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VENEZUELA - Chávez et le chavisme, après la défaite du 2 décembre 2007

Mauricio R. Alfaro

lundi 8 septembre 2008, mis en ligne par Mauricio R. Alfaro

Au Venezuela l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez, en 1998, met fin à une période historique dominée par le « Pacte de Punto Fijo » de 1958. S’entame alors, dans ce pays, un processus révolutionnaire qui allait privilégier la démocratie sociale et participative comme axe de référence des changements en cours. Et, par un effet d’influence réciproque, c’était toute l’Amérique latine qui entrait dans une nouvelle phase politique. L’optimisme revenait dans toute la région et, après les grandes et successives défaites populaires du XXe siècle, les peuples se mettaient de nouveau en marche vers la conquête du pouvoir politique.

Toutefois le 2 décembre 2007, c’est toute la mouvance de changement au Venezuela, qui dans son ensemble paraît fortement affectée. Car ce jour-là, chose étonnante, 3 millions de chavistes n’ont pas suivi Chávez dans sa proposition de réforme constitutionnelle. Le non l’a ainsi emporté et Chávez connût son premier échec aux urnes, après 11 événements électoraux et référendaires victorieux. Dans cette réflexion, nous allons tenter de comprendre, la source de cet énigmatique « Non chaviste » à Chávez.

Le Venezuela avant l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez

La mécanique du pouvoir du « Pacte de Punto Fijo » de 1958

Le pacte politique de « Punto Fijo » de 1958 inaugure un moment exceptionnel pour le Venezuela car le consensus démocratique a été possible grâce à un accord politique entre les élites. C’est-à-dire entre les partis politiques AD (Action Démocratique) et COPEI (Comité d’Organisation Politique Électorale Indépendante), le secteur privé (Fedecameras) et les travailleurs organisés dans la CTV (Confédération des travailleurs du Venezuela). Cette entente des élites a produit un fait particulier : les partis politiques ont réussi à consolider leur position en incorporant, sous leur influence et à travers une politique fondée sur le« clientélisme », les diverses structures de la société disposant, grâce à la rente pétrolière, d’une marge de manœuvre importante (Molina et Baralt, 1998, p. 36). Une démocratie de partis (c’est-à-dire représentative) s’est ainsi implantée au Venezuela et à travers elle, comme l’observe Michel Coppedge, les principaux partis politiques, à savoir le AD et le COPEI, ont réussi à infiltrer et contrôler des sociétés privées (cité par Jimenez, 1999, p. 37). Par ce biais, ces partis étaient les uniques médiateurs entre les citoyens et l’État, et les différents secteurs sociaux obtenaient des bénéfices en fonction de leurs services prêtés (Molina et Baralt, 1998, p. 36).

Crise du « Pacte de Punto Fijo »

Ce pacte politique des élites allait entrer dans une phase de congélation où les partis politiques principaux (historiquement identifiés comme les dépositaires d’un grand consensus grâce à sa capacité de mobilisation et acceptation populaires) devenaient, avec le temps, les promoteurs d’un système privilégiant surtout les acteurs politiques du schéma originel de 1958. Ce modèle de société commence à s’effriter en 1988 avec le deuxième mandat de Carlos Andrés Pérez qui entame le démantèlement du monopole des partis. Ce président, afin de concrétiser son programme politique, néglige son parti (le AD) et opte, en s’appuyant sur une équipe de travail d’orientation technocratique, pour les politiques économiques néo-libérales. Les Vénézuéliens n’ont pas accepté cette voie et, de manière active et militante, s’y sont opposés. Rappelons ici le « Caracazo » de 1989 [1]. Il s’agit là, d’une insurrection populaire qui s’est soldée par des centaines de morts. Rafael Caldera (un des fondateurs du COPEI) confirme la crise évidente du bipartisme en fondant son propre mouvement qu’il appelle « Convergence ». De cette façon, il essaie de redonner une nouvelle image de la politique. Caldera critique les positions néo-libérales de Pérez et offre un modèle alternatif de développement. Sur base de ces promesses, il obtient en 1993 la victoire électorale (Ellner, 1998, p. 126).

Le gouvernement de Caldera n’est pourtant que la continuation de celui de Pérez et, pour conserver le pouvoir, il continue à s’appuyer sur le bipartisme et sur le Parlement. Caldera intensifie la crise en commettant une série d’erreurs qui seront identifiées par les citoyens comme le produit d’une classe politique négligente et en décadence à laquelle ils ne font plus confiance.

Heinz Sonntag (1998) voit ce déclin de la façon suivante : tout au long de 1993, la grande majorité des Vénézuéliens ont eu la perception que la démocratie au Venezuela avait un avenir incertain. Cette majorité n’avait aucune confiance dans le Congrès, elle se méfiait du Conseil Suprême électoral, elle voyait dans les partis politiques non des acteurs politiques fondamentaux du système démocratique, mais des appareils éloignés des citoyens. Leurs leaders étaient vus comme des mafiosi appartenant à des « castes » dont l’unique objet était de se perpétuer au pouvoir pour maintenir leurs privilèges en monopolisant le pouvoir politique.

Même l’État, autrefois perçu comme le grand protecteur par sa fonction de distributeur de la rente pétrolière, était remis en question pour son incapacité à répondre aux demandes des citoyens. Ces tendances dissolvantes de l’espace politique ne trouvaient pas de contrepoids en une société civile forte. Tout au contraire : cette société civile, surgie pendant les années 70 et 80, avait succombé aux effets dissolvants de la globalisation sur les acteurs collectifs traditionnels et la montée galopante de l’individualisme, qui est sous-jacente à ce modèle des politiques d’ajustements réalisées dès 1989 et jusqu’au milieu de 1993. Le résultat fut une apathie généralisée.

