Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Archives > Années 2000-2009 > Année 2005 > Mars 2005 > BRÉSIL - Les dangers de l’agro-industrie et d’une conception purement (…)
DIAL 2793
BRÉSIL - Les dangers de l’agro-industrie et d’une conception purement économique du développement (Lettre des évêques au peuple de Dieu du Maranhão)
mercredi 16 mars 2005, mis en ligne par
Les évêques de l’Etat du Maranhão (nord-est du Brésil) réagissent face au développement de l’agro-industrie et à un projet d’implantation d’un site sidérurgique important dans un lieu protégé. Ils rappellent qu’une conception purement économique du développement ne sert pas la personne humaine. Ci-dessous, on pourra lire le texte de la lettre écrite par les évêques de la Conférence nationale des évêques du Brésil - Regional Nordeste 5, en date de la fête de l’Epiphanie 2005.
1. (…) Parmi les thèmes abordés dans notre rencontre, nous voulons vous entretenir d’un sujet qui attire notre attention et nous préoccupe d’une façon particulière.
2. Nous assistons en effet à une forte pénétration du grand marché dans notre Etat, avec la proposition d’une croissance économique, mais qui porte en elle une force de destruction des populations traditionnelles avec leurs cultures et leur environnement. L’agriculture industrielle qui, depuis longtemps déjà, a commencé de dévaster nos précieuses landes ainsi que l’Amazonie maranhense, est en train d’envahir maintenant le Bas-Paraiba et la région des Cocais, mettant en œuvre la monoculture du soja, du coton et de la papaye en vue de la production de biodiesel. Elle contribue aussi à la privatisation du littoral de la Baixada occidentale en vue de l’élevage des crevettes pendant que se poursuit l’élevage effréné des buffles dans la Baixada maranhense. Nous voulons alerter sur les conséquences graves de ce « développement » illusoire de nature exclusivement économique : concentration toujours plus grande de la terre, expulsion de nombreuses familles, transformation de nos forêts, déjà rares, en charbon végétal, destruction des bassins hydrographiques et des zones de manguiers.
3. La puissance destructrice de ce « développement » trompeur fait augmenter la violence contre les peuples indigènes, les régions de quilombos [1], les petits exploitants [2] et les populations riveraines. Il ne fait que multiplier en quantité et en intensité les conflits de la terre qui, pour leur part, ne reçoivent pas les réponses adéquates de la part des pouvoirs publics constitués. Et, à partir de là, la réforme agraire tant promise, sans laquelle nous n’aurons ni démocratie ni paix, une fois de plus ne se fera pas. Et l’injustice dans le monde rural continuera de dominer avec l’indifférence et l’inefficacité de l’INCRA (Institut national de la colonisation et de la réforme agraire) et de l’ITERMA (Institut de colonisation et de terres de l’Etat). Nous affirmons de nouveau la nécessité d’encourager et de promouvoir l’agriculture familiale qui est plus humaine et plus respectueuse de la nature.
4. Nous faisons notre le cri des populations qui souffriront de graves préjudices avec la possible implantation d’un pôle sidérurgique de grande portée sur l’île de São Luis, menaçant et empoisonnant cette ville, patrimoine de l’humanité. Nous nous unissons aux organisations sociales, aux groupes et mouvements populaires et aux autres Eglises qui, conscientes de la gravité des risques et de leurs conséquences, résistent et luttent en vue d’une solution alternative. Nous proposons qu’au travers du dialogue, d’une étude et d’une consultation populaire, soit examinée la possibilité de l’implantation du même projet, toujours au Maranhão, mais en-dehors de l’île de São Luis, ce qui garantirait la création de nouveaux emplois tout en respectant la population et l’environnement.
