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DIAL 3011

ÉQUATEUR - Un avenir post-pétrolier pour la région amazonienne ?

Ermel Chávez

mardi 1er juillet 2008, mis en ligne par Dial

Dial republie ce texte rédigé par le président du Front de défense de l’Amazonie (Frente de Defensa de la Amazonía) et paru dans le numéro 241 de la revue Brennpunkt Drëtt Welt (avril 2008). Le Front de défense de l’Amazonie se mobilise contre les dégâts causés depuis plusieurs décennies par la compagnie pétrolière Texaco.


Texaco fut la première compagnie pétrolière à accéder à la région amazonienne de l’Équateur. L’entreprise états-unienne laissait délibérément s’échapper dans la nature une quantité de pétrole brut 30 fois supérieure à celle déversée lors de la catastrophe de l’Exxon Valdez en Alaska.

En 1964, Texaco accédait à la région amazonienne, obtenant une concession sur un million d’hectares de forêt vierge. Durant ces 28 ans d’activité dans la zone, 63,5 milliards de litres de pétrole ont été lâchés dans la nature et 180 milliards de m3 de gaz ont été brûlés à l’air libre dans la région nord de l’Amazonie équatorienne. Ces déchets toxiques sont à l’origine d’un risque important de cancer et d’autres problèmes de santé parmi les 30 000 habitants de la région affectée. Ils ont ruiné les terres et les cours d’eau de cet écosystème fragile et menacé la survie de cinq peuples indigènes (Sionas, Secoyas, Cofanes, Wuoranis et Kichwas).

Texaco a construit un système d’environ 350 puits pétroliers et un vaste réseau d’oléoducs, lesquels - comme a dû l’admettre la compagnie - ont déversé près de 70 milliards de litres d’eaux toxiques directement dans la forêt. Ces eaux contenaient des produits chimiques des plus cancérigènes connus à ce jour. Sans mesures de nettoyage adéquates, ces produits perdureront dans l’environnement pendant des siècles.

De plus, Texaco creusa près de 1000 fosses sur l’ensemble du territoire, qui ont servi à capter les déchets de l’extraction pétrolière. Certaines de ces fosses, communément appelées « piscines », existent depuis les années 1970 et continuent de polluer la nappe phréatique, le sol et l’air. Des échantillons de terre examinés ont montré des résultats alarmants : les concentrations de produits toxiques près de la station Benceno à Lago Agrio par exemple, dépassent 176 fois la norme environnementale équatorienne. Même chose pour les cours d’eau : à Shushufindi, on a décelé une concentration de produits toxiques 12 000 fois supérieure à la norme environnementale nationale. Par ailleurs, la pollution ne s’est pas arrêtée avec le retrait de Texaco en 1992. Les sociétés exploratrices qui ont repris l’activité de la compagnie américaine, dont Petroecuador, ont également repris ces techniques d’extraction.

Cette pollution n’est bien sûr pas sans effet pour la santé des habitants de la région amazonienne. De nombreuses études médicales, publiées dans des revues internationales renommées, démontrent des taux extrêmement élevés de cancers et autres problèmes de santé liés au pétrole, comme les avortements involontaires ou les défauts génétiques. Le risque pour un enfant d’être atteint de la leucémie est trois fois plus élevé que dans le reste du pays. C’est pourquoi, depuis 1993, le Front de défense de l’Amazonie (Frente de Defensa de la Amazonía) soutient les 30 000 personnes affectées par la pollution dans un procès contre Texaco et dont le verdict devrait être prononcé dans le courant de cette année.

Mais les provinces de Sucumbios et de Orellana ne sont pas seulement les plus polluées de l’Équateur, elles sont également parmi les plus pauvres du pays. Si l’on prend comme référence l’indice de pauvreté national qui est de 52,3%, il dépasse les 78% dans ces deux provinces. On peut donc se poser la question suivante : en quoi l’extraction pétrolière aurait-elle bénéficié à la population locale ? Depuis le premier semestre 2007, 97 millions de barils ont été produits. Si l’on multiplie ce chiffre par 30 dollars seulement le baril, on arrive à trois milliards de dollars. Pourquoi, dès lors, une telle pauvreté au milieu de toute cette pollution ?

La politique du gouvernement actuel ne se différencie guère de celle des gouvernements précédents. Ils veulent exporter de plus en plus de pétrole et gagner de plus en plus d’argent, toujours aux frais de l’environnement et des populations de la région d’extraction. Quand les habitants de la commune de Dayuma ont demandé le respect de leurs droits et la construction des bâtiments d’utilité publique qu’on leur avait promis, le gouvernement a répondu par une militarisation, des emprisonnements et des sévices physiques et psychologiques. Dans cette situation, il n’y a plus de respect des droits humains ; on est simplement impuissant.

Mais les réserves dans le nord de la zone amazonienne s’épuisent, nos provinces entreront donc bientôt dans l’ère post-pétrolière. Et que va-t-il se passer alors ? Que va-t-on faire de cette région affectée par la pollution et la pauvreté ? La réponse à ces questions doit venir du gouvernement central et des autorités locales, mais jusqu’ici, rien ne bouge. Il est indispensable d’envisager un plan intégral qui vise à restaurer la région, aussi bien du point de vue environnemental qu’économique, pour qu’on puisse vivre dans la dignité lorsque les puits cesseront d’extraire du brut.

Il est indispensable de rechercher des alternatives plus respectueuses de l’environnement et plus cohérentes avec les besoins des gens. Il faudrait renégocier les contrats pétroliers pour avoir une part plus grande des bénéfices, une récupération efficace des déchets de l’extraction pour minimiser l’impact sur la nature et une stratégie post-pétrolière pour empêcher l’effondrement économique de nos régions. S’il n’y a pas de réponse à tous ces problèmes, il est impensable d’étendre cette catastrophe qu’est l’extraction pétrolière vers le centre et le sud de la région amazonienne, comme c’est actuellement prévu. Car on envisage d’entamer la plus grande réserve de pétrole du pays, située dans le parc national Yasuni, patrimoine environnemental et culturel du pays.


Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3011.
 Source (français) : revue Brennpunkt Drëtt Welt, n° 241, avril 2008.

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