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DIAL 3552
CHILI - Décoder les résultats du référendum en faveur d’une nouvelle constitution
Javier Sajuria
mercredi 25 novembre 2020, mis en ligne par
Toutes les versions de cet article : [Español] [français]
Le 25 octobre 2020, les Chiliens étaient appelés à se prononcer sur l’opportunité d’initier un processus constituant pour rédiger une nouvelle Constitution. Avec plus de 78% des suffrages exprimés, le « oui » l’a emporté massivement. Dans un article publié en espagnol sur le site de la revue Nueva Sociedad (octobre 2020), Javier Sajuria [1] analyse les résultats du référendum en le réinscrivant dans le contexte politique de l’après-Pinochet. Le site L’autre quotidien en a publié une traduction française qui a, semble-t-il, été faite à partir d’une version plus longue du texte. C’est cette traduction que nous reprenons ici, avec quelques modifications et ajouts.
Le référendum et son résultat écrasant en faveur d’une nouvelle Constitution sont une étape de plus dans un processus qui a commencé il y a des décennies, mais dont la vague de mobilisations qui a commencé l’année dernière a été l’élément fondamental et moteur. Les résultats montrent que, plus qu’une polarisation de la société, il y a un isolement des élites. Quand la population a approuvé la rédaction d’une nouvelle constitution dans la grande majorité du territoire, les zones où la richesse et le pouvoir sont concentrés ont voté à la quasi-unanimité pour le maintien de la constitution de Pinochet. Il ne faut pourtant pas faire l’erreur de croire la droite chilienne vaincue et en voie de disparition. Les années à venir auront une importance décisive. Au peuple, maintenant, de s’emparer de la rédaction de cette nouvelle constitution pour un nouveau Chili.
L’instauration de ce référendum a été forcée par l’effondrement de la coalition au pouvoir, qui a suivi une rébellion sans précédent des parlementaires pro-gouvernementaux contre leur propre gouvernement lorsqu’ils ont voté le projet de loi de l’opposition qui permettrait aux Chiliens de retirer 10% des fonds épargnés dans les mains des administrateurs des fonds de pension [2]. Tout cela se déroule dans un climat de débat constitutionnel, avec un référendum qui a dû être reporté en raison de la pandémie et qui aura finalement lieu le 25 octobre, moment où la population décidera si elle veut laisser derrière elle la Constitution approuvée en 1980, sous la dictature de Pinochet [3]
Il ne restait pas grand-chose du slogan optimiste de la campagne électorale qui a accompagné pendant les premières années le gouvernement néo-libéral de Sebastián Piñera : « Haut les cœurs, des temps meilleurs arrivent ! ». À cette époque, qui semble aujourd’hui si lointaine, le gouvernement de Sebastián Piñera était considéré comme le pilier d’une nouvelle droite qui en était venue à dominer la scène politique face à un centre-gauche divisé et affaibli. Mais qu’est-ce qui explique le passage de la promesse de « temps meilleurs » à la reconnaissance de « temps difficiles » ? Pourquoi le projet de Sebastián Piñera a-t-il fini par s’effondrer ?
Il y a plusieurs explications et elles s’entremêlent. Certains aspects trouvent leur origine dans le chemin ardu parcouru par la droite chilienne depuis son passé pinochetiste jusqu’à sa réédition en tant que force de gouvernement soutenue par une majorité démocratique. Il y a également des aspects propres à la gestion et à la conception du gouvernement de Piñera. Et, sous tout cela, il y a les forces tectoniques d’un Chili en mutation, se rebellant contre ce qui a été sa trajectoire pendant au moins 30 ans.
