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VENEZUELA - Edmundo González, ça suffit
Álvaro Verzi Rangel
jeudi 3 octobre 2024, mis en ligne par
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17 septembre 2024.
Tout le monde était conscient de ce qu’Edmundo González Urrutia était un homme de paille, le candidat « muet », l’homme consensuel, qui laisserait le pouvoir à María Corina Machado, la vraie leader de l’opposition dans le cas où il se serait imposé dans les élections de juillet. Vous l’imaginez président du Venezuela ?… sa tentative ayant échoué il s’est exilé en Espagne.
L’opposition vénézuélienne a dû soudain changer de stratégie. Machado, la représentante du capital politique qui a passé ses voix à un Edmundo inconnu, était certaine que tous deux allaient se maintenir au Venezuela, en impulsant un changement. La fuite d’Edmundo oblige à remettre en question ce scenario car il a modifié tout l’échiquier politique. L’opposition attendait plus de résistance de son candidat en ce moment important. Mais Edmundo c’est Edmundo.
Au projet de départ d’Edmundo González ont participé la vice-présidente Delcy Rodríguez, le président de l’Assemblée Nationale Jorge Rodríguez et, le président en personne, Nicolás Maduro, a reconnu qu’il était au courant de tous les détails et qu’il a donné son assentiment pour qu’Edmundo s’exile, et retourne dans l’ombre.
Avant son arrivée en Espagne s’y trouvaient déjà plus d’une douzaine de politiciens antichavistes, comme l’ex-maire de Chacao, Leopoldo López ; l’ex-maire de la métropole de Caracas, Antonio Ledezma ; l’ex-président du Parlement, Julio Borges ; la députée Dinorah Figuera et l’activiste Lorent Saleh.
Nombre des opposants qui se sont exilés en Espagne l’ont fait par ce que des membres de leurs familles y résidaient déjà. Cela a été le cas de López et c’est le cas maintenant de González Urrutia dont une fille vit à Madrid depuis de nombreuses années.
Machado est un faucon de l’opposition, une dure ; Edmundo une colombe, toujours dans les coulisses du pouvoir. Elle, adepte de la pression sur le gouvernement chaviste dès ses débuts, il y a 22 ans de cela ; lui, l’homme de la négociation, tel que le considère El País (Espagne), qui souligne que le gouvernement espagnol, outre le fait de lui offrir l’asile, ne l’a pas qualifié de « président élu ». Aujourd’hui, à Madrid, il regrette de ne plus jouer au tennis.
María Corina Machado a pensé à lui après avoir été rejetée ainsi que la personnalité suivante qu’elle a désignée, l’historienne Corina Yoris. « Le meilleur atout d’Edmundo González est qu’il soit inconnu (de la population) car cela suppose un très bas niveau de rejet et un fort potentiel compte tenu du rejet de Maduro (selon les enquêtes) », a déclaré Omar Vásquez Heredia, chercheur et docteur en sciences politiques.
González a proposé une politique en faveur de la libre entreprise et de la liberté du marché, la réduction de l’inflation, l’amélioration des salaires et la revendication de la valeur travail pour éviter la dévalorisation de la monnaie et favoriser la récupération de l’économie. Mais le projet de María Corina Machado mentionne « une stabilisation expansive pour éliminer la pauvreté et favoriser la croissance de la classe moyenne ».
Après les élections, la presse hégémonique le présente maintenant comme un homme sobre, timide, aimable, méthodique, discipliné, quelque peu impatient, lui le candidat de l’opposition qui a affronté Nicolás Maduro. C’est un chrétien-social aux positions modérées qui n’a jamais cherché le pouvoir ni la notoriété, oubliant volontairement qu’il était « le candidat » de l’opposition et de l’Occident ».
Edmundo a été ambassadeur du Venezuela en Algérie, en Tunisie et en Argentine. Il est professeur et écrivain. Il parle quatre langues selon son curriculum vitae. Il n’a jamais occupé un poste de gouvernement et n’a pas non plus d’expérience politique autre que protocolaire en tant que fonctionnaire du service étranger. Jusqu’à se voir poussé à être candidat présidentiel, c’était un maître de maison, avec une vie de famille avec son épouse, ses filles et ses petits enfants, respectant les coutumes et pratiques traditionnelles.
La légende raconte qu’il a été chargé du retour de Felipe González (de Genève) en Espagne, au milieu des années soixante-dix, ordonnée par le président sociodémocrate d’alors Carlos Andrés Pérez. « Lorsque nous somme descendus à l’aéroport de Barajas, le président Pérez a dit à Adolfo Suárez, sur le ton de la plaisanterie : « Je vous ramène un clandestin » . C’est ainsi que j’ai ramené Felipe à son pays », raconte-t-il.
Depuis l’annonce de l’arrivée de l’opposant les réactions de la droite et de l’ultra droite (Parti populaire, Vox) n’ont pas cessé, contre cette décision prise après trois semaines d’intenses négociations diplomatiques.
La presse espagnole affirme que pour le départ de González Urrutia du Venezuela l’ex président du gouvernement espagnol José Luis Rodríguez Zapatero a joué un rôle crucial lui qui, depuis 2016 a pris part à diverses tentatives de dialogue entre le gouvernement et l’opposition vénézuélienne, certaines avec l’approbation non seulement de Madrid mais aussi de Washington.
En outre, au cours de son gouvernement (2004-2012) il a signé d’importants contrats avec le gouvernement d’Hugo Chávez, comme celui qui a permis à l’Espagne de construire huit navires pour la Flotte vénézuélienne, en dépit de l’opposition des États-Unis. Rodríguez Zapatero a été invité par le gouvernement vénézuélien à observer les dernières élections présidentielles.
Le président espagnol, Pedro Sánchez, a reçu jeudi Edmundo González à la Moncloa, mais a minimisé le caractère institutionnel de la visite pour ne pas irriter Maduro : il n’a pas appelé la presse et sur les images officielles on voit l’homme politique vénézuélien et sa fille Caroline se promenant dans les jardins de la résidence, avec un Sánchez détendu, sans cravate.
Dans un twit diffusé par la Moncloa on parlait d’engagement humanitaire et de solidarité, mais on ne qualifiait pas l’hôte de « président élu », comme l’ont fait deux prédécesseurs de Sánchez, Mariano Rajoy et Felipe González, qui se sont réunis avec lui le vendredi.
Edmundo, « le muet », pourra désormais exercer son revers sur les courts de tennis madrilènes.
Álvaro Verzi Rangel est sociologue et analyste international, codirecteur de l’Observatoire en communication et démocratie et analyste senior du Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE, www.estrategia.la).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/09/17/basta-ya-de-edmundo-gonzalez.