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Opinion

BRÉSIL - Pour Sergio Moro, au ministère de la justice, les jours sont comptés

Ribamar Fonseca

vendredi 20 décembre 2019, mis en ligne par Pedro Picho

15 décembre 2019.

Grâce à la Globo [1], un cancer s’est installé au Brésil, il y a cinq ans, qui ronge les entrailles de la Nation : l’opération judiciaire Lava-Jato. Sous prétexte de combattre la corruption, la Lava-Jato a manipulé les médias traditionnels, en particulier la Globo, avec des fuites sélectionnées. Elle a jeté dans la boue des centaines de réputations, elle a détruit l’industrie lourde de la construction civile brésilienne, employeur de milliers de travailleurs. Elle a affaibli la Petrobrás en facilitant la prise de contrôle privée par morceaux. Elle a interféré dans le processus électoral en empêchant Lula d’être candidat et en ouvrant la voie à l’élection de Bolsonaro. Et, dans une bonne mesure, elle a fait ses propres lois qui, bien que non écrites et non approuvées par le Congrès national, valent plus que la Constitution elle-même, et sont observées par des juges de tous niveaux. À savoir : elle a supprimé la nécessité de preuves, permettant ainsi la condamnation d’un prévenu uniquement sur la base de convictions de celui qui juge. C’est à cause de cela que Lula a été condamné, même sans être le propriétaire de l’appartement triplex à Guarujá, ni du domaine d’Atibaia. Par son vote pour l’augmentation de la peine infligée à l’ancien président de 12 à 17 ans, dans le procès d’Atibaia, le juge Gebran Neto, rapporteur du TRF-4 [2] pour la Lava-Jato, a déclaré : peu importe que Lula soit propriétaire du site, mais « ce qui me semble pertinent, c’est qu’il a utilisé le domaine. » A-t-on besoin d’un dessin ?

La Lava-Jato était en fait un piège élaboré dans les sous-sols du Département de la Justice nord-américaine avec un objectif politique : retirer du pouvoir la gauche brésilienne, représentée par le PT, pour faire élire un représentant de la droite, en accord avec le gouvernement des États-Unis. Bien que pratiquement inconnu de la grande majorité de la population, malgré ses 28 années de mandat à la Chambre fédérale, le député Jair Bolsonaro a été choisi non seulement pour sa dévotion à Donald Trump, mais aussi pour ses origines et ses liens avec les militaires. Et comme les temps actuels ne sont plus aux coups d’État militaires, les Américains ont opté pour la légalité, l’instrumentalisation de la Justice pour donner l’apparence de la légalité ; c’est une stratégie qui a été adoptée au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique du Sud pour écarter les gouvernants et les responsables politiques populaires de la gauche. Ce qui a été décisif pour le succès du projet de renverser la présidente Dilma Roussef et d’arrêter Lula, ce fut la participation des médias, des magistrats, des hommes d’affaires et l’utilisation de WhatsApp, qui est aujourd’hui le moyen de communication le plus efficace de la planète, par lequel un véritable lavage de cerveau a été propagé dans une grande partie de la population, au moyen de fausses informations.

Le groupe de travail de Curitiba a acquis le statut de tribunal d’enquête, avec compétence sur tout le territoire national, et ses chefs, le juge d’alors Sergio Moro et le procureur de l’époque Deltan Dallagnol, ont été transformés par la Globo en super-héros, parce qu’ils faisaient exactement ce que les frères Marinho voulaient : éliminer Lula et le PT du scénario politique national, ce qui épousait les intérêts nord-américains et les motivations à l’origine de la Lava-Jato. Et pour attraper l’ancien président, véritable cible de l’opération depuis son installation, ils ont laissé derrière eux des traces de destruction partout où ils sont passés : ils ont arrêté beaucoup de gens considérés comme « importants » et détruit des centaines de réputations ; ils ont détruit l’industrie des BTP et cassé les plus grandes entreprises du pays pour ouvrir l’espace aux entreprises étrangères. La lutte contre la corruption – étendard qu’ils lèvent jusqu’à aujourd’hui, chaque fois que croissent les critiques sur les dégâts causés à l’économie du pays – a en fait toujours été un écran de fumée pour cacher le véritable objectif du groupe de travail : empêcher Lula de revenir au gouvernement. Au bout du compte, où sont les corrompus repentis ? À de rares exceptions près, ils profitent chez eux de l’argent qu’ils ont volé.