La droite chilienne
Après la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), la droite chilienne est entrée dans le débat démocratique marqué par la scission issue du référendum du 5 octobre 1988 [4] et la fin du régime militaire [5]. Toutes les tensions du passé ont soudainement été intégrées dans l’organisation du référendum. Ceux qui soutenaient l’option du « non » à la continuité du régime allaient former la coalition de centre-gauche qui allait gouverner le pays pendant la lente transition démocratique, baptisée la Concertation des partis pour la démocratie. Ceux qui ont soutenu l’option du « oui » sont devenus une force de résistance, protégeant l’héritage de la dictature, son système économique, politique et social, un modèle symbolisé, avant tout, par la Constitution de 1980.
Du point de vue d’une guerre de position et de la défense de l’héritage de Pinochet, il n’est pas surprenant que les premiers résultats de la droite aux élections présidentielles (1989 et 1993) aient été remarquablement maigres. En fait, lors des deux consultations, le centre gauche s’est imposé, dès le premier tour, avec plus de 50% des suffrages. Secouée par ces mauvais résultats, la droite a entamé une adaptation programmatique progressive, rapprochant ses positions de celles de la Concertation des partis pour la démocratie. Cette modération programmatique a porté ses fruits et, lors des élections de 1999, elle a permis d’obliger à un second tour. Enfin, le grand saut dans l’histoire de la droite a été fait avec la première candidature de Sebastián Piñera à la présidence en 2009 [6]. Pour la première fois en 50 ans, la droite est entrée au gouvernement par le biais d’une élection ! Ce n’est peut-être pas une coïncidence si Sebastián Piñera a été l’une des rares références de droite à avoir rejoint l’option du « non » en 1988, et avec sa victoire, il semblait consolider le décrochage de la droite par rapport à l’histoire de Pinochet.
Lorsque la droite a perdu aux élections présidentielles de 2013, après le premier gouvernement de Piñera, elle l’a fait au profit d’une coalition de centre-gauche très différente de celle à laquelle elle était confrontée depuis la fin de la dictature. La nouvelle coalition, appelée « La nouvelle majorité », était dirigée par Michelle Bachelet, qui se présentait pour un second mandat non consécutif [7]. L’alliance a intégré pour la première fois le Parti communiste et est arrivée avec un programme audacieux de réformes du modèle économique de la transition. Elle a y compris remis en question la légitimité de la Constitution qui avait régi pendant toute cette période. Le 25 octobre 2020, plus de sept millions de Chiliens ont voté sur l’opportunité de rédiger une Constitution pour remplacer celle établie sous la dictature d’Augusto Pinochet et sur le mécanisme pour le faire. Avec respectivement 77% et 78%, il a été décidé qu’une nouvelle Magna Carta serait élaborée et que l’organe responsable serait élu à 100% par les citoyens. En d’autres termes, le peuple a voté pour une Convention constitutionnelle contre la proposition alternative d’une commission mixte également composée de parlementaires actuels.
Le référendum est une étape de plus dans un processus qui a commencé il y a des décennies, avec des groupes qui ont tenté d’une manière ou d’une autre de modifier l’héritage constitutionnel de Pinochet. Ainsi, ces dernières années, nous avons vu des exemples tels que la campagne « Marquez votre vote » aux élections de 2013, lors de laquelle 10% des électeurs ont écrit « AC » sur leur bulletin de vote pour indiquer leur préférence pour la création d’une Assemblée constituante (qui est l’équivalent de la Convention constitutionnelle approuvée). Plus tard, au cours de son deuxième mandat, Michelle Bachelet a obtenu la participation de plus de 200 000 personnes à des assemblées locales et aux discussions dans le cadre des Rencontres locales auto-convoquées, au cours desquelles les participants ont discuté de la Constitution qu’ils souhaitaient. Cela a conduit à la rédaction d’un projet de Constitution présenté durant les derniers jours du gouvernement Bachelet et rapidement mis de côté par le nouveau gouvernement de Sebastián Piñera.
