux corporations agricoles globales un contrôle presque total des données agricoles, en tout lieu, leur conférant un contrôle effectif sur les chaînes de valeur concernant les données agricoles que ces corporations mobilisent.

Ces risques sont aggravés par le manque chronique d’accès fiable à l’électricité et à internet dans les pays en développement, plus particulièrement dans les zones rurales. Tant que ne seront pas résorbés la fracture numérique et le déficit d’infrastructures, les petits et moyens agriculteurs courent le risque de se voir davantage marginalisés des marchés dont dépendent leur moyen de subsistance.

Les risques spécifiques du modèle basé sur le TPPA pour l’agriculture, les agriculteurs et les modalités alimentaires sont multiples :

 L’accès au marché digital pour les pays en développement et les petits producteurs, les choix de consommation sont coûteux, et les coûts sont fixés par ceux qui contrôlent les plateformes (La moitié de toutes les recherches d’achat en ligne commencent directement sur Amazon.com. En conséquence si une PME souhaite vendre en ligne elle doit inscrire ses produits sur Amazon.com pour atteindre la moitié de tous les acheteurs en ligne).

 Lorsque qu’on y accède les plateformes opèrent par l’intermédiaire d’algorithmes (reposant sur du code informatique) qui bénéficient aux entreprises elles-mêmes, aux fournisseurs favoris (comme l’ont démontré les récentes accusations contre Google de pratiques anticoncurrentielles) et aux placements de produits sponsorisés. Les règles du commerce électronique disent que les gouvernements ne peuvent pas exiger la divulgation de ces codes sources, ce qui permet aux pays qui sont les géants de la technologie de contrôler le marché global.

 On ne pourra pas exiger des opérateurs extraterritoriaux de plateformes électroniques d’acquisitions et de distribution qu’ils aient une présence physique dans le pays, ce qui rendra difficile d’imposer et d’appliquer une politique nationale de concurrence, la protection du consommateur, l’application du code du travail, du code pénal et le respect des contrats.

 Le renforcement des engagements des pays à fournir des services transfrontaliers (mode 1) et la présence de corporations étrangères (mode 3) utilisant les technologies digitales « disruptives » augmentera les pratiques actuelles exclusives, au niveau mondial, des contrats établis selon des normes globales privées, d’exigences d’échelle et de vérifications techniques avancées, de délais rigides et de contrats de livraison transitoires et incertains.

 Il sera impossible d’exiger des opérateurs de plateformes digitales et des corporations qui opèrent depuis l’étranger, un transfert de technologie qui puisse développer la capacité locale, pas plus que l’utilisation des équipements informatiques locaux pour garantir la construction d’infrastructures locales, ni même une présence physique dans le pays, toutes choses qui générerait des investissements et des emplois.

 Les transactions financières spéculatives sur les produits de base du futur et sur des marchés spot menacent déjà la viabilité du secteur agricole et de ses producteurs. Les engagements des services financiers du mode 1, y compris les échanges de gré à gré, protègent ces marchés de la régulation nationale. Il sera impossible d’exiger la divulgation des algorithmes et du code source qui encouragent ce commerce spéculatif.

Sans une politique effective de concurrence globale, l’agenda du commerce électronique renforce les monopoles imposés par l’Accord des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) sur les semences, l’ingénierie génétique et les technologies agricoles. Les politiques de la Banque mondiale pour privatiser la terre et l’eau et les traités bilatéraux d’investissements qui protègent les investissements étrangers, tout autant que les politiques déséquilibrées du commerce agricole mettent en péril les exportations des pays en développement et la souveraineté alimentaire.


Jane Kelsey est Professeure à l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/189780

Version en anglais : https://www.alainet.org/es/node/189765

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