Pour Sonntag (Idem), pendant que l’espace politique du Venezuela se dissolvait, aucune classe sociale, aucun groupe ou secteur était capable d’agir collectivement : les acteurs politiques se divisaient, la société s’atomisait et l’individualisme s’enracinait. En parallèle à ces processus, il y a eu une crise financière aiguë, provoquée par la faillite d’une importante banque du pays, ce qui a obligé Caldera à réaliser une intervention de sauvetage de plusieurs milliards de dollars, l’équivalent à 10% du PIB (Lander et Maya, 1999, p. 6). Au même moment un secteur important de banquiers et d’exécutifs a été signalé comme une bande de simples délinquants (Sonntag, 1998, p. 22).

Chavez et la Révolution bolivarienne

Les deux démocraties

Afin de mettre un terme à cet état des choses, Hugo Chávez propose, comme alternative, l’autre démocratie qu’il a envisagée comme suit : « Nous sommes en train de vivre, commente-t-il, à la fois, une mort et une naissance. La mort d’un modèle usé, épuisé, détesté ; et la naissance d’un nouveau cours politique, différent, qui porte l’espoir d’un peuple. Le vieux tarde à mourir, et le neuf n’a pas encore pris ses marques, mais cette crise accouche d’une révolution ». Quelle est la nature de cette révolution ? « Outre la crise économique, explique Chávez, le Venezuela connaissait surtout une crise morale, éthique, à cause du manque de sensibilité sociale de ses dirigeants. Or la démocratie, ce n’est pas seulement l’égalité politique. C’est aussi, voire surtout, l’égalité sociale, économique et culturelle. Tels sont les objectifs de la Révolution bolivarienne » » (cité par Ramonet, 1999).

Pour passer de la démocratie représentative à la démocratie sociale, Hugo Chávez envisageait les secteurs appauvris et exclus de la société vénézuélienne comme les acteurs historiques principaux du changement politique, (Lander et Maya, 1999, p. 17). Au Venezuela, Hugo Chávez, avec sa proposition de démocratie sociale, représentait donc (dans un environnement où la lutte idéologique était inexistante grâce au pacte politique des élites) un renouveau pour l’imaginaire politique des masses. Et c’est ce même imaginaire politique qui allait créer les conditions pour passer de l’alternance politique vers l’alternative politique, c’est-à-dire, vers la création d’un nouveau statu quo.

Vers la consolidation de la 5e République : l’État social

Dans le cas du Venezuela, le paradigme démocratique est porteur d’une antithèse profonde où deux programmes politiques s’affrontent. Ceci explique pourquoi, la lutte politique au Venezuela s’est envenimée au point de devenir haineuse. Car dans ce contexte, à la conception démocratique des élites qui, dans sa version néo-libérale, prônait l’État minimal comme stratégie globale d’organisation et de développement socio-économique, allait s’opposer, d’une manière concrète et militante, l’autre vision démocratique faisant du pouvoir régulateur de l’État, le garant du progrès socio-économique de la collectivité. En paraphrasant Balibar (1992) [2], on pourrait bien dire que, pour Hugo Chávez, l’État qui se fonde sur la liberté et la reconnaissance d’une stricte égalité juridico-politique des citoyens n’est plus le paradigme principal. Il va, dès lors, privilégier l’autre État qui cible surtout l’égalité économique, sociale et culturelle des citoyens.

Au Venezuela, ce dernier État s’est implanté dans la dynamique suivante : « Élu une première fois le 6 décembre 1998, avec 56,2 % des suffrages, Hugo Chávez Frias est reconduit à la présidence du Venezuela le 30 juillet 2000 avec 59,75 % des voix, après avoir remis son mandat en jeu. Entre-temps, les Vénézuéliens ont approuvé, par 88 % des suffrages, la mise en place d’une Constituante puis, par 71,4 % des voix, le texte constitutionnel, préparé par cette assemblée, qui a institué la Ve République » (Ramonet, 1999).

Hugo Chávez a donc posé le noyau d’une nouvelle hégémonie ; le Nouvel État social fondé par lui en est la preuve. Dans ce processus, les masses optent de manière active pour un nouveau bloc au pouvoir. S’érigerait ainsi une sorte de double pouvoir, comme le décrivait Hugo Chávez ci-dessus. Dans cette dynamique, l’ancien régime n’ayant plus le contrôle des changements refuse à disparaître. Ainsi s’explique sa résistance, son opposition radicale au programme politique de Chávez. Le nouveau régime, quant à lui, n’a pas encore la puissance nécessaire pour s’imposer de manière intégrale. De là, la lutte, les conflits qui prolongent la crise. Cette dernière, nous l’entendons donc comme une confrontation profonde de deux programmes politiques affectant toutes les structures de la société.

Hugo Chávez et le chavisme

L’effet Chávez

Au Venezuela, la gauche, en concrétisant une alternative politique, avait trouvé une issue à un des problèmes majeurs de la gauche latino-américaine. En effet cette dernière, depuis quelque temps, semblait tourner en rond. Par ses constantes mobilisations quelquefois héroïques, elle réussissait à déchaîner un état permanent de révolté et arrivait même à se défaire, à travers l’action directe, d’un Président néo-libéral. Pourtant, le goût de la victoire était de courte durée parce que, un autre de la même espèce, lui succédait. La gauche se réorganisait et entamait de nouvelles révoltés toutefois les résultats étaient toujours les mêmes ! C’est ce qui nous fait dire que la gauche régionale tournait en rond ; alimentant davantage l’apathie et le découragement. Le néo-libéralisme réussissait ainsi à s’imaginer et à se faire considérer comme le paradigme sans alternative. Imbattable, il atteste son succès, presque total, dans la région.

