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COLOMBIE - Le plan Colombie - Une stratégie sans solution

lundi 1er mai 2000, par Dial

Il est beaucoup question depuis quelque temps du Plan Colombie. L’existence de plusieurs versions de ce Plan a multiplié les inquiétudes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. S’agit-il d’un véritable plan pour la paix, le développement et la démocratie ou avant tout d’un plan de lutte antidrogue patronné par les États-Unis ? Pour contribuer à débrouiller l’écheveau, l’Office international de droits humains action Colombie (OIDHACO) a élaboré un document dans lequel il passe en revue le contenu du Plan Colombie et son importance. L’article de América Latina en movimiento (ALAI) du 14 mars 2000, ici reproduit, en présente les points principaux.


L’expression Plan Colombie est étroitement liée au discours politique de paix du président de la République Andrés Pastrana Arango. Sans grande diffusion à cette époque, le Plan Colombie fut rendu public en décembre 1998 à Puerto Wilches. À cette occasion, le président déclarait que « la guérilla pourra participer à la préparation, la négociation et l’exécution des projets du Plan Colombie. »

L’initiative du Plan revient à l’ancien ministre des affaires étrangères et membre de la Commission de conciliation nationale, Augusto Ramírez Ocampo, à partir de sa connaissance et de son expérience du processus de paix en Amérique centrale. On l’envisageait comme un processus simultané à la négociation, qui permettrait de financer des projets sectoriels liés aux accords réalisés. Il visait en outre la réhabilitation et l’investissement, principalement dans les zones affectées par la violence, les cultures illégales ou les conflits liés à l’environnement, en prenant appui sur la participation des communautés et de l’État à partir de la base. La façon d’envisager la méthodologie participative avec les communautés est apparue contraire à la réalité ; jusqu’à présent, ce gouvernement s’est caractérisé par un total éloignement de celles-ci.

Comme élément important dans le cadre d’une négociation de paix, le Plan Colombie a fait partie des pré-accords entre le gouvernement et les FARC, avant son installation officielle le 7 janvier 1999. C’est le ministre de l’intérieur lui-même, Néstor Humberto Martínez, et le directeur de la planification nationale, Jaime Ruiz, qui avec le Haut commissaire pour la paix, Victor G. Ricardo, se sont chargés d’exposer devant le Commandement des FARC la prise en compte du Plan Colombie dans le planning futur des négociations.

Le changement de cap du Plan Colombie : les objectifs nord-américains

Beaucoup de choses ont changé depuis lors, avant d’en arriver aujourd’hui à ce qui est connu comme le Plan Colombie, dont le contenu est subtantiellement très différent de l’ancien. Un regard sur l’évolution des relations avec les États-Unis ces derniers mois pourra apporter quelques éclairages sur les raisons de ce changement.

En quelques mois, la Colombie est devenue l’un des axes de la politique étrangère nord-américaine. Deux éléments lui ont donné ce rôle de premier plan : le problème du narcotrafic et la prise en compte de la Colombie en tant que menace pour la sécurité de l’hémisphère ( par extension du conflit armé dans les pays voisins ).

Ce serait le général Barry McCaffrey, le tsar antidrogue, qui aurait regroupé les renseignements et tiré la sonnette d’alarme : l’implication de plus en plus forte de la guérilla dans le trafic de drogues fait qu’il est nécessaire, pour contrôler la violence qui affecte le pays et menace le sous-continent, de combattre la « narcoguérilla » pour atteindre la paix. Mac Caffrey lui-même, avec des officiers supérieurs du Commandement Sud et des élus du parti républicain, aurait été à la tête de la demande d’augmentation de l’assistance militaire nord-américaine à la Colombie et du déblocage des ressources destinées à l’armée. De cette position au nouveau Plan Colombie, il n’y a qu’un pas.

Pickering, sous-secrétaire d’État, aurait encouragé le gouvernement colombien à élaborer un plan qui permette une aide supplémentaire ; de hauts fonctionnaires étasuniens auraient demandé une stratégie intégrale et des conseillers du département d’État auraient collaboré à la rédaction de la nouvelle version du « Plan Colombie ».

Un signe important de la prépondérance donnée à la lutte antidrogue dans le nouveau plan apparaît dans le fait que le ministre de la défense Luis Fernando Ramírez et les commandants de la police et des forces militaires, respectivement les généraux Serrano et Tapias, ont été les premiers à présenter le Plan devant le secrétaire de la défense des États-Unis William Cohen et les représentants du Congrès.

Le plan se serait concrétisé pour le Congrès nord-américain grâce au projet de loi S 1758, présenté par les sénateurs républicains Coverdell, Dewine y Glaseley le 20 octobre dernier, par lequel on sollicite une aide supplémentaire de 1,6 milliards de dollars sur trois ans pour la Colombie, dont plus de 70 % destinés à différents aspects reliés à la lutte antidrogue.

