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DIAL 3754

PORTO RICO - Renaissance de la révolte anticoloniale

David Brooks & Jim Cason

lundi 29 septembre 2025, mis en ligne par Dial

À Porto Rico, le mouvement de lutte contre l’austérité et la domination coloniale prend de l’ampleur. Article de David Brooks et Jim Cason, correspondants de La Jornada aux États-Unis paru dans La Jornada le 8 septembre 2025.


Après une crise sévère, qui est de plus en plus profonde, les nouvelles générations de l’île cherchent à se débarrasser de la tutelle des États-Unis ce qui suppose la formation d’un vaste front se différenciant des deux partis politiques existants.

Le défenseur vétéran des travailleurs José La Luz Díaz se réjouit de ce que de jeunes artistes – comme les chanteurs Bad Bunny et Residente – participent à un nouveau mouvement mais souligne l’importance de travailler à l’éducation de ceux qui travaillent dans ce pays et qui souffrent du projet d’austérité dans le cadre duquel le gouvernement continental a imposé une autre Junte de contrôle fiscal.

Le militant participe au nouveau projet de parti baptisé Mouvement Victoire citoyenne et a contribué à la syndicalisation de 120 000 travailleurs porto-ricains sur l’île
Photo fournie par José La Luz

À Porto Rico renaît un mouvement anticolonialiste avec une nouvelle génération, à un nouveau rythme, qui lutte contre les politiques de soumission aux fonds vautours, au pillage, à la gentrification, développée par ceux qui spéculent sur les terres et les logements et contre la continuation de presque 130 ans de colonisation par les États-Unis, déclare José La Luz Díaz dans un entretien à La Jornada.

Le syndicaliste vétéran, organisateur politique et éducateur populaire au long parcours dans les luttes sociales et électorales aux États-Unis et dans son propre pays, expert en mouvements solidaires sur le continent américain – toujours un optimiste réaliste – est enthousiasmé par le futur immédiat d’un Porto Rico qui traverse depuis des années une crise de plus en plus sévère.

Un nouveau mouvement anticolonialiste mené par des forces sociales, culturelles et politiques, comprenant notamment le Mouvement Victoire citoyenne (Movimiento Victoria Ciudadana, dont il fait partie, prend de l’ampleur. « Il y a des forces émergentes qui, dans leur grande majorité, sont des jeunes, qui participent à ce mouvement. Se fait jour la nécessité de construire un front large, connu comme Alliance pays, semblable à ce qui s’est fait, ailleurs, en Colombie et en Uruguay notamment ».

Ce n’est pas une invention nouvelle : « Tout ce que nous avons appris des tentatives qui ont eu lieu dans notre Amérique latine, tout cela a été mis en pratique. Des dialogues ont eu lieu avec des camarades d’Amérique latine, autour de ce besoin d’élaborer cette vaste alliance ».

Et au sein de ce mouvement, précise-t-il, la participation est de plus en plus dynamique. « Depuis 1952, il n’y avait pas eu de participation à un tel niveau des forces progressistes dans cette île caribéenne », comme celle qui s’est exprimée lors des élections de 2024, et depuis lors, dans la construction d’une force anticoloniale.

L’influence de la musique

Un des éléments surprenants de ce nouveau mouvement est la figure de Bad Bunny, qui réalise actuellement une tournée de 30 mégaconcerts dans l’île et qui est un phénomène musical international. « Ce jeune homme qui, jusqu’à il y a peu, insultait la moitié du monde avec ses chansons et sa musique, est devenu soudain une figure importante pour favoriser le développement de ce mouvement, non seulement depuis la scène culturelle et musicale mais aussi avec de l’argent pour engager des personnes qui aident à l’organiser.

Plus récemment, le mouvement bénéficie aussi du soutien du chanteur Residente qui touche à la fois les personnes de notre génération mais aussi leurs enfants et petits-enfants. C’est un phénomène qui va nous donner beaucoup plus de force. » Il cite en particulier la chanson « Lo que pasó en Hawái » [« Ce qui est arrivé à Hawaï »], qui illustre ce qui se passe à Porto Rico [1]. Il attribue en partie la prise de conscience de Bad Bunny au chanteur porto-ricain René Pérez, Residente.

Concernant ce nouveau mouvement, « un autre élément est la relation dynamique avec la diaspora portoricaine. Sur l’île ils sont à peine 3 ou 3,4 millions tandis qu’ils sont un peu plus de 8 millions aux États-Unis. Ce qui veut dire que l’immense majorité de notre population fait partie de la diaspora et vit aux États-Unis ». Dans ce contexte, il met l’accent sur l’importance des personnalités politiques états-uniennes d’origine portoricaine, comme la députée fédérale Alexandria Ocasio-Cortez, qui soutient le nouveau mouvement.