C’est ce cercle vicieux de révolte en défaite et vice versa qui, au Venezuela, a été brisé par l’arrivée au pouvoir de Hugo Chávez et sa politique fondatrice dynamique qui va ensuite irradier au Brésil, en Bolivie, en Équateur, au Nicaragua et dans d’autres pays. L’ensemble de cette nouvelle dynamique politique peut donc bien s’appeler, l’effet Chávez.

La convergence secteurs-populaires-Hugo Chavez

Au Venezuela, selon notre perspective d’analyse, la crise du « Pacte de Punto Fijo » suivie de l’échec du programme politique néo-libéral a favorisé l’éclosion, d’une conjoncture politique exceptionnelle dans ce pays. D’un côté elle a favorisé la mobilisation populaire contre un état de choses chaotique et d’un autre côté, c’est elle, également, qui a propulsé Hugo Chávez comme figure politique au niveau national et ceci, après sa tentative putschiste de 1992. Les conditions historiques se sont ainsi combinées pour faciliter la convergence entre les secteurs populaires et Hugo Chavez. Ce dernier devenait alors comme le catalyseur des inquiétudes et revendications politiques des Vénézuéliens. Processus qui, comme on l’a vu, atteignait son sommet avec la fondation de la Ve République.

Dès sa fondation la Ve République a été durement combattue par les anciennes élites au pouvoir et leurs alliés. En font preuve, parmi d’autres, le coup d’État de 2002 suivi peu de temps après par le lockout patronal de PDVSA. Fait remarquable : toutes ces crises ont été surmontées grâce à la détermination populaire et sa mobilisation militante, venu à la défense du nouveau processus politique vénézuélien. L’exemple le plus marquant est celui du coup d’État défait en 48 heures par une alliance civico-militaire.

L’alliance de Chávez et des secteurs populaires faisait ainsi ses preuves et s’affirmait comme le garant du triomphe populaire. Un changement de taille s’infiltre néanmoins dans ce processus : Chávez prend de plus en plus la place de figure centrale du processus et, de manière quasi naturelle, les secteurs populaires l’acceptent comme leur Leader incontesté. C’est à ce moment précis, que le rapport secteurs populaires-Chávez va s’inverser et muter en Chávez et le chavisme. Ce qui signifie, que l’immense accumulation de forces politiques populaires (qui s’étaient libérées lors des mandats présidentiels de Pérez et Caldera) allaient tomber sous le contrôle et la direction de Chávez. Dans ce rapport, nous semble-t-il, Chávez prenait figure de quelque chose qui s’apparente à la conscience même du processus révolutionnaire en cours.

Le fait reste qu’au Venezuela, la fusion de Chávez et du chavisme devenait une puissante force politique qui, dans sa phase ascendante, se révélait imbattable ; puisque Chávez, avec ses initiatives, n’avait pas seulement désarmé politiquement et idéologiquement la droite vénézuélienne mais cette dernière, comme organisation politique, avait pratiquement disparu du panorama politique vénézuélien.

Par un étrange revirement des choses, cette victoire presque complète de Chávez et du chavisme allait produire un résultat contraire aux attentes. Chávez devenant invincible, son pouvoir prenait une extension de plus en plus large. C’est donc dans l’ordre naturel des choses, que, pour soutenir l’ensemble de cette domination, il fallait un appareil d’État capable d’assumer le contrôle des nouvelles responsabilités. Et c’est ainsi qu’au Venezuela s’installe un chavisme prenant forme, cette fois-ci, d’appareil politique pour contrôler presque toutes les structures du pouvoir d’État. Parmi elles, le PDVSA (Pétrole du Venezuela Société Anonyme). Ceci signifie que la rente pétrolière et sa distribution est maintenant, sous contrôle chaviste. Le processus de bureaucratisation de la Révolution bolivarienne atteint alors son point culminant.

La Nouvelle Classe Politique Chaviste (NCPC)

À ce chavisme devenu appareil d’État, Dieterich (2007) (un ex-conseiller de Chávez) va donner le nom de « Nouvelle Classe Politique ». Pour cet auteur la NCPC se porte garant du contrôle bureaucratique du processus politique vénézuélien. Toutefois, l’impact immédiat de cette orientation, fait remarquer Dieterich, se solde pour Chávez, au cours du temps, par un isolement progressif par rapport à la réalité concrète du peuple. Le bloc Chávez et le chavisme, tel que décrit ci haut, commencent alors à montrer d’importantes fissures. C’est ce que les statistiques montrent.

En effet, selon La Jornada dans son édition électronique du 3 décembre 2007, un vénézuélien sur quatre ayant voté pour Chávez en décembre 2006 n’a pas voté en faveur de la réforme de la Constitution du 2 décembre 2007. Dans les élections de 2006 Chavez a obtenu 7.300.000 votes qui contrastent fortement avec les 4.380.000 de « oui » favorables à la réforme de la Constitution. Tandis que le candidat de l’opposition, Manuel Rosales a obtenu, en décembre 2006, 4.292.000 votes, l’opposition à la réforme a, cette fois, obtenu 4.500.000 votes. Ce qui donne une petite augmentation des votes à l’opposition et une perte de 3.000.000 de votes pour le chavisme. L’abstentionnisme est ainsi passé de 25 pour cent en décembre 2006 à 44 pour cent le 2 décembre 2007 (La Jornada, 2007).

