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ARGENTINE - Vaca Muerta : la communauté mapuche a été acquittée

Lavaca

mercredi 22 mai 2019, mis en ligne par Dial

En février 2018, DIAL avait consacré deux textes aux conflits autour de la zone de Vaca Muerta, dans la province de Neuquén (Patagonie argentine), où a été initié un projet de grande ampleur d’extraction d’hydrocarbures non conventionnels par la technique du fracking [1] Un an et deux mois plus tard, une bonne nouvelle nous donne l’occasion d’en reparler : pour une fois, la justice s’est prononcée contre les puissants ! Texte publié sur le site de la coopérative Lavaca, le 23 avril 2019.


La communauté mapuche de Campo Maripe qui avait été accusée d’usurpation dans la zone de Vaca Muerta, a été acquittée par le juge des garanties, Gustavo Ravizzoli, qui a considéré qu’il ne peut y avoir usurpation d’un territoire qu’ils habitent ancestralement, fait reconnu et protégé par la Constitution nationale, la Constitution provinciale et les pactes internationaux. Le verdict a été célébré par une salle très émue. « Ce qui change, c’est la reconnaissance que, pour pénétrer sur ce territoire il faut respecter tout ce qui est dit et non fait : régulariser la propriété de la terre, accorder la personnalité juridique aux communautés, et appliquer le droit à la consultation avant de pouvoir toucher à un seul mètre de terre » a déclaré à Lavaca Jorge Nawel, de la Confédération mapuche de Neuquén. Suit aussi le communiqué complet des Mapuche.

Quand vers 14 heures on a entendu dans la salle le mot « acquittement » il y eut surprise, émotion et un cri tonitruant : marichiweu (dix fois nous vaincrons), qui fit sursauter les policiers présents. « Mais je te dis la vérité, même les policiers étaient émus » raconte Lefxaru Nawel à propos d’un de ces moments qui resteront gravés à jamais dans l’histoire.

Femmes et hommes pleurant dans les bras les uns des autres venaient d’écouter le juge des garanties Gustavo Ravizzoli reconnaissant les droits indiens et en même temps certifiant qu’il ne peut y avoir usurpation d’un territoire que les Mapuche ont occupé pendant des décennies. Plusieurs médias de Neuquén ont été les premiers à mettre en évidence que la sentence fait naître « l’inquiétude » pétrolière pour une raison assez curieuse : ce que la sentence soutient c’est l’application des lois provinciales, nationales et internationales qui protègent les droits indiens. Les six accusés font partie de la communauté Campo Maripe et avaient été accusés d’« usurper » un territoire qui est en réalité considéré comme indien.

« On institutionnalise un droit »

Jorge Nawel, de la Confédération mapuche de Neuquén explique à La Vaca : « Le juge a lu la sentence, dans laquelle il utilise tout l’échafaudage juridique qui a toujours été ignoré par la justice d’État même. Il a fait un recensement des normes en vigueur, la Constitution nationale, la provinciale, la Convention 169 de l’OIT (Organisation internationale du travail), jurisprudence, sentences de la Cour interaméricaine ».

Pour les Mapuche « on institutionnalise un droit qui est resté marginal, réprimé ces dernières décennies, parce que les juges n’avaient pas le courage de le mettre sur la table pour définir les questions territoriales. C’est pourquoi nous sommes arrivés très méfiants, sachant qu’il y avait une forte pression de la part de l’industrie pétrolière et du gouvernement lui-même pour que la sentence soit rendue à l’encontre des droits mapuche, parce que l’on disait que cela faisait peser une menace sur tout l’investissement de Vaca Muerta ».

Explication : « C’est l’argument qu’ils avançaient pour justifier une condamnation pour usurpation et un ordre de délogement ensuite. Quand le juge a commencé à énumérer toute la base légale de droits que nous avons gagnés ces dernières années, mais qui ne sont jamais appliqués, nous avons été agréablement surpris. »

Qu’est-ce qui change à Vaca Muerta ?

La sentence avec ses fondements complets sera connue dans les prochains jours. « Mais le juge a remis à sa place le gouvernement provincial parce qu’il exige de lui qu’il utilise tous les outils juridiques qu’il se refuse à mettre en œuvre, en partant de la Loi de relevé territorial », explique Jorge :

« C’est-à-dire que la province doit appliquer le droit constitutionnel qui établit qu’il faut régulariser la propriété de la terre, la possession territoriale, respecter le droit à la consultation de la communauté, reconnaître à celle-ci la personnalité juridique, tout ce que l’État s’est refusé à faire dans la pratique ».

Le paradoxe dans toute cette histoire c’est que ce sont les Mapuche qui se sont appuyés sur le droit, tant de fois violé par les pouvoirs exécutif et judiciaire. Jorge Nawel : « Mais cette fois le pouvoir judiciaire est en train de dire au pouvoir politique que ce n’est pas la voie pénale qui va résoudre ce conflit, mais qu’il s’agit de régulariser la terre, de reconnaître la personnalité juridique et de respecter le droit à la consultation. »

Nawel raconte que depuis, les critiques au juge se multiplient « surtout de la part des médias qui sont réellement des mercenaires, mettant en avant le fait qu’il y a eu une atteinte à la propriété privée du patron de l’estancia, alors que rien ne s’est passé. Ceux de Campo Maripe ne font que défendre le droit que leur reconnaît la Constitution ».

