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CUBA - Enjeux politiques et économiques dans un contexte préélectoral

Arantxa Tirado

lundi 12 février 2018, mis en ligne par Françoise Couëdel

1er février 2018.

Cuba s’achemine vers un nouveau processus électoral qui permettra, le 11 mars prochain, de renouveler la moitié des députés de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire (Assemblée nationale). Ces députés élus seront chargés de nommer le nouveau président cubain, par conséquent président du Conseil d’État et chef du Gouvernement qui ne sera plus Raúl Castro. Ce dernier avait annoncé lors des VIe et VIIe Congrès du Parti communiste de Cuba (PCC) « qu’il convenait de limiter à deux mandats de cinq ans l’exercice des principales charges de la nation » [1]. Pour ce qui le concerne, son mandat arrivera à échéance quand, le 19 avril, sera constituée la nouvelle Assemblée nationale.

Le nouveau président sera-t-il issu du groupe des députés qui sont encore des dirigeants historiques (ceux qui ont participé aux premières années de la Révolution), comme José Ramón Machado Ventura ou Ramiro Valdés, ou issu de ces cadres qui appartiennent à des générations plus jeunes, parmi lesquels se distingue l’actuel vice-président Miguel Diaz-Canel ? Bien que tout indique que la balance penchera vers un renouvellement générationnel des dirigeants les paris sont toujours ouverts.

Tandis que les assemblées municipales éliront leurs candidats qui seront députés de l’Assemblée nationale [2], l’ensemble du pays doit relever le défi de l’actualisation du modèle économique et social du socialisme cubain, en mettant en application les Orientations de la politique économique et sociale du Parti et de la Révolution pour la période 2016-2021 [3] approuvées, dans leur version actualisée, lors du VIIe Congrès du PCC d’avril 2016, et par l’Assemblée nationale, en juillet de cette même année. Néanmoins il convient de souligner que le débat sur les orientations n’est pas récent car la première version a été approuvée lors du VIe congrès de 2011 [4].

Cette mise en application se déroule au milieu d’un débat sur l’orientation que doit prendre le pays dans sa perspective de perfectionnement du socialisme. À la différence de ce que publie généralement la majorité des médias occidentaux, à Cuba il existe des versions différentes de l’orientation économique (et politique) dont l’île a besoin. Des visions qui, grosso modo pourraient se résumer à conceptions étatiques, économicistes et autogestionnaires [5]. Les trois conceptions seront certainement représentées dans la nouvelle Assemblée nationale ce qui pourrait susciter des conflits.

Par ailleurs, comme les dirigeants eux-mêmes le reconnaissent, les problèmes de l’actualisation du modèle « ont été plus complexes que ce que nous pensions. » [6]. Cette actualisation doit se faire dans un contexte économique difficile, avec de nombreuses tensions, certaines fruits de facteurs exogènes, comme le blocus, le passage de l’ouragan Irma, la sécheresse ou l’impact sur l’île des fluctuations économiques internationales, concrètement dans le secteur des hydrocarbures [7] et autres, produits de facteurs endogènes qui sont liés aux spécificités de l’économie cubaine.

Ce sont des défis qui supposent la conjugaison d’une politique économique, plus efficace pour le développement du pays, qui n’aggrave pas les inégalités existantes dans la société cubaine depuis l’introduction des mesures de captation des devises, initiées durant la Période spéciale dont Cuba a souffert après l’effondrement de L’Union soviétique (à partir de 1989). De fait, mettre fin à la double monnaie est une des propositions des dirigeants cubains, à moyen ou long terme. Selon les propos de Raúl Castro du 21 décembre 2017, lors de son allocution à l’Assemblée nationale qui clôturait la Xe période ordinaire de sessions de la VIIIe législature : « […] la dualité monétaire et cambiaire […] favorise l’injustice de la pyramide inversée selon laquelle plus la responsabilité est grande moins les rétributions sont importantes ce qui explique que les citoyens capables ne se sentent pas motivés à travailler légalement ; en même temps on décourage la promotion à des postes supérieurs des travailleurs les meilleurs, les mieux formés et les cadres, ce qui pousse certains à s’orienter vers le secteur non étatique [8]. L’idée fondamentale est d’obtenir, en outre, que le travail devienne la première source de revenus de la population [9].

