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DIAL 3317

PÉROU - « Le pétrole sert uniquement au développement des grandes villes »

Cecilia Remon

jeudi 19 mars 2015, mis en ligne par Dial

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Ce numéro associe deux textes à nouveau en lien avec la thématique de l’extractivisme. Le premier, ci-dessous, traite des dégâts humains et environnementaux causés par l’exploitation pétrolière effectuée par la compagnie argentine Pluspetrol au Pérou. Le second montre que le modèle extractiviste est un échec économique. Article de Cecilia Remon publié par Noticias Aliadas le 27 février 2015.


Des communautés indiennes touchées par l’exploitation pétrolière exigent que l’État assume ses responsabilités.

Les manifestations dans la localité de Pichanaki, dans la région de la Forêt centrale, le 10 février, contre la présence de la société pétrolière argentine Pluspetrol se sont soldées par un mort et des dizaines de blessés par balle et le gouvernement du président Ollanta Humala s’est vu à nouveau dans l’obligation de relever de leurs fonctions quatre ministres dont trois directement impliqués dans le conflit.

Les ministres relevés de leurs fonctions sont Daniel Urresti, à l’Intérieur, responsable de la violente répression policière contre les manifestants ; Eleodoro Mayorga, à l’Énergie et aux mines, qui, à la table des négociations avec les habitants de Pichanaki, a annoncé le retrait de l’entreprise pétrolière de la zone en conflit, provoquant ainsi de sévères critiques de la part du secteur entrepreneurial qui a une grande influence sur le gouvernement ; Daniel Figallo, à la Justice, qui avait accompagné Mayorga dans les négociations. La quatrième à être relevée a été Carmen Omonte, aux Droits des femmes. Bien que la présence de Pluspetrol à Pichanaki corresponde à des travaux exploratoires, l’entreprise a une longue histoire de pratiques nuisibles dans les endroits où elle est intervenue, en particulier dans la région amazonienne de Loreto. Après 15 ans d’exploitation du pétrole du lot 1AB (actuellement lot 192), situé entre les fleuves Pastaza, Corrientes et Tigre, près de la frontière avec l’Équateur, Pluspetrol doit abandonner la zone le 31 août prochain sans que, à ce jour, elle ait procédé à la remise en état des 92 sites endommagés ni manifesté l’intention de payer les plus de 13 millions de dollars des 12 amendes infligées par l’Organisme d’évaluation et contrôle environnemental (OEFA) pour des infractions à la réglementation sur l’environnement et pour les dommages causés à la santé des populations.

Quarante ans de pollution

La compagnie pétrolière, fondée en 1976 en Argentine, est arrivée au Pérou en 1986. Actuellement elle contrôle les secteurs pétroliers les plus stratégiques du pays qui produisent 40% du pétrole national et 95% du gaz. Outre le lot 1AB, elle détient la concession du lot 8 entre les rivières Corrientes et Marañón, dont le contrat vient à échéance en 2025, et elle intervient sur cinq autres : le lot 115 (Loreto), 88 et 56 (gaz de Camisea, Cusco), 155 (Puno) et 108 ( Cerro de Pasco et Junín) où se trouve Pichanaki.

Dans les bassins des fleuves Pastaza, Corrientes, Tigre et Marañón habitent des communautés indiennes amazoniennes quechua, achuar, urarina, kichwa et kukama kukamiria, représentées par quatre fédérations qui font partie de l’Association interethnique de développement de la forêt péruvienne (AIDESEP), la plus importante organisation des peuples premiers amazoniens qui regroupe 57 fédérations et 1250 communautés indiennes.

En 1971 le lot 1AB, qui comprenait des territoires indiens, a été concédé à la société états-unienne Occidental Petroleum (OXY) qui l’a exploité jusqu’en 2000, date à laquelle elle l’a cédé à la société argentine Pluspetrol. Le lot 8 est resté sous la responsabilité de l’entreprise d’État Petroperú et a été attribué en 1996 à Pluspetrol.

Paolo Moiola, dans un article publié par Noticias Aliadas en octobre 2014 rapporte que « l’exploitation du pétrole dans cette partie de l’Amazonie péruvienne a commencé en 1971. Un pipeline de plus de 16km qui transporte au quotidien des milliers de barils de pétrole traverse la forêt et des territoires indiens. Comme il s’agit d’une structure vieille de plus de quarante ans, elle donne des signes de son âge : la tuyauterie est très détériorée et les jointures précaires. Si pendant un temps les fuites de pétrole se produisaient sur le pourtour immédiat des puits de forage, actuellement elles sont de plus en plus fréquentes et importantes tout au long du pipeline. Au cours des seules cinq dernières années plus de 100 ont été listées en collaboration avec Alianza Arkana, organisme international de défense des peuples d’Amazonie. »

Déjà en 2006, la Fédération de communautés autochtones de la rivière Corrientes (Federación de Comunidades Nativas del Río Corrientes, FECONACO) a décidé de s’emparer de deux puits de pétrole en accusant Pluspetrol de rejeter dans les eaux du fleuve Corrientes quelque 1,3 million de barils d’eau de production (de 159 litres chacun) qui jaillissent en même temps que le pétrole au lieu de les réinjecter dans le puits comme le prescrivent les normes internationales. Ces eaux sortent à des températures supérieures à 90°, elles ont un haut degré de salinité et contiennent des hydrocarbures, chlorures et métaux lourds comme le plomb, le cadmium, le baryum, le mercure et l’arsenic, entre autres.

