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DIAL 2429

MEXIQUE - Population déplacée au Chiapas

vendredi 1er décembre 2000, par Dial

Du fait du conflit existant au Chiapas depuis 1994, une partie de la population est déplacée, parfois pour quelques jours, parfois pour des mois ou des années. Les conditions de vie de ces populations sont particulièrement difficiles. Il est à espérer qu’avec l’installation du nouveau pouvoir qui va s’effectuer en décembre une solution sera apportée à ces populations, la seule solution définitive étant le désarmement des paramilitaires, le retrait des forces armées, l’application des Accords de San Andrés et la conclusion d’un accord de paix avec l’Armée zapatiste de libération nationale. L’article ci-dessous qui évoque concrètement le sort des déplacés a été publié par SIPAZ en novembre 2000.


Lors de sa visite au campement de X’oyep, le 11 août, Pablo Salazar, alors candidat au poste de gouverneur du Chiapas, a déclaré : « Dans neuf jours aura lieu une élection et nous allons la gagner, il y aura un nouveau gouvernement de réconciliation et de paix, et la première chose que je ferai, c’est d’établir le contact avec les communautés de déplacés, pour parvenir à la réconciliation. Je vous en supplie, résistez encore un peu plus, résistez jusqu’en décembre, parce que le prochain gouvernement vous appuiera. »

Les déplacés internes au Chiapas représentent une des situations les plus compliquées que Salazar, désormais élu gouverneur, aura à affronter à partir de sa prise de possession en décembre de cette année. Dans les zones de conflits (Altos, Selva et Nord) il existe actuellement des groupes de déplacées de divers secteurs de la population (membres d’organisations civiles, membres du Parti de la révolution démocratique (PRD), bases zapatistes, membres du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), catholiques et protestants). Le phénomène de déplacement s’est accéléré à partir du soulèvement armé en 1994. Selon le CIEPAC (Population déplacée au Chiapas, 1999), il existe 21 059 déplacés au Chiapas. Dans la seule municipalité de Chenalhó, ils sont 9 125 (idem).

Quelques-uns parmi les déplacés vivent dans des communautés où on leur a prêté des terres pour cultiver (Zone Nord). D’autres ont formé des campements où habite un grand nombre de familles sur un terrain très réduit. Ils n’ont pas accès à leur parcelle de maïs et ils reçoivent une aide humanitaire d’institutions comme la Croix Rouge internationale et Caritas de l’Église catholique. C’est le cas des membres déplacés de la communauté Las Abejas qui vivent depuis plus de trois ans dans les campements de X’oyep, Tzajalchen et Acteal, dans la municipalité de Chenalhó.

Au début de 1997 il y eut dans cette municipalité une escalade dans la violence où moururent des membres du PRI et des Zapatistes. À partir de septembre de cette année, des centaines de membres de Las Abejas commencèrent à quitter leurs villages d’origine. Dans ces villages, d’après des témoins, des groupes sous influence du PRI exigeaient d’eux une redevance pour acheter des armes. Ceux qui n’ont pas voulu reçurent des menaces et furent contraints de quitter leur lieu d’origine pour se regrouper dans des campements de déplacés. Des représentants de ces villages racontent : « Quand nous sommes arrivés au campement X’oyep,c’était la saison des pluies. Nous cuisinions et nous vivions dehors, sous la pluie ». Après le massacre d’Acteal en décembre de cette même année [1], le nombre de déplacés a augmenté en même temps que la présence de l’armée ; on a pu compter 21 campements militaires dans la municipalité. (idem).

Ceux qui sont originaires de Yibeljoj, une communauté de Chenalhó, décrivent leur vie dans le campement de X’oyep : « Il n’y a pas de bonnes maisons, nous souffrons beaucoup, nous dormons par terre. » « Nous dormons dans des maisons au toit de plastique, avant il y avait des planches. » « Avant il y avait du bois de chauffe, mais tout est terminé. Les femmes et les enfants tombent malades, on est sans cesse préoccupé pour répondre à leurs besoins. Nous souffrons et nous ne le supportons plus. »

« Déplacés nous vivons... »

Les membres de la communauté Las Abejas ont participé à diverses manifestations pour faire connaître leurs besoins et exiger les conditions de leur retour. Le 10 août de cette année, quelques centaines d’indigènes firent une marche pour demander que le gouvernement agisse contre les supposés groupes paramilitaires et s’engage à payer les indemnisations aux déplacés.

Maintenant, beaucoup d’entre eux se sont intégrés au Pèlerinage Jubilé 2000 pour prier avec les autres indigènes du Chiapas, afin d’obtenir les conditions nécessaires à un éventuel retour. Les 250 pèlerins tzotziles, ch’oles, tzeltales et tojolabales représentant les principales ethnies du Chiapas marchent avec ce thème : « En marchant nous sommes nés, pèlerins nous sommes, déplacés nous vivons. Le chemin nous appartient, à lui nous remettons nos pas. »

Les participants furent invités par Las Abejas et l’organisation Xi’Nich’ [2] à se mobiliser avec comme objectif d’améliorer leurs conditions de vie et de fortifier leur courage pour « continuer de lutter pour la paix juste et digne des peuples indiens ». Ils ont commencé à marcher le 14 octobre à partir de la communauté d’Acteal et pensent arriver à la Basilique de la Guadalupe à Mexico le 12 décembre (date de la fête de Notre Dame de la Guadalupe) en parcourant une distance de 1 300 kilomètres.