La désillusion du gouvernement colombien quand le Congrès nord-américain ajourna le débat sur cette aide à l’an 2000 fut largement compensée par l’annonce du président Clinton, au début de l’année, disant sa volonté de demander au Congrès une aide de 1,6 milliard de dollars sur les deux prochaines années pour la Colombie.

L’autre visage du Plan Colombie présenté à l’Union européenne

Dans son ensemble, le Plan coûte en chiffres ronds 7,5 milliards de dollars dont la Colombie fournirait 4 milliards, en espérant recueillir les 3,5 autres milliards grâce aux apports de la communauté internationale « pour l’effort de paix du gouvernement actuel ».

Cela a rendu nécessaire de lancer aussi aux membres de l’Union européenne une demande de coopération pour le Plan Colombie. C’est ce qu’a fait le président Pastrana lui-même pendant sa visite au Conseil, à la Commission et au Parlement européens à la fin du mois d’octobre 1999. Cependant, en tenant compte de l’esprit de l’Union au sujet de la coopération dans les programmes sociaux, l’accent fut mis sur d’autres aspects du Plan Colombie.

Le président Pastrana a présenté le Plan Colombie en scéance plénière au Parlement européen en ces termes : « C’est une stratégie intégrale et unifiée pour donner plus de poids aux questions fondamentales du pays telles que la recherche de la paix, la réactivation de notre économie et la création d’emplois, la protection des droits humains, le renforcement de la justice et l’accroissement de la participation sociale. Le résultat final sera le renforcement de notre État, ce qui est une condition pour obtenir le progrès et la paix. Nous demandons votre participation sur tous ces sujets, mais nous avons essentiellement besoin que vous, que vos nations, que l’Europe toute entière investisse dans la paix, pour la paix, qu’elle ouvre ces marchés pour que nous puissions créer des emplois pour la paix. »

Les principaux thèmes cités se réfèrent à chacun des axes du Plan Colombie ; seulement, il en a manqué un dans cette description transversale du plan : la stratégie antidrogue.

Le projet Alianza act

La version du Plan Colombie qui soutient le projet de loi S 1758, appelé Alianza act, présenté par les sénateurs républicains Coverdell, Dewine et Glaseley devant le Congrès nord-américain, montra quelques variations quant à la stratégie antidrogue, qui méritent bien d’être signalées.

Il y a un changement dans l’ordre des axes d’action du Plan. Il commence par un panorama de l’économie, il continue avec la stratégie antidrogue, le troisième chapitre est consacré à la réforme du système judiciaire et à la protection des droits humains, le quatrième à la démocratisation et au développement social, pour s’achever avec le processus de paix au cinquième chapitre.

Le chapitre consacré à la stratégie antidrogue comporte quelques éléments ajoutés :

 un sous-titre intitulé « Définition de la mission » dont le contenu est le suivant : « Mission nationale : assurer l’ordre, la stabilité et le respect de la loi ; garantir la souveraineté nationale sur le territoire ; protéger l’État et la population civile des menaces

provenant des groupes rebelles armés et des organisations criminelles. Rompre les liens entre ces groupes et l’industrie de la drogue qui les soutient. »

 un paragraphe ajouté après les « objectifs stratégiques », intitulé « Foyers intégrés du Plan », qui se réfère à la manière dont les forces armées et de police doivent travailler de façon intégrée et systématique dans la stratégie de lutte antidrogue pour réduire la culture et la production de 50 % en six ans, à travers trois phases.

Ces phases sont les suivantes :

Phase 1 : « Effort judiciaire, policier et militaire d’envergure réduite concernant le Putumayo et le sud », pendant un an.

Phase 2 : « Effort judiciaire, policier, social et militaire d’envergure moyenne visant le sud-est et les parties centrales du pays » pour une période de deux à trois ans.

Phase 3 : « Étendre à tout le pays les efforts intégrés » entre trois et six ans.

Le projet Alianza comprend une clause dont le principe est intéressant : l’aide ne peut pas s’adresser aux unités de la force publique quand le secrétariat d’État informe le Congrès qu’il existe à leur sujet une preuve crédible « qu’un membre de ladite unité a fourni un appui matériel à des forces irrégulières en Colombie ». Qu’entend-on par « preuve crédible » et « appui matériel » selon les termes du projet ? Des preuves de caractère judiciaire ? (Qu’on se souvienne de l’existence de la juridiction pénale militaire en Colombie.) Christine Lauber fait remarquer à ce sujet : « ce que nous rencontrons en Amérique latine ce sont des militaires créant l’environnement dans lequel les paramilitaires et les miliciens apparemment « indépendants » peuvent commettre leurs actions atroces en toute impunité, tandis que ces militaires gardent les « mains propres » pour pouvoir continuer à recevoir une aide militaire de pays comme le nôtre sans scandaliser l’opinion publique. C’est ainsi que le paramilitarisme agit dans le nouvel ordre mondial. »

Bien que le gouvernement insiste sur l’existence d’une seule version du Plan Colombie, il existe en réalité deux versions sensiblement différentes et d’autres versions qui, tout en restant en grande partie similaires à la version officielle remise à l’Union européenne, contiennent quelques variations.