Mais le déclencheur de tout ce processus a été le succès des manifestations qui ont débuté le 18 octobre 2019 contre l’augmentation des prix des transports en commun à Santiago, qui ont rapidement remis en question les inégalités sociales croissantes au Chili. Après un mois de manifestations ininterrompues et avec les militaires dans les rues, l’élite politique a proposé une solution institutionnelle consistant en un référendum et une éventuelle nouvelle Constitution.
Une large coalition pour une nouvelle Constitution
L’un des points les plus surprenants du résultat a été l’ampleur du pourcentage obtenu par les options en faveur de la nouvelle Constitution et la création d’une convention constitutionnelle entièrement élue à cet effet. Les deux options ont réussi à attirer des électeurs au-delà des secteurs plus progressistes ou de (centre) gauche. Selon les données du sondeur Cadem, qui a réalisé un sondage en ligne entre 19h30 et 20h30 le jour du scrutin, derrière le « J’approuve », il y avait des secteurs de l’opposition, des indépendants, et jusqu’à un tiers des électeurs qui s’identifient à la droite. Bien qu’il y ait eu un biais générationnel en faveur des plus jeunes, l’option « Approuver » a gagné dans tous les groupes d’âge, ainsi que dans les différents niveaux de revenu. Si l’on en vient à des distinctions plus fines, l’option en faveur d’une nouvelle Constitution a également obtenu la majorité parmi les électeurs évangéliques, un groupe qui est associé à des positions plus conservatrices, et qui était sous les projecteurs après que plusieurs de ses dirigeants les plus visibles aient fait campagne pour l’option du rejet.
Mais ce triomphe écrasant du« J’approuve » est, en même temps, le plus grand défi pour ceux qui veulent le canaliser dans une mobilisation efficace pendant le processus constituant. Contrairement à ce à quoi nous sommes habitués, la coalition d’électeurs derrière la nouvelle Constitution est la plus large qui ait été construite dans l’histoire du Chili. Cela conduit à conclure que les méthodes traditionnelles de la politique du XXIe siècle, qui fait appel soit à la différenciation excessive des publics, soit à l’exercice de dichotomisation de la société entre un « eux » et un « nous », ne suffisent pas. Tout se passe comme si la « chaîne d’équivalences » sur lesquelles se fondent les théories du populisme de gauche d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe devait désormais prendre en charge des électorats qui échappent aux secteurs progressistes ou opprimés.
Il est vrai que de nombreuses analyses montrent comment le « Rejet » a réussi à gagner dans les trois communes les plus riches du pays, qui sont situées dans le coin nord-est de Santiago, mais cela ignore deux éléments clés qui ne permettent pas une inférence aussi claire entre les données statistiques et les comportements individuels. D’une part, deux de ces trois communes avaient une répartition plus proche de 50% entre les deux options, tandis qu’à l’élection présidentielle de 2017, Piñera y atteignait 75%. Cela est cohérent avec les résultats des sondages et montre que même au sein de l’élite – et de l’électorat classique de droite – il y a un segment convaincu du changement constitutionnel.
Le deuxième élément à considérer est que l’ampleur de la défaite de l’option « Rejet » peut nous amener à nous illusionner sur la répartition territoriale des soutiens de la droite et sur leur comportement lors d’une éventuelle élection à la convention constitutionnelle. À proprement parler, l’important est de comprendre que la droite n’a perdu de manière aussi éclatante que parce qu’elle s’est divisée. Et qu’elle peut donc facilement retrouver ses voix dans d’autres circonstances.
Polarisation ou isolement
Quoi qu’il en soit, cette différence entre les secteurs les plus riches du pays et les autres ne doit pas être ignorée. Comme indiqué ci-dessus, cette différence s’est reflétée dans les résultats électoraux pratiquement depuis le retour à la démocratie. Sans aller plus loin, alors que 56% de la population chilienne a voté pour mettre fin à la dictature en 1988, l’ancien 23e arrondissement, composé des mêmes communes mentionnées (Vitacura, Las Condes et Lo Barnechea) s’est prononcé à 59% pour le maintien du dictateur au pouvoir pendant encore huit ans. Au Chili, tant sur le plan électoral que social, l’élite a été vent debout contre le reste de la population.
