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DIAL 3427

BRÉSIL - Liberté, même si elle tarde à venir

Antônio Canuto

samedi 21 octobre 2017, mis en ligne par Dial

La difficile lutte pour la terre qui a lieu au Brésil remporte de temps en temps des victoires, tant sur le terrain, que devant les tribunaux. Cet article d’Antonio Canuto, membre de l’équipe de communication du secrétariat national de la Commission pastorale de la terre (CPT) revient sur quelques victoires judiciaires des derniers mois. Texte paru dans Pastoral da terra n° 229, avril-juin 2017.


Nous vivons de bien tristes temps. Les dénonciations de corruption font partie de l’histoire brésilienne, mais aujourd’hui elles se multiplient et abondent de façon étonnante. La corruption atteint les plus hauts échelons d’un gouvernement illégitime et usurpateur.

Au milieu de ce chaos politique, nous sommes frappés quotidiennement par des nouvelles d’assassinats de travailleurs ruraux. Certains prennent l’allure de massacres, avec un degré de cruauté inimaginable dans une nation qui est considérée comme civilisée. Et nous vivons dans un climat impressionnant de criminalisation des luttes sociales et des mouvements qui assument ces luttes.

Mais dans cette ambiance sombre et pesante, nous ne pouvons manquer de célébrer quelques victoires dans le champ des décisions de justice. Ce sont des cas de remise en liberté de combattants de la réforme agraire et de la lutte pour le respect des droits. Plutôt que des victoires, il s’agit d’un minimum de réhabilitation des droits. Dans tous les cas où la liberté a été rendue, les limites raisonnables que la législation et la jurisprudence établissent pour la prison préventive avaient été largement dépassées.

Quelques jugements prononcés

Le 10 avril 2017 a été saluée la décision du juge du Tribunal suprême fédéral (STF), Edson Fachin, qui a modifié le jugement de prison préventive pour les travailleurs sans terre impliqués dans l’occupation de l’usine Santa Helena, à Santa Helena, dans l’État de Goiás, en supprimant la mention du chef d’accusation de pratique du crime par une organisation criminelle.

En première instance, le Mouvement des sans-terre (MST) avait été déclaré organisation criminelle, au sens de la loi 12850/2013, et la prison avait été infligée à Luiz Batista Borges, Natalino de Jesus et Diessyka Lorena, ainsi qu’au dirigeant national Valdir Misnerovizc. Luiz Borges fut emprisonné le 14 avril 2016, et Valdir à la fin mai de la même année. Les deux autres réussirent à quitter le pays. Le Tribunal de justice de Goiás (TJGO), se prononçant sur des demandes d’habeas corpus avait adopté la même interprétation de la loi. Cependant, le ministre Fachin a admis que la lutte sociale pour la réforme agraire est légitime, et que, par conséquent, le MST ne peut pas être déclaré organisation criminelle.

S’appuyant sur cette décision, les avocats ont introduit une nouvelle demande d’habeas corpus devant le TJGO, faisant valoir la durée excessive de la prison provisoire. Le 27 avril, à l’unanimité, le tribunal mit fin à la prison préventive des militants du MST. La remise en liberté de Luiz intervint après un an et 13 jours de prison. Valdir avait déjà été libéré dans une affaire jugée par le Tribunal suprême de justice (STJ).

Antérieurement, un événement favorable avait eu lieu le 14 février, lorsque Lazaro Pereira da Luz, qui était en prison depuis le 15 juin 2016 pour l’occupation de la Fazenda Araraquara, à Itapaci (Goiás) et qui avait été traité en application de la même loi sur les organisations criminelles, fut remis en liberté par le TJGO. La décision fut prise parce que le travailleur se trouvait en prison temporaire depuis plus de 250 jours, sans même avoir une date fixée pour une audience d’instruction et de jugement.

Le 30 mars, une autre décision notable fut celle du Tribunal supérieur de justice (STJ en portugais) qui a concédé l’habeas corpus en faveur des Indiens Kaingang qui étaient en prison depuis le 23 novembre 2016, soupçonnés d’avoir incendié des cultures privées. Le Tribunal adopta une mesure de remplacement de la prison préventive qu’accomplissaient les Kaingang dans la prison de Lagoa Vermelha (État de Rio Grande do Sul).

De même a été accueillie comme une victoire la décision de la juge des Chutes d’Iguaçu qui, le 17 mai, a mis fin à la prison préventive et accordé la liberté provisoire aux sept prisonniers politiques du MST, qui étaient emprisonnés dans les pénitenciers de Cascavel et Laranjeiras do Sul (État du Paraná), depuis novembre 2016. Ils avaient été arrêtés lors d’une intervention policière baptisée « Castra », dont le principal objectif était de paralyser l’action des dirigeants des Campements « Dom Tomás Balduino » et « Héritiers de la Lutte pour la Terre ».

Depuis mai 2014, près de trois mille familles occupaient des terres accaparées par l’entreprise Araupel, qui avaient été déclarées terres de l’Union par la Justice fédérale, et qui devaient donc être destinées à la réforme agraire. Le 7 avril 2016, dans une embuscade de la Police militaire et des vigiles d’Araupel, furent exécutés Vilmar Bordim et Leonir Orback.

Les libérations évoquées ci-dessus sont des victoires partielles, qui laissent un goût amer. Contre chacun des travailleurs concernés pèsent encore les accusations pour lesquelles ils ont été mis en prison. Connaissant les pratiques de notre système judiciaire, il ne serait pas étonnant qu’ils retournent en prison, cette fois-ci- avec une condamnation.

À Anapu, une victoire substantielle

Une décision qui mérite d’être saluée fut celle que prit le Tribunal régional fédéral de la Première Région (TRF1). Ce tribunal a décidé la reprise immédiate de la propriété du lot 68 de la Gleba Bacajá, située à Anapu (État du Pará), par l’Union fédérale.

Il s’agit de la même terre sur laquelle fut assassinée la religieuse Dorothy Stang en 2005, et où plusieurs autres travailleurs ont été tués. Le lot 68 était réclamé par l’entreprise Santa Helena Participações. La Chambre fédérale d’Altamira (État du Pará) avait tranché en faveur de l’entreprise, qui entretenait en permanence des hommes armés sur le terrain. Le Ministère public fédéral fit appel. Et le tribunal agréa cette demande, parce que la propriété était située dans une zone réservée à la réforme agraire.

Reste à savoir si la sentence sera exécutée et si cette terre pourra retrouver le calme.

Une conquête des Indiens Xukuru

La lutte des Xukuru pour défendre leur territoire a connu une étape importante le 21 mars 2017. La Cour interaméricaine des droits humains (CIDH) a condamné le Brésil pour les violations répétées qu’il commet envers les Indiens. Pour la première fois, un peuple indien, les Xukuru de l’État du Pernambouc, a réussi à faire condamner l’État brésilien parce qu’il ne respecte pas leurs droits territoriaux. Ainsi s’ouvre un nouveau champ de lutte.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3427.
 Traduction de Lucile et Martial Lesay pour Dial.
 Source (portugais) : Pastoral da terra n° 229, avril-juin 2017.

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