Les piliers de la stratégie

Bien que le Plan reconnaisse la nécessité de consolider un État de droit, l’analyse de la situation du pays et les stratégies élaborées dans ce but méconnaissent des aspects fondamentaux de la réalité nationale et, par conséquent, des solutions possibles. L’inégalité sociale, la pauvreté et la misère rampante ; les violations persistantes, dans l’impunité, des droits humains ; le non-respect du droit international humanitaire, l’aggravation du conflit et le rôle des paramilitaires dans cette dégradation ; les conséquences du modèle de lutte antidrogue appliqué jusqu’à présent ; la nécessité d’une profonde réforme politique et des pouvoirs publics et la construction d’une participation citoyenne réelle et effective... tels sont quelques-uns des points essentiels que le Plan ne prend pas en compte, ce qui conduit à un diagnostic insuffisant et à une analyse biaisée.

La consolidation de l’État de droit apparaît alors liée à une optique de sécurité et de stabilité, qui méconnaît la nécessité d’une légitimité démocratique (même si on la mentionne en diverses occasions) comme pilier fondamental de l’État de droit.

Les principaux piliers du Plan en termes de stratégie se réduisent à deux : le niveau économique et la lutte antidrogue.

Au niveau économique, le Plan Colombie projette un plan de stabilisation très semblable à ceux de l’« ajustement structurel », avec de graves conséquences à court terme sur la distribution du revenu et sur l’emploi, dont les conditions sont pourtant déjà difficiles.

L’endettement extérieur s’accroît, on privatise pour faire de l’assistanat, on socialise les pertes et on prétend expliquer que les sacrifices d’aujourd’hui seront la croissance et la meilleure distribution du revenu de demain. Même si c’était le cas, on peut dire objectivement que le projet économique proposé ne contribue ni à court ni à moyen terme à la paix et à la coexistence sociale, même si on arrivait à un accord entre les acteurs armés de la guerre.

Le schéma antidrogue est fondamentalement à court terme et militariste, ce qui empêche de voir des solutions alternatives possibles à partir d’un point de vue différent, dans lequel la concertation avec les communautés prévaudrait sur la force. Certains éléments aggravent encore la situation : la rupture de la frontière entre lutte antidrogue et lutte anti-insurrectionnelle, qui entraîne une perte d’indépendance face à la réponse à donner au conflit ; le refus de reconnaître aux civils impliqués la qualité de non-combattants ; la violation des droits fondamentaux que l’on se targue de défendre ; les effets nocifs sur l’environnement. Comme l’affirme Ricardo Vargas : « La construction de la paix en Colombie passe par un changement de la stratégie antidrogue actuelle dirigée par les États-Unis. »

Le plan se joue sur deux niveaux superposées dans le cadre international :

1) l’appui politique et financier des États-Unis dans la lutte antidrogue. Les ressources demandées au Congrès nord-américain par le président Clinton serviront principalement à renforcer la guerre contre le narcotrafic et contre tout ce que l’on considère en rapport avec lui, ce qui, comme nous l’avons fait remarquer précédemment, aura une influence sur le développement du conflit armé intérieur.

2) l’appui et les ressources européennes orientées vers le soutien politique au processus de paix et le financement de projets de reconstruction rendus nécessaires par les dégâts de la guerre.

La stratégie de paix soutenue seulement dans le processus de négociations déjà amorcées avec les FARC est aussi à court terme, sans rapport avec la gravité et la complexité des problèmes que soulève le conflit armé intérieur et en fin de compte contradictoire avec le schéma projeté de lutte antidrogue.

L’allusion au sujet des réformes judiciaires et des droits humains manque de stratégie propre. D’un côté on inclut une liste incomplète d’intentions et de l’autre on veut parachever la stratégie antidrogue dans le domaine juridique.

Sur le terrain de la démocratisation, les perspectives sont également décourageantes. Faute d’une analyse des problèmes structurels profonds de l’État et de sa responsabilité dans les violations graves, persistantes et systématiques des droits humains qui empêchent le libre exercice démocratique, on se limite à essayer de pallier leurs effets par l’assistance humanitaire et des programmes de développement alternatif qui vont à contre-courant de la stratégie antidrogue. En conclusion, les propositions du Plan Colombie tendent à tout aggraver : plus d’endettement, plus de militarisation, plus de dommages à l’environnement à cause de l’accroissement de l’éradication forcée des cultures, plus de violations des droits humains, plus d’ingérence nord-américaine, plus de conflit au nom de la paix, de la prospérité et du renforcement de l’État.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2374.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : América Latina en movimiento, mars 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 
 

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