Au cours des dernières années, divers analystes ont souligné l’existence d’une polarisation politique croissante au Chili. Pour cela, ils utilisent généralement comme référence le débat des élites politiques, les discussions sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, ou ce qui peut être observé par les médias. Cependant, chaque fois que des données d’enquêtes ou d’autres méthodologies de recherche en sciences sociales ont été utilisées, les résultats sont moins clairs. C’est pourquoi il est possible d’affirmer que ce que le Chili vit aujourd’hui est un phénomène à trois dimensions : une polarisation des élites, leur isolement des masses et la (re) politisation des citoyens.
Commençons par la polarisation. Les études de Jorge Fábrega, Jorge González et Jaime Lindh (2018, 2019) ont montré une disparition du centre politique, ce qui pourrait être cohérent avec une thèse en faveur de la polarisation. Cependant, les mêmes auteurs montrent comment cela est dû au fait qu’une grande partie de l’électorat chilien a cessé de se sentir identifiée aux forces politiques traditionnelles. En d’autres termes, c’est une crise d’identité politique plutôt qu’une polarisation. Ceci est cohérent avec les travaux de Carlos Meléndez et Cristóbal Rovira (2019) sur les formations identitaires politiques négatives, où ils montrent qu’aujourd’hui il est plus efficace de comprendre l’identité politique qu’un électeur se donne en termes d’opposition à certains partis que de soutien à d’autres.
Mais là où la polarisation est évidente, c’est au niveau des élites. Dans une analyse réalisée en 2017 avec Jorge Fábrega, nous avons souligné qu’à l’époque, le Sénat faisait une distinction claire entre ceux qui étaient à droite et ceux qui étaient à gauche. Sans aller plus loin, dans un article similaire, mais lié à la Cour constitutionnelle, nous constatons que cet organe de contrôle contre-majoritaire a suivi le même chemin que d’autres organes politiques, assumant un rôle de plus en plus polarisé et cohérent avec les préférences politiques des élites qui sont derrière eux.
Si nous prenons les résultats du référendum comme référence, nous verrons que dans certaines de ces zones où se concentre l’élite – comme Las Condes ou même le quartier plus central de Providencia – les préférences ont été plus serrées que dans le reste du pays. Là où la population a approuvé la rédaction d’une nouvelle constitution dans la grande majorité du territoire, les zones où la richesse et le pouvoir sont concentrés ont voté pour le maintien de la constitution de Pinochet.
Ce même symptôme reflète l’isolement potentiel de ces secteurs. Déjà dans la sphère des partis, nous avons constaté que le cas chilien est particulièrement intéressant car ses dirigeants ont une déconnexion persistante avec les citoyens. Dans une analyse rédigée quelques jours après le soulèvement social d’octobre 2019, j’ai réfléchi à la façon dont l’origine socio-économique de ceux qui occupaient les sièges au Parlement était radicalement différente de celle du reste de la population. Les élites chiliennes diffèrent non seulement du reste de la population en termes de revenus, mais ont également des systèmes d’éducation et de santé différents. Mais ce que ce référendum a confirmé, c’est que, en plus, ils se sont abrités dans les contreforts de Santiago, et ont construit leur propre isolement physique et géographique du reste de la société chilienne.