5. Fidèles au Dieu des pauvres et aux pauvres de Dieu et disciples de Jésus-Christ, chemin, vérité et vie, nous réaffirmons que la personne humaine doit toujours prévaloir sur le profit déchaîné et matérialiste, que personne ne mérite d’être exclu de la fête de la vie et que la nature doit être administrée comme la maison de tous, y compris pour les générations futures. Inspirés par le message de saint François d’Assise qui a eu l’intuition évangélique de la fraternité de tous les êtres vivants et de la responsabilité éthique des êtres humains en relation à la création et aux pauvres de Jésus, nous voulons réassumer avec force les engagements proposés à la grande Assemblée du Peuple de Dieu (São Luis, du 29 janvier au 1er février 2004) et à l’Assemblée régionale de pastorale (Barra du Corda, du 12 au 14 mars 2004) :
– L’engagement authentique en faveur des politiques publiques ;
– L’encouragement à la participation critique du laïcat chrétien dans le monde politique ;
– L’accompagnement spirituel du laïcat chrétien engagé dans les responsabilités publiques ;
– L’appui aux mouvements sociaux, aux conseils municipaux [3] et à toutes les initiatives qui favorisent la démocratie participative et le protagonisme du peuple ;
– La création d’écoles de formation politique dans l’esprit de la doctrine sociale de l’Eglise.
6. C’est dans ce contexte que nous soulignons l’importance de la 4e Semaine sociale du Maranhão (Impératriz, du 1 au 4 juin 2005), et que déjà nous vous convoquons pour y participer après une préparation adéquate dans les communautés, paroisses et diocèses. Ce sera une façon de nous intégrer dans ce grand travail collectif en vue de la construction d’un Maranhão juste, éthique et pacifique.
Nous recommandons également qu’il y ait, dans les différents lieux et secteurs, une préparation intensive de la 11è Rencontre des communautés ecclésiales de base. C’est une occasion de renforcer nos motivations de croyants en vue d’un engagement en faveur de la justice et de la paix.
7. Jésus est venu annoncer la bonne nouvelle aux pauvres (cf. Lc 4,18) et reconstruire la vie (cf Jn 10,10). Qu’il nous inspire dans notre route au service du Royaume :
– Il n’a jamais renoncé à dire la vérité et à dénoncer les injustices contre les pauvres et c’est pour cela qu’il a été assassiné.
– Il n’a jamais recherché ses propres intérêts : « le Fils de l’Homme est venu non pour être servi mais pour servir » (Mt 20,28).
– Il a toujours enseigné le respect de la nature créée par Dieu pour la vie de tous
– Il a prêché et vécu l’amour de tous, y compris des ennemis, enseignant que la construction d’un monde meilleur doit mettre en relation la justice, le pardon et la réconciliation, promouvant « la solidarité et la paix » contre toute forme de violence et de haine, thème de la Campagne de fraternité œcuménique de cette année.
Que le Dieu de Jésus-Christ nous bénisse tous.
Barra do Corda,
Epiphanie du Seigneur 2005
Suivent les signatures des évêques du Maranhão.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2793.
– Traduction Dial.
– Source : portugais
En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Quilombolas : ce sont des régions ou terrains occupées à l’origine par des implantations d’esclaves fugitifs (quilombos), qui sont gérées d’une façon communautaires par la communauté à majorité noire (exploitation commune de la terre, sans titres individuels de propriété), aujourd’hui en passe d’être attribuées par l’INCRA aux quilombos dûment cadastrés. Divers mouvements de culture noire, dans le pays, accompagnent ces processus.
[2] Les posseiros, sont de petits exploitants ou travailleurs ruraux, émigrants d’autres régions, qui se sont installés sur une terre en général non attribuée et qui ont rarement des titres légaux d’occupation.
[3] En plus du conseil normalement élu au cours des élections municipales, il y a des conseils municipaux paritaires, dont la moitié des participants sont des élus, l’autre moitié des membres d’associations ou de groupements civils choisis au cours d’une autre élection publique spécifique. Ce conseil accompagne la mise en place et la gestion des politiques publiques (exemples : conseil municipal de santé, des enfants et adolescents, des affaires sociales, de l’éducation, plus récemment contre la Faim ou « Faim zéro »).