Parmi les demandes les plus importantes des participants on trouve le retour des groupes déplacés et d’autres questions en relation, comme par exemple : la suppression des groupes paramilitaires au Chiapas, la démilitarisation de l’État et du pays, la réconciliation communautaire, la libération des indigènes prisonniers politiques et l’application des Accords de San Andrés.

A X’oyep, cependant, 96 familles, originaires du village de Yobeljoj, ont décidé qu’elles ne pouvaient plus attendre un retour négocié avec les autorités et avec le minimum de garanties de sécurité, et vu qu’elles ne pouvaient plus supporter les difficultés rencontrées dans ce campement elles ont pris la décision de changer de lieu, en créant un nouveau campement avec un meilleur accès à l’eau et au bois de chauffe. Ils ont porté toutes leurs affaires sur plus de 10 kilomètres par un chemin de terre, plein de boue en période de pluie. Ils ont été jusqu’à un lieu proche de leur village d’origine. Ils n’ont pas voulu retourner dans ce même village, « parce que les paramilitaires sont encore là, nous avons peur, il y a aussi l’armée qui est sur la route ». Pour cette raison disent-ils « nous continuons d’être des déplacés ».

Manque de sécurité

La sécurité est un thème prioritaire dans ces mouvements de changement de lieu ou d’un éventuel retour. La Croix Rouge internationale n’a pas participé à l’accompagnement des familles de Yibeljoj, le 17 octobre, en considérant que les conditions de sécurité et matérielles nécessaires pour une amélioration de la vie de ce groupe de familles n’étaient pas réunis. Pierre Ferrand, chef de la sous-délégation de la Croix Rouge internationale, s’est exprimé en ces termes : « Nous respectons la décision des déplacés X’oyep, mais nous n’accompagnons pas le changement de lieu, parce que ce ne fut pas le produit d’une négociation entre les différentes parties ni avec l’État. Il n’y a pas eu non plus de dialogue avec les habitants de Yibeljoj avec lesquels on aurait pu construire un minimum de sécurité. »

Les déplacés eux-mêmes reconnaissent ce manque de sécurité mais en même temps se réfèrent à d’autres facteurs. « Ici nous avons peur, nous partons par nécessité. Ce n’est pas par choix que nous partons. » Différentes ONG, tout en reconnaissant les risques qui continuent d’exister du fait de la tension dans cette zone et de la présence des groupes de paramilitaires, ont décidé de les accompagner. La Commission des Droits humains (CNDH) a envoyé des observateurs pour accompagner ce changement de lieu. (...)

En attendant la réponse du gouvernement

Mis à part les problèmes de sécurité, les déplacés de Ybeljoj ont vu que d’autres besoins sont apparus dans le nouveau lieu. « Nous sommes dans la même situation qu’en 97. » Un des représentants s’exprime en ces termes : « les souffrances que nous rencontrions étaient alors liées au problème de l’eau et du bois du chauffage, maintenant cela est résolu (dans ce nouveau campement) avec la rivière et les arbres, mais seulement en partie. » Les familles dans ce nouveau campement dorment dans des petites maisons faites de pieux de bois et de plastique. D’autres familles n’ont pas de maisons. « Nous sommes en train de démolir nos maisons à X’oyep pour transporter les matériaux ici. Mais il y a des gens à X’oyep qui vivaient à trois, quatre jusqu’à cinq familles dans la même maison. Ici chacune est dans son terrain. Alors, il nous manque des tôles. On se prête des endroits pour dormir. »

Pour cette raison, les déplacés exigent qu’on leur paye les indemnisations pour vol et la destruction de leurs biens de 1997. « Quand nous sommes sortis (de Yibeljoj en 97), nous avons laissé du maïs, des sièges, des tables, des moulins à maïs et tout le matériel de cuisine. » Dans le cas de Yibeljoj, les maisons des Abejas existent toujours. Mais pour les déplacés d’autres communautés dont les maisons ont été brûlées après leur départ, les indemnisations représenteraient une manière d’éviter, dans le cas d’un retour, les mauvaises conditions de vie que rencontrent actuellement les personnes originaires de Yibeljoj.

Le nouveau gouvernement pour qui le plus grand défi est de garantir la sécurité dans la zone, accorder les indemnisations et aider à la reconstruction du tissu social doit donner une réponse aux groupes de déplacés de Chenalhó et du Chiapas.

Pendant ce temps, les déplacés continuent d’attendre : « Nous allons voir en premier le gouvernement de Pablo Salazar, qui a dit à X’oyep que s’il gagne, il désarmerait les paramilitaires. C’est ce qu’il a dit. S’il le réalise, nous allons rentrer (dans nos villages d’origine). »


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2429.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : SIPAZ, novembre 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 

responsabilite


[1Cf. DIAL D 2195 et 2268 (NdT).

[2Cf. DIAL D 2351 (NdT).

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