Enfin, dans un effort pour réduire les niveaux de conflit, certains ont confondu la (re) politisation de la citoyenneté et la polarisation. L’une des séries télévisées les plus célèbres du pays, intitulée Los 80 [8], décrit la vie d’une famille de la classe moyenne pendant la dictature. Au milieu d’une discussion sur la situation politique du pays lors du dîner, le patriarche de la famille tape sur la table et dit : « Quand le balai passe, ce sont les gens comme nous qui en paient le prix. Ceux qui sont au sommet, les généraux, les politiciens, ceux-là ne perdent jamais. Soit ils restent au pouvoir, soit ils sont les premiers à s’enfuir. Et les gens comme nous sont ceux qui restent, ceux qui doivent continuer à travailler pour continuer à vivre. C’est comme ça que les choses sont, et elles seront toujours comme ça. » Ce dialogue a probablement été répété dans de nombreux foyers chiliens pendant la dictature et est resté une phrase courante pendant les années de transition. Cette phrase représente également le triomphe de la doctrine grémialiste [9] imposée pendant la dictature, qui consistait en une dépolitisation des citoyens et un discrédit du travail des partis politiques.
Si le retour de la démocratie a mobilisé un nombre insoupçonné de personnes, cette mobilisation a rapidement cédé la place à un compromis entre représentants qui a tenu à l’écart les volontés citoyennes de participer à la vie démocratique pour lui préférer une stabilité apparente du pays. Le livre de Kathya Araujo Habitar lo social. Usos y abusos en la vida cotidiana en el Chile actual [« Habiter le social. Usages et abus dans la vie quotidienne dans le Chili aujourd’hui »] (2009), ainsi que l’un de ses articles plus récents sont fondamentaux pour comprendre comment s’organisent au Chili les relations entre les individus, les normes et les acteurs politiques. Son analyse montre qu’il y a eu, dans la société chilienne, une perte du sens du public et la configuration de ce qu’elle appelle un « archipel », c’est-à-dire la formation de publics divers. Elle décrit aussi la formation de relations transactionnelles entre la société et les acteurs politiques. Juan Pablo Luna, pour sa part, traduit ce conflit comme un manque d’intermédiation entre les partis politiques et les individus, qui a créé un vide de sens et de pouvoir.
Ainsi, une partie importante du discours politique hégémonique au Chili repose sur l’idée qu’il existe une stabilité, et que, par conséquent, la politisation et la collectivisation des citoyens ne sont pas souhaitables. C’est pour cette raison, à mon avis, que la réaction des médias traditionnels et des colonnes d’opinion est une réaction de surprise et de confusion devant ce référendum parce que les citoyens, en s’intéressant massivement aux questions publiques comme la Constitution au détriment d’autres plus superficielles comme la criminalité, font la démonstration qu’il s’agit en fait d’un processus de repolitisation et non de polarisation.
Participation électorale et covid-19
Un dernier élément à analyser lorsque l’on examine les résultats du référendum est le niveau de participation électorale. Ici, le choix des données qu’on décide d’impliquer dans la comparaison permet d’en tirer les conclusions politiques qu’on veut, il est donc important de clarifier certaines questions. Le premier point à mentionner est que le Chili est, par rapport au reste de la région, un pays avec un taux de participation électorale historiquement faible. Même à l’époque où un système de vote obligatoire était en vigueur, il était possible d’identifier une baisse significative, principalement parmi les nouvelles générations, du taux de participation aux urnes.
Le deuxième point est que les comparaisons concernant les niveaux de participation sont généralement faites sur des bases différentes. Le lendemain du référendum, un graphique produit par le bureau du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au Chili a circulé qui montrait qu’en 2013, après l’introduction du vote volontaire, la participation électorale serait passée de 87% à 47%. Cependant, cette comparaison pose deux problèmes : le premier est qu’elle compare le nombre d’électeurs au nombre d’inscrits dans le registre électoral, ignorant qu’avant 2012 l’inscription était volontaire. La deuxième chose est qu’elle ne prend pas en charge l’inscription décroissante sur ces registres. Ainsi, Patricio Navia (2004) ré-estime ces taux de 1988 à 2001, en utilisant la population en âge de voter (PEV) comme base, qui est l’équivalent du registre actuel. Dans son travail, il montre que déjà en 2001 la participation électorale au Chili était d’environ 58%.
