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DIAL 3458

COLOMBIE - L’entrée du pays dans l’OTAN, cheval de Troie pour l’Amérique latine

Raúl Zibechi

vendredi 22 juin 2018, mis en ligne par Dial, Raúl Zibechi

Cet article de Raúl Zibechi, publié par Sputnik le 5 juin 2018 analyse les implications géopolitiques de l’entrée de la Colombie dans l’OTAN en tant qu’« associé global ».


L’entrée de la Colombie dans l’OTAN s’est concrétisée le 31 mai 2018 et a pour objectif le contrôle de la région. D’un point de vue géopolitique, c’est une porte d’entrée des États-Unis en Amérique du Sud pour déstabiliser le Venezuela, mais aussi pour discipliner les mouvements populaires.

C’est le seul pays d’Amérique latine qui assume le rôle d’« associé global » de l’Alliance Atlantique ce qui en fait un allié privilégié des pays du Nord au même titre que l’Afghanistan, l’Australie, l’Irak, le Japon, la République de Corée, la Mongolie, la Nouvelle-Zélande et le Pakistan.

Même si la Colombie n’est pas membre à part entière de l’OTAN, puisqu’elle n’appartient pas à la région de l’Atlantique Nord, elle jouera un rôle important dans la coopération militaire et dans les tâches que lui assigneront les pays les plus puissants du monde.

Du point de vue géographique, la Colombie occupe une situation privilégiée car elle est le seul pays sud-américain qui a des côtes sur l’océan Pacifique et sur la mer des Caraïbes. Elle a des frontières perméables avec le Venezuela et elle est limitrophe de l’Équateur et du Brésil.

Pour cette raison, la Colombie joue un rôle central dans la stratégie des États-Unis envers la région. Nicolas Spykman [1] (1893-1943), le théoricien géopolitique dont l’influence sur la politique extérieure des États-Unis au XXe siècle a été la plus importante, considérait que les pays caribéens, y compris la Colombie et le Venezuela, constituaient une zone d’influence où « la suprématie des États-Unis ne peut être mise en question ».

C’est l’une des raisons pour lesquelles les pays les plus riches du monde ont décidé que la Colombie doit intégrer tant l’OTAN que l’OCDE, et le faire simultanément, signant ainsi un chèque en blanc à l’élite de ce pays en laquelle ils semblent avoir pleine confiance.

La deuxième raison est à caractère militaire. D’après le classement 2013-2014 de la Military Power Review, l’armée colombienne s’est hissée du cinquième au deuxième rang sud-américain, derrière le Brésil, « grâce à l’importante aide militaire des États-Unis dans le combat contre le narcotrafic, qui a mis l’accent sur les services de renseignement, la modernisation et la professionnalisation de son armée ».

Parallèlement, le budget militaire de la Colombie est, de loin, le plus important de la région, d’après le « Bilan militaire de l’Amérique du Sud 2017 » publié par le centre d’études Nueva Mayoría. Bogotá consacre 3,4 % de son PIB annuel à la défense contre 1,3 % pour le Brésil et 1 % pour l’Argentine (2016). Si l’on mesure la dépense militaire en pourcentage par rapport au budget de la nation, la Colombie consacre pas moins de 15 % au budget de la défense contre 7% pour l’Équateur et 6 % pour le Venezuela.

Il faut ajouter à ces dépenses énormes la fourniture d’équipements par les États-Unis. Mais ce qui place l’armée colombienne en première positionsur le continent, c’est sa capacité d’action sur le terrain. La longue guerre contre les guérillas, et en particulier les FARC, leur a permis d’acquérir une grande expérience et une capacité de combat et d’action directe, ce qui n’est pas le cas pour les armées des autres pays de la région, qui ne sont pas impliqués dans des combats sérieux depuis au moins trois décennies (la guerre des Malouines en 1982 a opposé l’Argentine et la Grande-Bretagne et s’est soldée par une déroute fracassante de la première).

Le troisième point qui explique l’option du Nord pour la Colombie est lié à sa longue expérience dans le contrôle des mouvements populaires. Le pays a été un laboratoire en ce qui concerne la neutralisation des mobilisations sociales, qui ont été contenues grâce à une habile combinaison de répression, d’infiltration et de cooptation. La Colombie est de fait le seul pays d’Amérique latine où la vieille oligarchie de la terre et la croix a conservé sa position dominante depuis l’indépendance, il y a déjà deux cents ans.

Le rôle qui lui est semble-t-il assigné consiste à exporter le modèle d’utilisation du narcotrafic pour faire face aux mouvements populaires avec un coût politique minime et sans atteinte à la légitimité de l’armée. Le général Oscar Naranjo, actuel vice-président, a été le chef de la Police de Colombie et conseiller à la sécurité du président mexicain Enrique Peña Nieto entre 2012 et 2014, date de son retour à Bogotá.

Naranjo est considéré comme « le meilleur policier du monde » pour avoir démantelé les cartels de Cali et Medellín, et pour avoir dirigé en 1993 l’opération qui mit fin à la vie de Pablo Escobar. Cependant il a été accusé en Colombie d’entretenir des relations directes avec les chefs du narcotrafic, avec lesquels il maintenait auparavant de bonnes relations, comme l’explique la journaliste Carmen Aristegui.

Le journaliste et chercheur Carlos Fazio le présente ainsi : « Diplômé en montages médiatiques et autres truquages malhonnêtes, Naranjo, créature de l’Agence antidrogue des États-Unis (DEA) et produit d’exportation de Washington vers le sous-continent, est sous le coup d’un mandat d’arrêt pour assassinat, émis par un tribunal de Sucumbíos, en Équateur, et a été impliqué dans le procès qui se déroule actuellement à la cour du district Est de la Virginie, aux États Unis, à cause de ses liens avec l’ex capo du Cartel du Nord de la Vallée (du Cauca), Wílber Varela ».

Pour cette raison, Fazio le définit comme étant « l’un des architectes de l’actuelle narcodémocratie colombienne » caractérisée par une façade électorale, que l’on appelle démocratie, combinée avec la guerre sale contre les mouvements populaires.

La « colombianisation » du Mexique a pour résultat l’assassinat de plus de 200 000 personnes et la disparition de 40 000 autres dans la dénommée guerre contre le narcotrafic qui est en réalité une agression sans précédent contre les secteurs populaires organisés, les femmes pauvres et les peuples indiens.

En résumé, on a remis à la Colombie la clé du contrôle géopolitique de la région (avec une attention particulière au Venezuela) et de la mise au pas de la dissidence sociale. Les stratèges du Pentagone ont compris à un certain moment que l’histoire récente durant laquelle l’action populaire a fait tomber une dizaine de gouvernements alliés de Washington dans les décennies 1990 et 2000, ouvrant des fissures par lesquelles des forces politiques contraires aux États-Unis arrivèrent au pouvoir.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3458.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Sputnik Mundo, 5 juin 2018.

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[1Voir Raúl Zibechi, « La tercera guerra fría en América Latina », La Jornada, 4 avril 2014. http://www.jornada.com.mx/2014/04/04/opinion/019a2pol.

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