Au-delà des grandes entreprises des BTP, la Petrobrás, espionnée depuis des années par les États-Unis, a été l’une des plus lésées par la Lava-Jato, qui a déployé une véritable chasse aux sorcières dans cette entreprise publique et l’a livrée à la merci et à l’acharnement de ceux qui voulaient la livrer aux Américains, un vieux rêve des « livreurs » que sont Fernando Henrique Cardoso et José Serra. Le président de la Petrobrás , Roberto Castello Branco, a récemment reconnu les dommages causés par cette opération à l’entreprise publique et à ses employés, c’est pourquoi il leur a envoyé une lettre d’excuses. En note Castello dit : « Au lieu d’enquêter et de punir ceux qui ont commis des actes coupables, des innocents ont été persécutés. C’est pour cela que nous adressons environ deux mille lettres d’excuses aux personnes concernées et aux membres de leur famille pour les préjudices occasionnés. J’en profite pour présenter mes excuses personnelles, en tant que président de la société Petrobras, à tous ceux qui ont été lésés et à leurs familles. » Existe-t-il une meilleure preuve pour convaincre les fanatiques que la Lava-Jato a apporté au Brésil plus de dégâts que d’avantages ? Qui sera tenu pour responsable des préjudices causés aux fonctionnaires de l’entreprise publique ?

Le juge d’alors Sergio Moro, qui faisait des allers-retours aux États-Unis pour recevoir des instructions du personnel du Département de la Justice et même de la CIA, en récompense d’avoir assuré l’élection de Bolsonaro et retiré Lula de la course, a été nommé au Ministère de la Justice, ce qui, non seulement l’a mis sous les projecteurs, mais l’a aussi blindé contre les poursuites. En outre, il a réussi à obtenir des alliés au Congrès et dans les tribunaux supérieurs, en particulier à la Cour fédérale suprême, où il bénéficie du soutien sans restriction des ministres Edson Fachin, Roberto Barroso et Luiz Fux. Ce dernier, considéré comme homme de confiance da Lava-Jato, a déjà déclaré publiquement son vote contre la procédure de suspicion de Moro, qui est en instance devant la Cour Suprême et qui aurait déjà dû être votée en plénière, mais qui, à ce jour, dort toujours dans le tiroir de son président, Dias Tóffoli, qui a par la suite reporté son inscription à l’ordre du jour. Tóffoli semble-t-il, veut laisser la décision à Fux, qui prendra bientôt la présidence de la Cour. Lors d’un récent discours au CNMP, Conseil national du ministère public, Fux a défendu Moro, le qualifiant de « grand Brésilien », et a critiqué la presse pour avoir publié les révélations de The Intercept.

L’ex-juge, en fait le principal coupable de la catastrophe de Bolsonaro, ne sera probablement pas puni pour ses abus, puisque toutes les actions contre lui ont été archivées par le Conseil National de Justice, à l’exemple de ce qu’a fait le CNMP avec les procédures contre Deltan Dallagnol, c’est ainsi que les organes de contrôle sont devenus corporatistes. La seule personne, aujourd’hui, capable de le punir, même sans cette intention, est le président Bolsonaro, qui ne devrait pas le garder longtemps au ministère de la Justice parce qu’il sait que, à part Lula, Moro est le seul à pouvoir le battre aux prochaines élections, comme le révèlent les sondages. Pour l’instant, il est bien vu par l’opinion publique, qui l’apprécie encore pour sa supposée lutte contre la corruption dans la Lava-Jato. Mais comme, durant un an au Ministère de la justice, il n’a absolument rien fait contre la corruption (où est Queiroz ?) [3] ou pour améliorer la sécurité dans le pays, tout indique qu’il sera oublié quand il quittera ses fonctions et qu’il sortira par conséquent des projecteurs, tout comme le ministre à la retraite, Joaquim Barbosa, que le magazine Veja a qualifié de « pauvre garçon qui a changé le Brésil ». À partir de là, le capitaine [Bolsonaro] n’aura plus à s’inquiéter de son concurrent, parce que l’ancien juge, comme Barbosa, disparaîtra de la scène politique. Si Bolsonaro, alors, a vraiment l’intention de se représenter aux élections, sa première étape sera d’éliminer, d’un coup de crayon, le concurrent le plus proche : Moro. Et le rêve de l’actuel ministre de parvenir à la présidence de la République ou à la Cour suprême n’aura été qu’un rêve.


Ribamar Fonseca est journaliste de Brasil 247.

Traduction française et notes de Pedro Picho.

Source (portugais) : https://www.brasil247.com/blog/moro-esta-com-os-dias-contados-no-ministerio-da-justica.

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[1Globo : Groupe audiovisuel historique, implanté à Rio de Janeiro et encore dominant au Brésil. Il est la propriété de la famille Marinho. Il a une grande influence sur l’opinion et donc sur le cours de la politique. C’est véritablement un deuxième ou un troisième pouvoir.

[2TRF-4 : Tribunal fédéral de la quatrième région, à savoir Curitiba, d’où est parti et est encore piloté l’opération Lava-Jato.

[3Fabricio Queiroz : policier à la retraite, ex garde du corps et chauffeur de Flavio Bolsonaro, fils du président et député régional de Rio. Il est soupçonné par le Conseil de contrôle des activités financières (COAF), d’avoir servi d’intermédiaire dans un important détournement de fonds publics pour acheter des parlementaires de l’État de Rio en 2016. Outre Flavio, la première dame, Michelle Bolsonaro, serait au nombre des bénéficiaires. Autres précisions sur Wikipédia : Affaire Queiroz.

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