Le point central est donc que la participation politique au Chili est faible, et même dans des compétitions plus attractives, comme le second tour présidentiel de 2017, elle n’a atteint que 49%. C’est pourquoi le pourcentage de ce référendum, proche de 51%, ne peut être analysé sans tenir compte de la tendance historique à la baisse que nous avons observée. Cette tendance est, dans le même temps, cohérente avec l’idée évoquée plus haut concernant la dépolitisation (ou le détachement) de la citoyenneté.
Un autre facteur à considérer est le rôle que la pandémie a joué dans différentes communes du pays. Selon les directives gouvernementales, environ 10% des communes étaient en phase de quarantaine pendant le processus. Bien que le gouvernement ait décidé de lever temporairement les restrictions le jour du vote, il reste à analyser comment les expériences et les ravages de la Covid-19 peuvent affecter les décisions individuelles de voter ou non.
Le dernier élément à prendre en compte est que les sondages ont systématiquement montré que les personnes qui étaient enclines à voter pour le rejet étaient, en même temps, celles qui étaient les moins susceptibles de voter. Une explication plausible est que personne n’aime voter pour une option perdante. Donc, une option contrefactuelle est que si la course avait été plus compétitive, la participation aurait pu être plus élevée.
Et maintenant ?
On parle beaucoup des deux années d’incertitude qui s’annoncent au Chili, mais la vérité est qu’une grande partie des prochaines étapes sont réglementées. En avril 2021, les 155 membres de la Convention constitutionnelle seront élus par un vote. Il reste à savoir si le Congrès établira des quotas réservés pour les peuples indiens ou s’il rendra plus facile la participation de candidats indépendants.
La convention siègera de mai 2021 à mai 2022 et devra aboutir à un texte qui sera approuvé ou rejeté lors d’un référendum ultérieur. Ce suffrage, prévu pour la mi-2022, se fera avec le vote obligatoire, ce qui nous permettra de vraiment savoir comment fonctionnent les préférences lorsqu’elles ne sont pas conditionnées par leur propre présence ou non aux urnes.
Le processus qui débute au Chili est complexe, mais ordonné. L’important sera de savoir comment les acteurs politiques rendent compte de la repolitisation et accusent le coup. Si, au cours du processus constituant, ils n’envisagent pas de mécanismes de participation et d’intermédiation, la crise politique n’aura été que reportée et non résolue.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3552.
– Traduction L’autre quotidien. Traduction ponctuellement modifiée et complétée par Dial.
– Source (français) : L’autre quotidien, 30 octobre 2020.
– Texte original (espagnol) : Nueva Sociedad, octobre 2020.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, les traducteurs, la source française originale (L’autre quotidien - https://www.lautrequotidien.fr) et l’une des adresses internet de l’article.
[1] Javier Sajuria est enseignant (Senior Lecturer) en science politique à la School of Politics and International Relations de Queen Mary University of London, et rédacteur en chef de la revue Politics.
[2] AFP : Administration des fonds de pension – NdT.
[3] Résultats pour rappel : taux de participation 50,90% ; 78,27% des votes en faveur d’une nouvelle constitution ; 21,73% pour le rejet de cette proposition – NdT.
[4] 55,99% des votants s’opposèrent à la prolongation au pouvoir jusqu’en 1997 de Pinochet, et 44,01% soutinrent le dictateur – NdT.
[5] En mars 1990 – NdT.
[6] Son premier mandat a duré de mars 2010 à mars 2014 – NdT.
[7] Son premier mandat a duré de mars 2006 à mars 2010 et le second de mars 2014 à mars 2018 – NdT.
[8] « Les années 80 » – note DIAL.
[9] Le grémialisme est un mouvement politique conservateur fondé en 1967 par Jaime Guzmán, qui a ensuite été l’un des rédacteurs de la constitution de 1980 – note DIAL.