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BRÉSIL-ÉTATS-UNIS - Lula et Biden, deux visions du monde à l’ONU
Mirko C. Trudeau
lundi 21 octobre 2024, mis en ligne par
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26 septembre 2024.
Le président brésilien Luis Inacio da Silva a pris la parole en faveur de la défense de l’environnement, de la construction d’un État efficace et il a accusé les corporations qui « se croient au dessus des lois », tandis que le mandataire étatsunien, Joe Biden, a demandé que soit négociée une trêve à Gaza, comme si les États-Unis étaient étrangers au drame palestinien, lors de leurs discours à la 79e Assemblée générale des Nations unies.
Lula da Silva a pris la parole pour la dixième fois dans ce forum universel tandis que Joe Biden faisait ses adieux à ce qui sera son unique mandat à la Maison blanche, lors d’une séance où les sujets de la guerre en Ukraine et au Moyen orient, n’ont pas été absents de leurs messages.
Sur la guerre en Ukraine, Lula a déclaré : « Malheureusement nous assistons à une guerre sans perspective de paix. Le Brésil a fermement condamné l’invasion. Il est clair désormais qu’aucune des parties ne parviendra à atteindre ses objectifs par la voie militaire. […] Créer des conditions pour renouer le dialogue direct entre les participants est capital. »
Après avoir salué la présence des représentants de l’État de la Palestine dans la salle « en tant qu’observateur, il a condamné le fait qu’Israël ait fait du droit de se défendre, après « les attaques terroristes de fanatiques », « un droit de vengeance » qui fait des victimes particulièrement parmi des femmes et des enfants.
Lula a fait le décompte des investissements en armement des principaux pays du monde : « L’année 2023 bat le triste record de compter le plus grand nombre de conflits depuis la Seconde Guerre mondiale. Les dépenses militaires globales ont augmenté pour la neuvième année consécutive jusqu’à atteindre 2 milliards de dollars. Ces ressources auraient pu être utilisées pour lutter contre la faim et s’attaquer au changement climatique ».
Le Brésil envisage de convoquer une conférence pour proposer une révision de la Charte de l’ONU, pour sortir de la forme actuelle de l’organisation obsolète, impuissante à éviter les conflits. « La réforme est fondamentale et urgente », a déclaré Lula, lors d’une réunion des ministres du G20, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, et a déclaré que les nations de l’Amérique latine, de la Caraïbe et de l’Afrique devraient avoir davantage de voix au Conseil de sécurité pour lutter contre la polarisation.
Lors de la session précédente, le président argentin d’extrême droite, Javier Milei, a refusé d’adhérer au Pacte pour l’Avenir qui a été signé le dimanche et a craché sur la défense de la justice sociale. Le mandataire colombien, Gustavo Petro, a dit de lui le mardi « Usant du pouvoir d’interdire et de censurer il crie “Vive la liberté bordel !” mais ce n’est que la liberté de 1% des plus riches de la population mondiale. Leur position mercantiliste et libertaire mène à la destruction de l’atmosphère et de la vie » et il a ajouté que « c’est eux qui disent ce qu’on doit penser, dire, et ce qui doit être interdit est passé sous silence ».
Il a dit que la crise climatique « frappe à notre porte, détruit nos maisons, nos villes, nos pays et inflige pertes et souffrance […] surtout aux plus pauvres ». Il a critiqué l’indifférence des dirigeants qui se soustraient aux protocoles et aux engagements. Il a proposé aussi d’adopter des mesures contre « ceux qui tirent profit de la dégradation environnementale ».
Faisant allusion à Elon Musk, le patron de X, que les autorités judiciaires brésiliennes affrontent et qui les a menées à interdire le réseau social dans le pays, Lula a déclaré qu’aucun État ne peut subir la pression de ceux qui « se croient au dessus des lois ».
Décennie perdue
Le président brésilien a fait allusion aussi à la « décennie perdue » de l’Amérique latine qui, depuis 2014, souffre d’une croissance faible et d’un taux élevé d’inégalités. Il s’agit d’une région, a t-il affirmé, qui est souvent « prise » dans des conflits qui ne sont pas les siens, donnant comme exemple l’embargo sur Cuba. « Maintenir Cuba sur une liste, établie unilatéralement, d’États qui sont supposés promouvoir le terrorisme et imposer des mesures coercitives unilatérales, pénalise injustement les populations les plus modestes ».
« L’avenir de notre région est dans la construction d’un État durable, efficace, inclusif et qui fait face à toutes les formes de discrimination », a martelé Lula qui a désigné dans sa liste « des personnes, des corporations et des entreprises de technologie qui se croient au-dessus des lois ».
« Les Brésiliens et les Brésiliennes continueront à lutter contre ceux qui tentent de mettre les institutions au service de leurs intérêts réactionnaires […]. Dans un monde globalisé, recourir à de faux patriotes et des isolationnistes et des expériences ultra libérales qui aggravent les difficultés du continent, n’a aucun sens », a-t-il conclu.
Les tristes adieux de Biden
Comme si la Maison-Blanche n’était pas concernée par les événements, Joe Biden a affirmé qu’« il est temps que les parties se mettent d’accord » pour convenir d’un cessez-le feu dans la Bande de Gaza qui permette la libération des otages toujours aux mains des milices palestiniennes. Il a ajouté « qu’est encore possible une solution diplomatique » pour mettre fin à « l’enfer » que vivent autant les familles des otages que les « civils innocents » gazaouis.
« Une guerre à grande échelle ne bénéficie à personne », a dit le président des États-Unis, sans critiquer les dernières actions entreprises par Israël, le principal allié politique des États-Unis dans la région. Biden a émis à nouveau des critiques contre la violence exercée sur les Palestiniens de Cisjordanie et a demandé d’avancer pour obtenir une solution à deux États, selon laquelle Israël pourrait « normaliser » ses relations avec les pays voisins et les Palestiniens pourraient disposer d’un territoire propre où vivre « en paix et en sécurité ».
En guise d’adieu, Biden a évoqué les « réussites » de sa gestion : le retour à l’Accord de Paris contre le changement climatique, le retour dans l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la fin de la guerre en Afghanistan, une décision « difficile » mais « correcte ». Il a également cité sa décision de soutenir l’Ukraine face à « la guerre de (Vladimir) Poutine qu’il a qualifiée de « vouée à l’échec » et a demandé qu’on ne baisse pas les bras jusqu’à ce que l’Ukraine obtienne sa liberté ».
Biden a affirmé ensuite que l’OTAN est maintenant « plus forte que jamais » et compte deux nouveaux membres, la Suède et la Finlande. Il a encouragé l’Occident à continuer à tisser des liens dans la zone Indo-Pacifique. Tout en assurant que ces nouvelles alliances ne sont dirigées contre aucun pays en particulier (il parlait évidemment de la Chine).
Biden en a profité pour attaquer le Venezuela et a parlé d’une supposée « fraude électorale ».
Celui qui est encore le locataire de la Maison-Blanche s’est montré favorable à une réforme et un élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies.
Lula, depuis sa seconde présidence lutte pour obtenir un siège permanent dans ce club sélect de cinq nations et un droit de veto pour le Brésil, mais il demande aussi une plus grande participation en son sein de l’Amérique latine et de l’Afrique.
Mirko C. Trudeau est un économiste et politologue états-unien, associé au Centre latino-américain d’Analyse stratégique (CLAE).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/09/26/lula-y-biden-dos-visiones-de-mundo-en-la-onu/.