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DIAL 2826

HAITI - A propos des futures élections. Le mythe Duvalier et la réalité dictatoriale !

vendredi 16 septembre 2005, mis en ligne par Dial

Des élections auront lieu en Haïti, le premier tour étant prévu le 20 novembre prochain, le second tour le 3 janvier 2006. Les candidats à la présidence sont fort nombreux : une quarantaine. Dans le climat d’insécurité profonde qui sévit dans ce pays, même la figure de l’ancien dictateur Duvalier « Papa Doc » refait surface. La sécurité reste le grand problème d’Haïti. Article éditorial paru dans Haïti en Marche, semaine du 12 septembre 2005.


PORT-AU-PRINCE, 10 Septembre – Un sondage attribué à la firme Gallup décerne à l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier le titre de « meilleur président d’Haïti » de ces dernières décennies. Celui-ci a exercé un pouvoir sans partage de 1971 à février 1986.

Paraissant en période électorale, nous ne doutons pas qu’il s’agisse d’une quelconque tentative de manipulation de l’électorat. D’autant que le soi-disant sondage, comme tous ceux-là qui paraissaient régulièrement dans des journaux de la capitale pendant la lutte contre le régime Aristide, ne précise pas les critères selon lesquels se sont prononcés les sondés (on peut être le « meilleur gouvernement » dans tel domaine et non dans tel autre, car les besoins d’une société sont multiples, et la société elle-même pour commencer est multiple, ce que ces sondages semblent toujours volontairement ignorer, et pour cause).
Cependant il peut y avoir matière à réflexion si l’on tient compte de la détérioration constante et quasiment irrémédiable du climat de sécurité, de la disparition presque totale de la loi et l’ordre dans ce pays, cela depuis en effet la chute de la dictature Duvalier en février 1986.

"Men Bel Laden mwen an"...

Nous avons été témoins d’une réaction époustouflante. Alors que se déroulait il y a quelque temps un festival de cinéma populaire au Champ de Mars, en plein coeur de la capitale, on est venu à projeter un vieux documentaire remontant à l’ère de Papa Doc. A un moment, on voit le « vieux » descendre de la limousine présidentielle, chapeau melon vissé sur le crane, grosses lunettes, son fameux rictus en coin et serrant dans sa main une mitraillette.

La foule, surtout composée de jeunes, y alla d’un tonnerre d’applaudissements. On entendit des cris tels que « c’est mon bonhomme, voilà un vrai chef ». Mais aussi : « Men Bel Laden mwen an. » Ce qui ne veut pas forcément dire la même chose... [1]

Il n’est un secret pour personne que l’impunité est à la base de la criminalité galopante que nous connaissons et que cette dernière s’inscrit aujourd’hui loin avant la misère et le chômage dans la liste des préoccupations de la nation haïtienne.

Pas étonnant non plus que plusieurs de nos candidats à la présidence en l’an 2005 inscrivent en tête de leur programme de gouvernement : rétablir l’ordre ! Ont-ils les moyens de leur politique ? Cela est une autre histoire...

L’exemple que nous venons de voir est plein de signification : c’est au mythe Duvalier que le public fait référence. Et non à la réalité de la dictature Duvalier que nos nouvelles générations tout naturellement ignorent. D’autant que certains commentateurs utilisent le mot de dictature à tort et à travers, et à leurs fins. Tout comme on fait une même utilisation abusive des termes de massacre, génocide etc.

Une sorte de liberté surveillée ...

Duvalier, c’est trente ans d’un régime totalitaire, d’un pouvoir sans partage, ne tolérant même pas son ombre...

Duvalier, ce sont les exécutions som-maires en plein jour, les cadavres ex-posés aux coins les plus fréquentés pour créer l’intériorisation de la terreur. Le silence du tombeau.

Ce sont les Vêpres de Jérémie (pour ceux qui aiment tant le mot génocide) et la répression aveugle de Casal...

Ce sont les dizaines de milliers de disparus dans les geôles de Fort Dimanche, ce goulag en plein pays tropical.

Mais Duvalier, c’est aussi l’ordre total d’un bout à l’autre de nos 27 500 kilomètres carrés.

On pouvait voyager dans le pays à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit sans risquer de mauvaise rencontre... A moins que ce ne soit d’ordre du régime lui-même. Autrement dit, une sorte de liberté surveillée !

Oui, mais dont on peut finir par avoir la nostalgie quand les choses sont à ce point détériorées comme c’est constamment, éternellement le cas depuis la chute de la dictature trentenaire... et cleptomane.

La décennie du bonheur...

