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BRÉSIL - Réfutation d’une erreur : la théologie de la domination

Leonardo Boff

mardi 30 avril 2024, mis en ligne par Pedro Picho

12 mars 2024.

Les analystes politiques étudient le passage des groupes néo-pentecôtistes, en grande partie bolsonaristes [1], de la théologie de la prospérité à la théologie de la domination. J’estime que le conflit actuel entre l’État sioniste israélien et la bande de Gaza, qui présente des caractéristiques de carnage et même de génocide des Palestiniens, a renforcé ce passage au Brésil. On sait depuis longtemps que Benyamin Netanyahou est un sioniste d’extrême droite radicale qui a exprimé son projet de restaurer l’État hébreu dans les dimensions qu’il avait, à son apogée, à l’époque de David et de Salomon. D’où son appui sans restriction à l’expulsion de la population arabe musulmane et à la colonisation des territoires de Cisjordanie.

La théologie du « dominion » ou dominionisme est née aux États-Unis vers les années 1970 dans un contexte de reconstruction chrétienne calviniste. On le sait, Calvin au XVIe siècle avait établi à Genève un gouvernement religieux extrêmement strict et violent, allant jusqu’à la peine de mort. Il en faisait un modèle pour le monde entier.

Le dominionisme se compose de diverses tendances chrétiennes fondamentalistes, y compris celle des intégristes catholiques qui postulent une politique exclusivement religieuse, avec un fondement biblique, pour l’appliquer à toute l’humanité, en excluant toute autre expression considérée comme fausse et donc sans droit d’exister. C’est l’idéologie totalitaire de la droite chrétienne dans le domaine de la politique ou des coutumes.

Regardons les fondements bibliques qui sous-tendent cette théologie. Ils se basent sur le premier chapitre de la Genèse. Il existe deux versions de la création dans la Genèse. Mais seule la première, qui se réfère directement à la domination, est utilisée.

Rappelons ce texte. « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance pour qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux de l’air, les animaux domestiques, tous les animaux sauvages, et tous les reptiles qui rampent sur la terre. Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il les créa, homme et femme il les créa. Et Dieu les bénit et leur dit Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la, dominez sur les oiseaux du ciel et sur tout ce qui vit et se meut sur la terre. » (Genèse 1,26-29)

Ce texte, tel qu’il est, légitime tous types de domination et il a servi d’argument aux développementistes pour leur projet de croissance illimitée. Cependant, il a été lu de manière littérale et fondamentaliste, sans tenir compte du fait que 3 à 4000 ans nous sépare du récit biblique. Le sens des mots a changé. Ces groupes ne considèrent pas ce qu’il signifiait au moment où il a été écrit, il y a des milliers d’années. Si nous considérons son sens en hébreu, nous verrons que le texte, interprété herméneutiquement tel qu’il devrait être, montre l’erreur de la théologie du dominionisme. Il représente une illusion paranoïaque, irréalisable, dans le monde pluriel et globalisé dans lequel nous nous trouvons.

Le texte doit être interprété dans la perspective de l’affirmation de l’être humain créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu ». Avec cette expression, en hébreu, on ne veut pas définir ce qu’est l’homme (sa nature) mais, au contraire, on veut déterminer ce qu’il doit faire. Tout comme Dieu a tout fait à partir de rien, l’homme, créé comme créateur, doit considérer que Dieu a créé avec bienveillance : « Dieu a vu que tout était bon » (Genèse 1,25). Le sens hébreu original de « image et ressemblance » (« selem » et « demût ») fait de l’être humain le représentant et le lieutenant du Créateur.

Les expressions « soumettre » et « dominer » doivent être comprises, simplement, comme « cultiver et prendre soin ». Mais passons aux détails. Pour « dominer », on utilise le mot hébreu « radash » (Genèse 1,26), qui signifie gouverner de la bonne manière, comme le Créateur gouverne sa création. Pour « soumettre » on utilise en hébreu le terme « kabash » (Genèse 1, 28), qui signifie agir comme un bon roi, non dominateur mais qui veille sagement sur ses sujets.

Par conséquent, le Psaume 8 loue Dieu d’avoir créé l’homme comme un roi : « Tu l’as fait un peu inférieur à un être divin, tu l’as couronné de gloire et d’honneur, tu lui as donné la domination (kabash) sur les œuvres de tes mains, tu as tout mis à ses pieds (radah) ; les moutons et les bœufs et même les animaux sauvages, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui va son chemin dans la mer. » (Psaume 8, 6-9). Ici, comme dans Genèse 1, il n’y a ni violence ni domination : il faut agir comme le Créateur qui agit avec amour au point qu’Il dit, dans le livre de la Sagesse, qu’Il « a créé tous les êtres avec amour et aucun avec haine, sinon Il ne les aurait pas créés… parce qu’Il est l’amoureux passionné de la vie » (Sagesse 1,24.26). Ici, la théologie de la domination perd son fondement.

Il y a une deuxième version de la Genèse (2,4-25) qui s’écarte de la première, jamais mentionnée par les représentants de la théologie de la domination. Dans cette seconde, Dieu enlève tous les êtres de la poussière de la terre, ainsi que l’être humain, établissant ainsi un lien de grande fraternité entre tous. Il a créé l’homme qui vivait dans la solitude. Il lui a donné une femme, non pas pour procréer, mais pour être sa compagne (Genèse 2,23). Il les a placés dans le jardin d’Eden, non pas pour le maîtriser, mais pour « le cultiver et le garder » (2,15), en utilisant les mots hébreux abad pour cultiver et shamar pour garder et prendre soin.

Cette compréhension, qui situe tous les être comme issus de la même origine, de la poussière de la terre, confiant au couple humain la mission de cultiver et de garder, fournirait une autre base à la coexistence de tous les êtres humains avec les autres êtres de la nature. Ici, il n’y a pas de base pour la domination, au contraire, elle la nie au profit d’une coexistence harmonieuse entre tous.

Cette analyse, à partir de l’hébreu, est décisive pour réfuter le fondement d’une interprétation, hors du temps, fondamentaliste, au service d’un sens politique, totalitaire et exclusif de la domination sur les peuples et la terre, comme étant le projet de Dieu. Rien de plus déformé et de plus faux. Même si le fondamentalisme et l’orientation d’extrême droite en politique grandissent dans le monde, cette tendance n’offre pas des conditions objectives réelles pour l’emporter et constituer une forme religieuse unique en vue d’organiser la politique d’une humanité unie et diverse.


Traduction française de Pedro Picho.

Source (portugais du Brésil) et bibliographie : https://www.ihu.unisinos.br/categorias/637315-a-teologia-do-dominio-refutacao-de-uma-falacia-artigo-de-leonardo-boff.

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[1Bolsonaristes : partisans de l’ancien président du Brésil, d’extrême droite, Jaïr Bolsonaro qui, avec son épouse Michelle, a constamment cherché à s’appuyer sur les églises évangéliques les plus conservatrices, notamment celle du pasteur Silas Malafaia – NdT.

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