Ce panorama global du référendum du 2 décembre et particulièrement l’abstention de 3 millions de chavistes donnent, à notre avis, un signal alarmant pour l’avenir de la Révolution bolivarienne. Cette inquiétude se renforce, lorsqu’on analyse en profondeur les résultats du vote du 2 décembre. Il appert, en effet, que le « Non » l’a emporté même dans les bastions fortement chavistes, là où habitent les alliés naturels de Chávez. Ce qui est le cas du quartier Libertador de Caracas qui pendant l’élection présidentielle de 2006 a eu la même proportion du pays soit : 63% pour Chávez et 37% pour Rosales. Cette fois, dans le même quartier, les données se sont renversées : 52,41% pour le non et 47,58% pour le oui. Notons que ce quartier d’extraction populaire continue de refléter, par ses résultats électoraux, la tendance politique générale du pays (Rodriguez, 2007).

Le cas le plus lourd, par son symbolisme politique, est celui du quartier où Chávez lui-même fait le dépôt de son vote. Il s’agit de la Zona Central 23 de Enero. Bien que, dans cette zone hautement politisée (observe l’auteure de ces statistiques), 2218 électeurs ont exercé leur vote en 2006 dont 1525 votes en faveur de Chávez (69,9%) versus 642 pour Rosales (29,9%) il n’y a eu que 1858 votes valides lors du référendum du 2 décembre. C’est dire qu’il y a eu quelque 350 personnes en moins qu’en 2006 ayant exprimé leur opinion. Et de ces 1858 votes valides il y en a eu 1026 (55,2%) pour le oui tandis que 832 (44,8%) se sont exprimés pour le non. Dans ce secteur, l’abstention a donc été importante et la perte des votes en faveur de Chávez s’est élevée à 14%. Or c’est cependant là aussi, observe l’auteure (Rodriguez), que les résidents vont, chaque fois que se présente l’occasion, célébrer Chávez (Idem).

Ces statistiques montrent un fait central ressortant du dernier processus référendaire au Venezuela : la cause explicative de la défaite référendaire de Chávez se trouve dans le chavisme lui-même et l’abstentionnisme de 3.000.000 chavistes en est la preuve. Ce décrochage ne peut pourtant pas être interprété, comme une volte-face des chavistes vers la droite (si cela avait été le cas, la victoire de la droite aurait été éclatante). Il nous semble plutôt que cet acte politique des chavistes renferme quelque chose de plus profond qui dénote une maturité politique des masses. En effet, ce référendum ciblait l’intégration de certaines réformes à la Constitution vénézuélienne de 1999 en vue d’orienter ce pays vers le socialisme. Le socialisme allait donc s’implanter au Venezuela par la voie des décrets ! Ceci explique pourquoi, les bases chavistes n’ont pas été consultées lors des préparatifs de cet événement politique. Notons, fait curieux, que ceci se produisait à l’intérieur d’une dynamique politique qui prône la démocratie sociale comme principe fondateur en y ajoutant l’adjectif participative, pour la différencier nettement de la démocratie représentative.

Il nous semble donc que le référendum du 2 décembre marque un changement de cap important à l’intérieur du chavisme où l’hégémonie se déplaçait des masses vers les élites dont elles étaient censées suivre, sans trop des discussions, les directives et les initiatives en les confirmant par leur vote. Au Venezuela, la menace d’implanter une démocratie purement plébiscitaire planait donc à l’horizon. Dans ce type de démocratie, le Leader et son appareil politique auraient décidé du futur de la Révolution bolivarienne et c’est, selon notre analyse, cette tendance qui a échoué lorsque 3.000.000 des chavistes se sont abstenus de voter, lors du dernier référendum.

Chávez et l’aile bureaucratique chaviste (ABC) vus par l’aile critique du chavisme (ACC)

La défaite du 2 décembre 2007 semble avoir tout remis en question au Venezuela. Ceci nous porte à croire qu’il s’agit là du commencement d’une autre nouvelle conjoncture politique pour ce pays où au niveau de la droite comme de la gauche, on assiste à une recomposition importante des forces politiques respectives. Le but : préparer les meilleures conditions pour passer à l’offensive soit pour apprivoiser soit pour détruire l’ennemi politique. Selon notre analyse, l’événement déclencheur de cette nouvelle conjoncture politique se trouve dans le constat suivant : la défaite de Chávez ce 2 décembre 2007 a fait voir à la droite vénézuélienne qu’il est possible de vaincre Chávez par la voie électorale ; tandis que la gauche s’est rendu compte que Chávez n’est pas le leader infaillible qu’elle croyait encore tout récemment. Au Venezuela, un mythe est ainsi tombé.

Pour le cas qui nous occupe nous observons qu’au Venezuela, ce mythe tombant, tout un processus de critique s’ouvre à l’intérieur du chavisme ; rien n’est épargné. Un fait se dévoile ainsi à l’horizon : la recomposition des forces à l’intérieur du chavisme passe inévitablement par une collision de taille entre l’ABC et l’ACC. Deux tendances qui, il nous semble, cuvaient leurs différences depuis longtemps. De là, l’âpreté dans leur affrontement.

Nous allons tenter, dans ce qui suit, de dresser un portrait du conflit entre les tendances à l’intérieur du chavisme pour ensuite donner un aperçu du développement probable de l’alliance de Chávez et le chavisme dans la nouvelle conjoncture politique vénézuélienne. Afin de réussir ces objectifs, nous avons fait une lecture attentive de 50 articles ayant trait au thème qui nous occupe. De ces textes, nous avons choisi un échantillon de 10 auteurs, analystes, militant(e)s et sympathisant(e)s, du chavisme. À notre avis, ces points de vue synthétisent bien notre problématique générale et donnent, aussi, une vision concrète de la critique venant de la part de l’ACC à l’ABC. Notons que ces articles ont été, principalement, recueillis dans le site web Aporrea du Venezuela.