Un autre point critique est celui de satisfaire la demande croissante de consommation des Cubaines et des Cubains [10] aussi bien de ceux qui ont accès aux meilleurs revenus, car ils ont des membres de la famille à l’extérieur, ou sont établis à leur compte, ou affiliés à une des coopératives non agricoles nouvellement créées. Mais le défi à relever aussi est de garantir la consommation aux secteurs les plus vulnérables de la société cubaine que constituent les retraités et les travailleurs d’État, dont les revenus sont très inférieurs à ceux que perçoivent les Cubains qui ont accès aux devises, en particulier dans le secteur du tourisme. Effacer les disparités et harmoniser la coexistence des nouvelles formes économiques du secteur non étatiques avec celles du secteur étatique est au centre des préoccupations du gouvernement cubain.

L’implication des jeunes dans la vie politique cubaine, de cette génération connue comme celle de la Période spéciale [11]représente aussi un défi pour les dirigeants actuels. Offrir des perspectives de vie attractives à cette jeunesse, de plus en plus bombardée par les styles de vie de la société capitaliste, pour s’assurer qu’ils resteront sur l’île et n’émigreront pas, semble être un élément à prendre en compte pour l’avenir du socialisme cubain. De fait, les agences d’intelligence états-uniennes sont très conscientes de l’importance de séduire ces secteurs de la population pour les utiliser comme cheval de Troie susceptible de provoquer un changement de l’intérieur. Pour cette raison, depuis des années, elles s’efforcent de les attirer grâce à différents programmes financés par l’Agence des États-Unis pour le Développement international (USAID). Un des plus connus a été le Zunzuneo [12]. L’annonce récente du Département d’État de créer, pour Cuba, un Groupe de travail par internet est à situer dans cette même perspective [13].

En toile de fond, sans aucun doute, on envisage la détérioration des relations bilatérales entre Les États-Unis et Cuba avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Avec le recul des certaines avancées, depuis décembre 2014, les possibilités économiques qui s’ouvraient avec la « normalisation » des relations entre les deux pays, en termes de commerce avec des entreprises états-uniennes, grâce à réductions de coût et de durée de transport, ou la possibilité d’attirer des touristes états-uniens, ont été frustrées pour la partie cubaine mais aussi pour une bonne part de l’establishment économique états-unien qui voyait un intérêt à commercer avec l’île [14].

En dépit de ce recul, qui est plus préjudiciable pour les États-Unis que pour Cuba, l’île continue à parier sur la diversification de ses relations économiques internationales et, en 2017, elle a connu une augmentation du nombre de ses visiteurs de 11,9% [15]. En outre elle poursuit la tâche d’attirer l’investissement étranger dans des projets clés comme celui de la Zone spéciale de développement Mariel [16], car celle-ci est vouée à jouer un « rôle fondamental dans le développement économique du pays », selon ce qui est établi par le Plan de l’économie 2018 [17]. Pour ce qui concerne les relations de la République de Cuba avec l’Amérique latine et la Caraïbe, les attaques contre son principal allié politique (et second partenaire commercial après la Chine [18], le Venezuela bolivarien, place Cuba dans une situation de vulnérabilité. Malgré cet obstacle Raúl Castro a ratifié « la coopération avec le gouvernement et le peuple vénézuéliens, en dépit des circonstances les plus adverses » [19].

Le socialisme cubain, en définitif, doit relever le défi de s’adapter à l’environnement géopolitique d’un système international très différent de celui qui provoqué sa naissance, lors de la période de bipolarité de la Guerre froide. Une entreprise dans laquelle les nouvelles générations, déjà nées sous la Révolution, vont jouer un rôle déterminant, mais sous le regard attentif des dirigeants historiques. À partir du 19 avril nous saurons si la page qui va s’écrire sera celle de la continuité ou de la rupture.


Arantxa Tirado est chercheuse au CELAG.

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : http://www.celag.org/cuba-retos-politicos-economicos-contexto-pre-electoral

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