Car Duvalier, c’est aussi le détournement de plusieurs centaines de millions du trésor public. Cela assorti d’un mépris total pour les défavorisés.

Les années 70 ont été la décennie du bonheur pour les tenants du régime et les classes possédantes : industrie d’assemblage et tourisme. Mais aussi une aide internationale massive (chiffrée en milliards) qui sera dilapidée en projets sans coordination et sans suite, en gaspillage et corruption.

D’un autre côté, les bidonvilles s’élèvent aussi en masse, mais rien à craindre car les tontons macoutes font bonne garde.

Si tout un chacun peut aller librement d’un bout à l’autre du territoire national et jouir du règne absolu de la loi et l’ordre, cependant tel n’est pas le cas des habitants des bidonvilles et des paysans sans terre qui sont forcés manu militari de rester à leur place, au sens propre comme au figuré.

Un cercle vicieux...

Aussi est-ce seulement à la chute du régime qu’on verra, de nos yeux vu, le défi démographique auquel nous avons à faire face. Baby Doc et Michèle Bennett [2] avaient tout fait pour dissimuler ces verrues, ainsi que le volcan qui était tout prêt d’éclater pour un peu qu’on soulevait un tant soit peu le couvercle.

Le rétablissement de l’ordre ne signifie pas forcément la fin de l’impunité, et l’impunité d’aujourd’hui ne puise pas ailleurs ses racines que dans la politique de deux poids et deux mesures de l’ordre duvaliérien.

Attention, c’est un cercle vicieux.

Mais aujourd’hui, avec un décalage de deux décennies, et une impossible transition qui nous a fait reculer à tous les niveaux sans exception (économie, infrastructures, ordre public, souveraineté, etc.), on serait tenté de dresser du régime si longtemps abhorré un bilan aujourd’hui plus mixte.

Quoique la République dominicaine ait connu les mêmes hésitations après la mort de Trujillo, sans être forcément revenue en arrière. Sa classe politique et ses élites ont su trouver un certain équilibre. Non, la république voisine n’est pas un failed state au même sens où on l’entend d’Haïti. Même si son développement à l’américaine force un nombre plus grand encore qu’en Haïti à risquer leur vie dans les voyages clandestins vers Porto Rico et les Etats-Unis.

Un "bouyi vide"...

Pour finir, qui considère Baby Doc comme « le meilleur président » qu’Haïti ait eu ces trente dernières années ? Un sondage qui se respecte ne peut se contenter de rapporter quelques soi-disant scores à sa guise, mais se doit de placer ces derniers en relation avec les différentes tranches d’âge, les différents milieux sociaux, qu’on habite dans les villes ou dans les campagnes, y compris la diaspora qui a aussi son mot à dire, vu que la première génération était partie pour fuir l’enfer des Duvalier. C’est trop important pour en faire un simple fourre-tout (simple et pour des simplistes), en créole un « bouyi vide » sans couleur et sans saveur.

Cependant on peut comprendre que le mythe Duvalier ressurgisse devant cette pagaille généralisée, où la terreur d’Etat est remplacée par la terreur des gangs en majorité sur commande, d’un côté comme de l’autre, avec la différence que la terreur d’Etat peut être identifiée et dénoncée, serait-ce après que mort s’ensuive, d’ailleurs Duvalier reconnaissait que ses tontons macoutes sont des « mineurs », donc à ses ordres. Le pouvoir impliquait encore une certaine responsabilité.

Une quarantaine de candidats à la présidence...

Et devant aussi le chaos qui aujourd’hui nous tient lieu de classe politique : près d’une cinquantaine de partis inscrits pour les élections (en guise de comparaison, ils étaient seulement 5 ou 6 en 1957), et près d’une quarantaine de candidats à la présidence. Duvalier n’avait-il pas raison : que l’Haïtien n’est pas encore mûr pour le multipartisme, voire la démocratie, et qu’il confond liberté et licence, vitesse et précipitation.

Vingt ans plus tard, nous n’avons rien corrigé, tout a au contraire empiré. Je ne me souviens plus qui avait poussé les hauts cris quand Haïti en Marche avait titré à la une le 7 février 1996 : « Une décennie perdue ! » Que dire aujourd’hui ?

Mais en même temps, est-ce un piège ? Certains ne sont-ils pas en train d’encourager en sous-main cette nostalgie. Et qui a commandité ce sondage ? Nul ne sait, bien entendu. N’essaierait-on pas de nous refiler une nouvelle petite dictature en douce ?


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2826.
 Traduction Dial.
 Source (Francais) : Haïti en Marche, semaine du 12 septembre 2005.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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[1A savoir : « Voici mon Ben Laden ».

[2Son épouse.

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