Neuf ans plus tard rien n’a changé pour les populations indiennes de cette partie de l’Amazonie péruvienne et la peur — que la même chose leur arrive — des autres communautés où Pluspetrol est présente les a poussées à manifester, comme cela s’est produit à Pichanaki.

La stratégie de Pluspetrol pour éviter de payer les amendes a été de faire appel et de porter plainte devant la justice pour en bloquer l’exécution. Le rapport 411-2014, établi par l’OEFA en octobre 2014 rend compte de la pollution des bassins des rivières Pastaza, Corrientes et Tigre. Immédiatement l’entreprise a présenté une « mesure préventive innovante » devant la Cour supérieure de Loreto, sollicitant que l’on suspende « l’effet juridique » du rapport. Le juge Alexander Rioja Bermúdez a accédé à la demande.

Pour élaborer son rapport, l’OEFA a contrôlé 92 sites dans les bassins concernés, avec la participation de techniciens de l’environnement des fédérations indiennes. L’OEFA a fait remarquer que le contrat de Pluspetrol se terminera en août 2015 et qu’à ce jour l’entreprise n’a pas sollicité auprès de « l’autorité compétente l’approbation d’un instrument de régulation environnementale qui lui permette, après approbation par l’organisme certificateur, de se livrer à un retrait du lot en bon ordre, pas plus qu’elle ne s’est livrée à la remise en état environnementale attendue, en accord avec les engagements environnementaux souscrits lors de la prise de concession. »

Passifs environnementaux sans remèdes apportés

Selon Renato Pita, attaché de presse de la FECONACO, « aucun travail de réparation n’a été fait. Le ministère de l’environnement, dont la tâche est l’identification et non la réparation, a seulement fait un relevé du passif. Pluspetrol s’en va en août et on ne sait pas qui assumera les réparations. »

Le dirigeant achuar Carlos Sandi, président de la FECONACO, a, devant la presse étrangère, dénoncé le fait que « pendant plus de 40 ans, les droits des peuples indiens à la santé, l’éducation, la terre, ont été violés. Maintenant nous exigeons que la société Pluspetrol assume ses responsabilités. Ils agissent comme si, nous, les peuples indiens, n’avons pas les mêmes droits qu’eux. Nous communautés exigeons que si l’entreprise n’assume pas ses responsabilités, ce soit l’État qui les prenne en charge puisque c’est lui qui a accordé les permis d’exploitation. »

« La population continue à consommer de l’eau et des aliments pollués par l’exploitation pétrolière » a ajouté Sandi. « C’est de vies humaines dont il s’agit. On ne peut pas laisser commettre ce crime. Investir dans le développement des populations indiennes n’est pas une préoccupation de l’État. La population présume qu’elle va mourir bientôt car il n’y a pas d’issue, ni de médicaments pour nous guérir de l’empoisonnement par des métaux lourds. »

Alfonso López, dirigeant kukama du bassin de la rivière Maranón, insiste sur le fait que les communautés indiennes « ne [sont] pas contre une activité qui est source de revenus pour l’État. Mais nous sommes contre une activité qui est en train de nous tuer. Il y a un intérêt pour l’exploitation pétrolière parce que cela sert au développement des grandes villes. »

« Il y a des responsabilités que les compagnies pétrolières doivent assumer. Elles doivent respecter les institutions indiennes. Elles doivent fournir des compensations pour l’usage du sol » a revendiqué López. « Pluspetrol se refuse à reconnaître qu’elle est sur nos territoires. La compagnie et l’État nous doivent des millions en compensation, mais ce n’est pas ça qui va nous sauver la vie. »

Un des cas les plus dramatiques a été la disparition de la lagune Shanshococha, une zone de presque 3000 m2 située dans le bassin de la rivière Pastaza, à l’intérieur du lot 1AB. Après la plainte déposée par les communautés indiennes de la région, l’OEFA a sanctionné Pluspetrol en novembre 2013 par une amende de 6,6 millions de dollars « en raison de la perte irréparable » de la lagune, qui a définitivement porté atteinte à l’écosystème du lieu. Outre que la compagnie n’avait pas informé les autorités quant à l’utilisation de la lagune, elle a effectué terrassement et drainage des sols sans consulter l’organisme officiel de gestion environnementale.

La résolution de l’OEFA établissait que Pluspetrol avait obligation de mettre en place des mesures de compensation environnementale qui consistaient à « créer une nouvelle lagune ou, le cas échéant, renforcer ou protéger une étendue d’eau dans la zone dépendant du lieu affecté ». La société pétrolière fit appel de l’amende et, contre toute évidence, n’admit jamais avoir détruit la lagune pas plus qu’elle ne respecta la demande de réparation. Dans un communiqué, elle mit en cause des opérations préalables à sa présence dans la région et fit valoir que les travaux de réparation avaient été supervisés par les communautés indiennes et des inspecteurs environnementaux du secteur, menaçant en outre d’entreprendre « les actions légales qui conviennent ».

À six mois de son départ du lot 1AB, Pluspetrol n’a aucunement l’intention de réparer le désastre environnemental laissé par son passage dans la région de Loreto. Mieux, elle considère que les sols se rétabliront « naturellement ».


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3317.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 27 février 2015.

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