Quelle critique l’ACC formule-t-elle envers l’ABC ?

« À l’intérieur des éléments de réflexion nous ne devons pas omettre de nous demander où se trouvaient plus de 5 millions de militants (militantes) du Parti Socialiste Uni de Venezuela (PSUV) en date du 2 décembre. La réponse à cette question pourrait comporter des conséquences moins agréables à assumer. Ainsi, il y a eu en faveur du « oui » moins de personnes que des aspirants (aspirantes) militants (militantes) (5.200.000) du nouveau Parti Socialiste Uni de Venezuela. Que ces supposés militants n’appuient même pas leur parti par la voie des urnes est un constat suspect. Il faut ajouter à cela cette donnée inquiétante que 44,11 % des Vénézuéliens ne se sont pas dérangés pour aller voter ce jour-là » (Soler et Pascual, 2007).

« Ce qui est le comble c’est que maintenant on prétend que l’échec du dimanche 2 est la faute du peuple, qui selon le Président est "faible", "lâche", et est composé des "révolutionnaires de pacotille"… Éclaircissons quelque chose. Comme dans tout processus électoral, il y a eu un perdant et un triomphateur le dimanche 2 décembre. Les perdants ont été le gouvernement - depuis Chávez jusqu’au dernier bureaucrate - et la réforme constitutionnelle proposée par le Président, et concoctée par l’Assemblée Nationale derrière le dos du peuple. Oui, l’unique perdant a été le gouvernement qui n’a pas réussi à faire approuver une réforme qui n’avait rien de socialiste et de plus restreignait d’importantes libertés démocratiques ». (Hernandez, 2007)

« Menacer, récriminer et maltraiter ne sont pas de bonnes conseillères après un échec pour lequel existe une responsabilité directe. Il serait contre-indiqué de renforcer la spirale de l’échec et des erreurs. Les erreurs de ne pas avoir réussi à mobiliser et à convaincre le peuple ne doivent pas être payées par ce dernier. Le déficit est dans un autre lieu. La dette est envers le peuple, non du peuple en face du leader infaillible, en face du mythe-césariste. La responsabilité de l’échec pèse sur la haute direction politique de la révolution, y compris Chávez. Cela c’est la vérité. Il est très douloureux de le reconnaître, mais il faut commencer par là.

Le Gouvernement bolivarien commence à avoir des dettes envers le peuple ; et non l’inverse. Ce sont les gouvernements qui contractent des dettes envers leurs électeurs (électrices) quand ils sont choisis pour répondre aux problématiques économiques, sociales, politiques, militaires, territoriales et culturelles. Si dans des délais déterminés de temps, les gouvernements ne s’acquittent pas de leurs obligations, il est naturel qu’ils perdent l’appui et que de nouvelles alternatives commencent à se faire jour. C’est cela la démocratie ». (Biardeau, 2007)

« La direction bolivarienne, incluant le commandant Chávez et nos illustres députés de l’assemblée nationale, a oublié de déclencher les pouvoirs constituants originaires du peuple, dont ils ont tant parlé en 1999. En d’autres mots ils ont oublié le peuple comme sujet du changement et se sont crus en charge de la révolution, en qualité de bureaucrates ou de représentants (représentantes). De la sorte, ils ont fait une réforme « à leur mesure » et quand bien même elle a su reprendre quelques contenus de la rue, elle a, pour les autres questions, été calquée sur les idées et l’image de la bureaucratie. Et par-dessus tout elle a donné aux millions de personnes du peuple chaviste et révolutionnaire des raisons pour ne pas aller voter, en négligeant d’ouvrir des espaces à la participation populaire, ce qui est très grave pour un processus révolutionnaire…Nous croyons qu’avec les résultats du 2 décembre, l’arrogance, la précipitation et le critère d’infaillibilité du leader, de notre Commandant Chávez, ont été battus » (Murphy, 2007)

« Ce sur quoi je suis en plein désaccord c’est qu’on use d’un subterfuge en recourrant à l’impérialisme pour masquer nos erreurs, notre incapacité et nos responsabilités. Qu’on cherche dans les salons obscurs du Pentagone le secret de notre échec électoral, en contredisant ainsi des vérités endogènes et assez évidentes expliquant d’une manière claire pourquoi les choses se sont passées telles qu’elles se sont déroulées, dans le fond…Avec un grand nombre de compagnons nous persistons à dénoncer la tournure inattendue que le processus avait pris aux mains d’une direction qui s’est approprié les victoires, les consignes et l’énergie populaire révolutionnaire pour soutenir ses intérêts. Plus d’un a sonné l’alerte à l’encontre d’un socialisme fade, sans substance et contradictoire qui se répétait sans discrimination par les bouches d’une nomenclature usurpatrice et néo-conservatrice. C’est en grand nombre que nous sommes opposés à un appareil appelé PSUV qu’on a voulu nous imposer, sans consultation et d’une manière astucieuse, impérative et antidémocratique, en ayant recours au chantage disant que ne pas l’accepter, impliquait d’être "contre-révolutionnaire au service de l’impérialisme yankee » (Bolivar, 2007).