José La Luz explique qu’il a été récemment élu par le Mouvement Victoire citoyenne comme un des représentants de cette diaspora « Le défi que nous devons relever est celui de faire prendre conscience à nos camarades de là-bas que ceci – le travail aux États-Unis – a une importance stratégique, et que ce n’est pas juste utile pour lever des fonds, comme beaucoup de nos partis en Amérique latine nous considèrent. Il faut s’organiser de façon binationale, transnationale et transfrontalière, pour ainsi dire ». Mais à la différence de tous les autres, les immigrés portoricains ont quelque chose d’unique : le droit de vote. Et, à la différence de leurs compatriotes dans l’île, ils peuvent voter s’ils résident aux États-Unis pour élire le président et les parlementaires fédéraux.

La gestion de la faillite

Revenant à la question de Porto Rico, La Luz répète que ce nouveau mouvement surgit en partie en « réponse à un plan terrible d’austérité qui a été imposé déjà bientôt 2 décennies. Le gouvernement de l’île s’était déclaré en faillite, une loi de faillite territoriale avait été approuvée à Washington lors du gouvernement de Barack Obama parce que, comme Porto Rico n’est pas un État de l’Union, elle n’a pas la possibilité de se déclarer en faillite et c’est pour cette raison que les choses se décident à Washington. »

C’est à ce moment-là que le gouvernement des États-Unis a imposé la Junte de contrôle fiscal, connue comme « La Junte », chargée de gérer la crise financière « et qui en réalité gouverne l’île. »

Pendant près d’une décennie cette junte a imposé une politique d’austérité et de privatisation des services publics, y compris le secteur électrique et la fermeture d’écoles. Des critiques indiquent que l’économie de Porto Rico est désormais au service de ce qu’on appelle les « fonds vautours » qui contrôlent sa dette et des investisseurs qui exploitent les ressources de l’île.

Au début du mois d’août, le président Donald Trump a renvoyé cinq des sept chefs de La Junte pour pouvoir choisir des personnes qui lui sont exclusivement fidèles. Les analystes prévoient que les choses continuent de la même manière, mais en pire, dans la gestion de l’île.

Pour La Luz, les plus important est « la construction d’un mouvement de masses pour pouvoir affronter l’assaut » de plus en plus sauvage. « Les deux principaux partis coloniaux que sont le Parti nouveau progressiste, qui n’est ni nouveau ni progressiste, et le Parti populaire démocratique qui n’est ni populaire ni démocratique fonctionnent comme un binôme. C’est comme, au Mexique, le PRI et le PRD d’une part, et le PAN de l’autre, n’est-ce pas ? » fait-il remarquer. De fait, la gouverneure de l’île est des cofondatrices de Latinas pour Trump.

« Mais du fait de la conjoncture on observe une résurgence, une renaissance des forces progressistes qui ne sont pas toutes en faveur de la souveraineté ou de l’indépendance mais qui défendent un projet de décolonisation du pays… et une bonne part des personnes qui participaient déjà à la construction de ce mouvement participent aussi à la construction de ce nouveau parti, le Mouvement Victoire citoyenne. »

Pour ceux qui se considèrent indépendantistes, ajoute-t-il, « le problème est que pour pouvoir comprendre que la souveraineté est nécessaire, il faut comprendre d’abord que Porto Rico est une colonie et qu’il faut décoloniser. Et décoloniser implique que les gens se défassent de la vision colonisée de voir les choses ».

Il ajoute en outre qu’un mouvement ne peut pas se limiter à une simple opposition à un projet comme celui qui est imposé dans l’île, il doit proposer une alternative. « C’est ici que l’expérience d’autres mouvements dans d’autres pays va être fondamentale » pour faire face, entre autres choses, à ce qui est qualifié de gentrification coloniale ou au pillage des richesses de l’île avec d’abord son peuple.

La Luz a pris la tête du mouvement pour fonder le syndicat le plus puissant de Porto Rico dans les années 90, réunissant 120 000 employés publics. Il a participé à différents efforts d’éducation populaire et de syndicalisation, appuyant aussi l’élection de politiques progressistes aux Etats-Unis y compris un représentant du candidat présidentiel Bernie Sanders et très récemment au sein du comité national des Socialistes démocrates d’Amérique.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3754.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : La Jornada, 8 septembre 2025, p. 25.

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