Qu’est-ce qui change à Vaca Muerta ? « Cela ne change rien au travail actuel mais quand il va s’agir de toucher à un mètre du territoire de Campo Maripe, ils vont savoir qu’il y a là une communauté solide, parce que la possession a été reconnue et qu’elle est légitime. Le propriétaire de l’estancia (la famille Vela) avait passé des accords avec YPF [2] et la communauté s’est mobilisé. C’est ainsi que la compagnie pétrolière comme la province s’attendaient à gagner le procès, enlevant à la communauté tout droit à donner son avis ou intervenir dans le conflit. »

Et que penser du point de vue des investissements ? « Tous devront savoir que ce que l’on appelle aujourd’hui Vaca Muerta est un lieu avec une dizaine de communautés mapuche. Pour pénétrer sur ce territoire il faut respecter tout ce qui a déjà été décidé juridiquement : régulariser la propriété de la terre, accorder la personnalité juridique aux communautés, et appliquer le droit à la consultation avant de pouvoir toucher un seul mètre de terre. »

Quand les choses prennent sens

Lefxaru Nahuel était un autre des Mapuche présents dans la salle. « Tout a été très émouvant. Même les policiers et les employés étaient émus. Habitués à la médiocrité judiciaire qu’il y a ici, ce verdict et ses fondements sont une surprise énorme ».

Le fondamental, ce qui a déséquilibré les perspectives défavorables aux Mapuche, selon Lef, fut le témoignage de la famille Campo Maripe même. « Et cela a été reconnu par le juge, quand il a dit qu’il n’y avait pas de simulation, ou de faute, vu que la perception réelle de la famille, soutenue par les lois, est qu’ils se trouvent sur leur propre territoire ». Ce territoire propre, comme concept, ne doit pas être confondu avec celui de propriété privée, car il s’agit d’un droit historique et communautaire à vie, légalisé par les lois argentines et internationales se rapportant au thème.

« En plus, pour une série de problèmes avec les délais et des questions techniques, tous les témoins entendus furent contre la communauté. Pourtant dans ces mêmes témoignages on remarqua des doutes et des contradictions qui démontraient la légitimité de nos affirmations ».

Lefxaru a perçu autre chose : « J’ai vécu tout cela depuis ma petite enfance, et j’ai senti que ce qui s’est passé fait partie d’une circularité : la sensation que tout ce qui s’est fait avant prend sens maintenant, et le gardera dans l’avenir ».

Le communiqué mapuche

Jugement historique de la justice de Neuquén reconnaissant les droits mapuche

Aujourd’hui l’expectative et la tension étaient énormes lors de la lecture de la sentence du juge Gustavo Ravizzoli en charge du jugement oral et public contre le Lof [3] Campo Maripe. Nous étions conscients du pouvoir de pression qu’exerce l’industrie pétrolière et plus encore de la pression du gouvernement de Neuquén. C’est pourquoi, quand le juge dans son introduction expliqua l’échafaudage juridique qui protège les droits mapuche et prononça l’acquittement, le silence à couper au couteau explosa en un seul cri : Marichiweu Marichiweu !

Ce fut le soulagement de presque 100 ans, 100 ans que la famille Campo Maripe attend que ses droits territoriaux soient reconnus. Ce droit avait été interrompu quand la famille Vela était entrée sur ses terres dans les années 70 et aujourd’hui ils ne sont pas disposés à une nouvelle spoliation. Ces témoignages, plus les arguments juridiques de notre défense, furent compris par la justice et dans une sentence exemplaire elle a conclu à l’acquittement de tous les frères Maripe jugés comme « usurpateurs ».

Pour la première fois depuis des années nous avons ressenti en tant que Mapuche que nos droits préexistants étaient assumés et exposés par une autorité d’État comme l’est le juge en charge de cette cause. Pour la première fois chaque droit qu’expriment depuis 25 ans la Constitution nationale, depuis 20 ans la Convention 169 et 13 ans la Constitution provinciale était exprimé par un juge du système judiciaire et utilisés comme base pour libérer de toute faute des autorités mapuche injustement jugées.

Nous nous réjouissons que ce soit le pouvoir judiciaire qui ait mis les choses à leur place et exige du pouvoir politique qu’il soit à la hauteur de ses responsabilités, oublie les accords négociés et obéisse à la jurisprudence et aux lois énumérées une à une par le Juge Ravizzoli dans sa sentence décisive. Nous nous réjouissons que ce soit le pouvoir judiciaire qui désigne le procureur en charge de la cause (Marcelo Silva) et le sorte du rôle commode et dissimulateur de tant d’injustices quand il s’érige en garant du « blindage juridique » en faveur de l’industrie du fracking [4]. Nous nous réjouissons que Campo Maripe ait enfin obtenu satisfaction de ses revendications après tant d’humiliations endurées des mains d’un propriétaire protégé par le pouvoir politique.

Nous repartons sur notre territoire pour célébrer le verdict, nous libérer de la tension de ce jugement oral et public, définir les prochains pas à réaliser et continuer à réaffirmer notre possession traditionnelle, actuelle et publique de la terre qui vit naître chacun de nous qui avons été mis en jugement dans cet infâme procès.

Marichiweu – Dix fois réaffirmant notre identité, nos droits et notre territoire !


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3494.
 Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
 Source (espagnol) : La Vaca, 23 avril 2019.

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[2La compagnie pétrolière nationale – note DIAL.

[3Communauté, en mapudungun – NdT.

[4Fraction hydraulique – NdT.

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