« La frustration grandissante de milliers de compatriotes par la légitimation amplifiée "à partir d’en haut" d’une ploutocratie inutile, arrogante et corrompue qui s’arroge la représentativité populaire en transformant le bijou le plus chèrement apprécié et défendu par le peuple révolutionnaire – ces espaces de participation et l’exercice direct et autonome du pouvoir populaire - en théâtre de marionnettes et manipulations de coulisses. Le durcissement d’un exercice de direction vertical- alourdi d’une justification idéologique - qui trouve son origine chez le président lui-même (confusion de plus en plus absolue et durable entre direction et dirigisme en ce qui concerne sa personne) pour ensuite descendre à tous les niveaux de décision publics et sociaux jusqu’à s’incruster dans les milieux propres à l’organisation populaire comme une vieille culture politique qui s’est recréée à partir des langages et des subjectivités qui ont produit la révolution bolivarienne » (Denis, 2007(1)).

« Mercedes vit dans Antímano et est aspirante-militante au sein du PSUV, mais déjà elle n’assiste pas aux réunions pour garder sa fille et parce qu’un petit groupe proche du Maire s’est approprié le parti. C’est ici que, de plus j’ai appris l’atmosphère de grand scepticisme qui régnait à l’égard du référendum. "Ce n’est pas que nous ne sommes pas avec le Président, mais nous n’allons pas voter. Nous sommes déjà fatigués de la corruption, de l’arrogance des maires qui ne résolvent pas nos problèmes et manipulent le PSUV, les Conseils Municipaux Communs, ils profitent de ce que nous sommes pauvres et des bourses de cinq cent mille bolivars sont offertes à certains gens pour qu’ils contrôlent toutes les organisations populaires et les mettent à leur service … De quel socialisme parlons-nous alors ? " » (Prato, 2007)

L’Alliance de Chávez et le chavisme après le 2 décembre 2007 : trois scénarios possibles

Ce qui précède démontre qu’il existe à tous les niveaux du chavisme d’importants désaccords que nous avons résumé en deux tendances bien définies pour les rendre plus compréhensibles : l’ABC et l’ACC. La première tendance, comme expliqué ci-dessus, cherche un contrôle bureaucratique de la révolution où le charisme du Leader serait la source de sa légitimation. À l’opposé nous avons l’autre tendance qui tente de trouver sa légitimation à travers un langage politique qui cherche à approfondir la démocratie sociale et participative, dans un mouvement créatif et libérateur où le peuple, incarné dans les mouvements sociaux, serait le véritable artisan de son histoire. Tout semble indiquer que cette tendance cherche à retourner à la formule originale de la Révolution bolivarienne : mouvement populaire avec Chávez au lieu de Chávez et le chavisme, comme c’est le cas présentement.

C’est seulement par ce biais que l’ACC envisage de surmonter cette aliénation politique qui fait du Leader infaillible l’essence du mouvement politique même. Dans cette relation, tout indique, que plus le Chef est puissant ; plus faibles sont les mouvements sociaux. Pour l’ACC il s’agit donc de tenter de renverser la tendance actuelle du processus politique vénézuélien. Nous parlons, à juste titre, d’une lutte de tendances à l’intérieur du chavisme dont les formulations « mouvements sociaux et Chávez » et « Chávez et le chavisme » ne sont pas de simples abstractions ; sinon qu’elles reflètent, à notre point de vue, correctement une dynamique propre à la Révolution bolivarienne dont l’avenir dépend de l’emprise que l’une a sur l’autre.

De ces dynamiques nous dégageons trois scénarios possibles pour le développement de l’alliance de Chávez avec le mouvement populaire : un premier que scénario nous appelons utopique ; un deuxième scénario que nous appelons centriste ; et un troisième scénario que nous appelons radicale.

Le scénario utopique

Cette tendance, « correspond à une nouvelle génération d’hommes politiques et cadres d’armer une nouvelle étique publique qui est caractérisée par le compromis politique et la haute formation dans l’administration de l’État. L’existence de ces nouveaux cadres sera l’antidote le plus efficace pour contrer ce qu’est déjà connu comme boliburguesía c’est-à-dire cette nomenclature qui n’a eu besoin que de cinq ans pour s’approprier d’énormes espaces de richesse et pour atteindre une réprobation unanime populaire. Une voracité obscène (Hummer, whisky, demeures luxueuses, contrôle d’entreprises) et parfois si extrême qu’elle fait pâlir le vol institutionnalisé durant la Quatrième République » (Monedero, 2007)

Ce scénario, nous l’appelons utopique puisqu’il faudra se demander : d’où sortiront ces hommes nouveaux, exemples de droiture bureaucratique ? Dans l’histoire des administrations publiques, il nous semble qu’il n’existe pas un seul cas connu. Expérience concrète des peuples qui est même devenue une composante du sens commun synthétisée dans la formulation : toute forme de pouvoir corrompt. Mais cela n’enlève pas que cette orientation utopique n’interpelle une aspiration profonde des peuples qui rêvent d’avoir des politiciens (politiciennes) dévoués à la chose publique et en recherche permanente du bien-être collectif. Dans cette optique, il n’existerait pas de fracture entre gouvernants et gouvernés sinon un rapport de complémentarité, de continuité. L’espoir (utopique) est donc permis, même si l’auteur constate l’énorme corruption du chavisme bureaucratique. La tendance de ce scénario serait celle de tenter de reformer le chavisme à partir de l’intérieur.

Le scénario centriste

Rangel note que « la différence entre le vote du non et le vote du oui confirme d’une manière accablante ce qui saute aux yeux de tout observateur : la division des Vénézuéliens ressemble, de toute évidence, à celle qui existe dans la région (l’auteur fait référence ici à l’Amérique latine). Reconnaître cette réalité, qui se lit dans le dernier acte référendaire, conduit à une conclusion élémentaire : pour l’instant, les deux moitiés sont irréductibles, mais elles se nourrissent l’une l’autre. Elles sont comme les ailes d’un oiseau. S’il en manque une ; le vol devient impossible. Devant les chiffres on peut conclure à un échec de Chávez en tant que promoteur de la réforme et à une victoire des adversaires à la proposition. Mais, attention ! En politique les choses se passent autrement. Le chavisme n’a pas pu atteindre le mythique 50 %, et l’opposition l’a obtenu à grand-peine. Il est donc compréhensible que l’opposition chante victoire. Et voilà qu’il est bien aussi, dans le fond, que le chavisme ne se sente pas battu. Qu’est-ce qui se pose alors ? Administrer cette réalité. Que les forces en lutte s’admettent et se respectent… Selon mon opinion, le dialogue est un mandat qui surgit de l’acte électoral du 2 décembre Même si des puissants opposants se trouvent d’un côté et d’autre (Rangel, 2007).

Ce scénario, que nous appelons centriste ou réaliste car plutôt axé sur une perspective de la bonne gouvernance fait appel à la stabilisation du pays qui passe nécessairement par le dialogue des opposants. Et c’est seulement ainsi que les deux ailes du oiseau se mettront en harmonie et que le Venezuela pourra enfin s’envoler (sans entraves) vers des nouveaux espaces démocratiques. S’agit-il ici de proposer une nouvelle version du « Pacte de Punto Fijo » de 1958 ? Rangel répond à cette question par la négative, car il s’agit pour lui d’un accord politique qui aurait comme cadre général, les nouvelles institutions démocratiques vénézuéliennes. Nous appelons cette orientation centriste ou réaliste car, fondé dans la théorie politique, il faut se rendre à l’évidence que tout appel à l’accord politique implique une bonne dose de pragmatisme où les acteurs politiques renoncent à leurs positions radicales pour rendre possible cet accord. Il s’agit donc de mettre de côté des questions et des thèmes qui puissent lui porter préjudice. Sans ces prémisses, le pacte politique est, tout simplement, impossible. Et Rangel en bon politicien le sait ; il reconnaît que sa position trouve « des puissants opposants d’un côté et d’autre ».

Le scénario radical

Pour Roland Denis, « le rêve d’un État et d’une bureaucratie qui est épurée dans la phase actuelle de l’histoire, confine à l’innocence. Ils peuvent changer de visage - chose qui sans doute allait se faire -, il peut y avoir des changements qui rafraîchissent bien sur. Mais cette caste pourrie (incolore parce que déjà les frontières entre sa frange de la droite bleue et la frange rouge ne se reconnaissent plus) qui s’est rapidement reproduite selon le même patron et le même modèle d’État que la quatrième république, n’apporte pas le salut. Il ne s’agit pas seulement des personnes bureaucratiques et autoritaires, qui veulent diriger des peuples dans un bureau, des opportunistes de métier… répétant des discours officiels le matin et l’après-midi en touchant des commissions. C’est mille fois plus grave, c’est tout un essaim d’intérêts créés autour des engagements fabuleux dans PDVSA, dans la Banque Centrale, dans l’infrastructure, dans la santé, dans la construction, dans le blanchiment de dollars, dans le marché noir du pétrole, dans l’achat d’armes, dans les bons du trésor etc., etc. qui engloutit toute cette bureaucratie… dans un jeu infernal d’intérêts dont elle ne peut déjà plus sortir. C’était un processus rapide de décomposition qui dans peu d’années a progressé beaucoup plus rapidement que les progressions encourageantes et lentes de la transformation qui, malgré ceux-ci, a effectivement pu être faite » (Denis, 2007(2))

De ce scénario nous déduisons une orientation que nous appelons radicale ou négationniste dont nombre de ses membres ont fait la propagande en faveur de l’abstention. Roland Denis (un ex-ministre de planification de Chavez en est, car lors du dernier référendum, il a opté pour l’abstention) tandis que d’autres ont carrément pris l’option de faire appel au vote en faveur du « Non ». Nous nous trouvons ici devant une tendance, à l’intérieur du chavisme, qui trouve qu’il est trop tard pour tenter de le renouveler. C’est pourquoi ils optent pour une alternative, disons populaire, inspiré des mouvements sociaux. Pour cette vision, il s’agit que ces mouvements disposent d’une grande autonomie par rapport au pouvoir central et créent progressivement, à travers une praxis autonomiste, les fondements de la nouvelle démocratie populaire. Il nous semble fortement que cette orientation s’inspire beaucoup de l’expérience zapatiste du sous-commandant Marcos.

Bien entendu, le développement et l’influence sur le chavisme de ces trois scénarios vont dépendre beaucoup de la relative stabilité du processus politique vénézuélien, tel que vécu jusqu’à maintenant. Car Chávez, en dépit des dires de la presse nationale et internationale, a démontré qu’il est loin d’être dictateur autoritaire. Le fait qu’il ait accepté le verdict des urnes lors de sa défaite du 2 décembre 2007 en est la preuve. À ceci il faudra ajouter l’ouverture de son gouvernement à toute critique, même celle venant de ses partisans, ainsi que nous le montrions précédemment. Ce qui démontre qu’au Venezuela (en dépit des obstacles et des déviations) il existe, la liberté d’organisation et d’expression. Ce sont là les atouts de la Ve République.

Ce contexte démocratique nous semble propice à résoudre ce conflit des tendances à l’intérieur du chavisme car les diverses visions qui s’y rencontrent, pourraient bien stimuler une discussion plus approfondie et éclairante (car critique) sur cette alliance de Chávez avec le chavisme. Ceci dans le cadre d’un débat plus ample sur la démocratie sociale et participative qui pourrait ainsi avancer vers des espaces nouveaux tant dans le domaine de la théorie que de la pratique. Si nous nous projetons dans le temps, elles pourraient bien servir à réinventer l’imaginaire socialiste avec comme tâche fondamentale, après les expériences avant-gardistes du XXe qui ont toutes montré leur essence dictatoriale, de réinventer le rapport entre gouvernés et gouvernants.

Arrivés à ce point, nous ne pouvons nous empêcher de faire le rappel de Léon Trotski lorsqu’il soutint dans son autobiographie, que les Révolutions sont grandes dévoratrices d’hommes. En le paraphrasant, et au regard des expériences révolutionnaires du XXe siècle, nous croyons pouvoir dire, que les bureaucraties « révolutionnaires » sont également, des grandes dévoratrices de Révolutions.

Conclusion

Dans cette étude, nous avons tenté de faire un bilan de la Révolution bolivarienne dans les différentes étapes de son processus. Dans un premier temps, nous avons vu les événements historiques qui, à notre avis, ont créé les conditions pour l’instauration du mouvement populaire au Venezuela. Dans un deuxième temps, nous avons vu que ce dernier a trouvé en Hugo Chávez son Leader indiscutable. Dans un troisième temps, nous avons vu comment le rapport mouvements populaires-Chavez s’est muté en Chávez et le chavisme. De cette analyse, une constatation s’impose : le processus révolutionnaire du Venezuela a suivi presque la même trajectoire que les expériences révolutionnaires du XXe siècle. À savoir, toutes ont abouti à implanter des bureaucraties égoïstes qui ont fait du contrôle du pouvoir d’État le pivot de leur domination.

Ce presque a une signification particulière : la Révolution bolivarienne à la différence des Révolutions du XXe siècle (qui faisaient et défaisaient sous la couverture d’un discours libérateur ; mais qui étaient toutes prêtes à utiliser n’importe quel moyen pour stopper toute dissension), est ouverte à des options différentes ; en fait preuve l’acceptation de la part de Chávez de sa défaite le 2 décembre 2007. Ceci nous mène à une autre différence fondamentale de l’expérience vénézuélienne vis-à-vis des Révolutions du XXe siècle : au Venezuela, il n’existe pas d’endoctrinement sinon qu’il s’agit plutôt (en embryon peut-être) d’une éducation politique où les militants (militantes) chavistes ont acquis (en neuf ans de Révolution) la capacité de discerner et d’avoir une opinion politique autonome. Autonomie politique qui explique, nous semble-t-il, l’abstention de 3.000.000 de chavistes. Cette même autonomie politique s’est également fait entendre pour critiquer et dénoncer ouvertement (tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Venezuela) les méfaits de la bureaucratie chaviste.

Pour notre part, ce sont ces aspects encourageants de l’expérience révolutionnaire vénézuélienne qui nous portent à conclure cette étude avec un regard optimiste sur le futur de la Révolution bolivarienne. Expérience révolutionnaire qui, ne l’oublions pas, a comme moteur l’alliance de Chávez avec le chavisme. Il faudra noter que jusqu’à maintenant cette alliance a eu la capacité de s’inventer et rien n’empêche qu’elle puisse, sous le coup de la défaite du 2 décembre 2007, continuer à le faire. Dans le cas contraire, nous sommes probablement à la veille du commencement de la fin d’une autre expérience révolutionnaire.


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Mauricio R. Alfaro est docteur en sciences politiques de l’Université du Québec à Montréal, Canada.

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[1Molina et al., (1995) témoignent du « Caracazo » dans les termes suivants : en janvier 1989, Carlos Andrés Pérez assume pour la deuxième fois la présidence de la république et pour faire face à la crise, il adopte de sévères mesures économiques d’ajustement restrictif à l’intérieur d’un schème économique néo-libéral. L’application de ce programme a provoqué une « rébellion populaire » le 27 et le 28 février 1989, quand s’est déchaînée cette vague de pillage, de violence et de mort sans précédent dans l’histoire récente du pays. A partir de ce moment, la pauvreté commence à augmenter et les classes moyennes s’enfoncent dans une immense perte de revenus (p. 146, 147).

[2Selon Étienne Balibar, à l’intérieur du paradigme démocratique il y a une « contradiction très profonde (qui) s’alimente à plusieurs évidences qui sont rarement mises en question : en particulier que l’égalité serait essentiellement d’ordre économique et social alors que la liberté serait avant tout d’ordre juridico-politique » (1992, p. 124-125). Le lieu où cette contradiction prend forme et contenu, c’est l’État qui dès lors se caractérise par deux tendances : l’une fondée sur l’égalité qui propose son intervention « parce qu’elle est essentiellement de l’ordre d’une redistribution, alors que la préservation de la liberté (c’est-à-dire l’autre tendance) serait liée à la limitation de cette intervention, voire à la défense permanente contre ses effets « pervers » » (Idem, p. 125). C’est dans l’État que prend donc forme « la différence du « formel » et du « réel » (ou du « substantiel ») des droits [...]. La représentation de l’égalité comme un enjeu exclusivement collectif, alors que la liberté (en tout cas la « liberté des modernes ») serait essentiellement liberté individuelle, même dans l’ordre des libertés publiques (qu’il conviendrait alors de penser essentiellement comme garanties publiques des libertés privées) » (Idem).

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