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DIAL 3309

Sommet des peuples face au changement climatique : déclaration de Lima (11 décembre 2014)

vendredi 23 janvier 2015, mis en ligne par Dial

En parallèle de la Conférence sur le climat - COP 20, qui s’est tenue du 1er au 14 décembre à Lima s’est tenu le Sommet des peuples face au changement climatique, dont nous publions ci-dessous la déclaration finale.


Le Sommet des peuples face au changement climatique, réuni à Lima du 8 au 11 décembre 2014, est l’aboutissement de processus de mobilisation et de résistance initiés par divers mouvements, organisations, plate-formes et réseaux, par des collectifs sociaux, syndicaux, de femmes, d’agriculteurs, d’Indiens, de jeunes et de défenseurs de l’environnement, par des groupes à caractère religieux, artistique et culturel, péruviens et internationaux. Nous nous sommes réunis pour continuer à échanger et à partager sur les multiples moyens de lutte et de résistance, pour la construction d’une justice sociale, contre le système capitaliste patriarcal, raciste et homophobe, pour le respect des diverses formes de vie, sans exploitation ni spoliation des biens de la nature, pour la capacité des peuples à choisir de manière communautaire leurs sources d’énergie, pour la réduction des inégalités sociales et la promotion du Bien Vivre en tant que modèle de vie en harmonie avec la Nature et la Terre Mère.

Le capital cherche à faire face à sa crise systémique en imposant la confiscation de l’eau, le saccage des territoires et du patrimoine naturel, la mise à sac, la production de combustibles fossiles, l’amplification de l’exploitation des travailleurs et des travailleuses, la répression des mouvements sociaux et la violence physique et psychologique. Il multiplie les formes de criminalisation des luttes, des populations, tout comme la militarisation et le contrôle des territoires. Tout cela est appuyé par les médias. En outre il faut ajouter à cette réalité le fait que les États et leurs bureaucraties sont les otages du pouvoir économique, du paiement des dettes injustes issues de la corruption, et d’une multiplicité d’affaires au bénéfice exclusif des véritables pouvoirs à l’abri des gouvernements en place, dociles aux injonctions des entreprises nationales, des grandes transnationales et de leurs agents politiques.

Dans cette conjoncture le Sommet des peuples est le porte-parole des secteurs exploités et opprimés du monde, des marginalisés par un système économique et culturel qui les subordonne aux secteurs racistes, fondamentalistes, machistes et patronaux qui tirent profit du modèle capitaliste. En ce moment crucial que traverse l’humanité, moment où le gravissime changement climatique que nous subissons exige une action urgente de la société globale, nous réclamons des gouvernements — et du système des Nations unies de la COP 20 — l’adoption d’accords qui respectent et valorisent la vie des peuples autochtones, ruraux et urbains, et qui mettent en avant la préservation de la biodiversité globale. Nous excluons tout mécanisme de marché qui se poserait comme la solution aux problèmes climatiques et environnementaux.

Nous qui nous sommes réunis pour ce sommet, nous reprenons et nous rendons compte des processus de luttes antérieures qui ont été élaborés par nos peuples, et nous arrivons ici avec cette force collective et constructive. C’est de là que nous nous exprimons et que nous présentons nos requêtes :

Que les gouvernements de ce monde respectent nos territoires, nos droits et nos modes de vie, nos cultures, coutumes et cosmovisions en ce qui concerne la vie et le monde que nous habitons. Nous dénonçons l’exploitation de nos ressources naturelles et de nos territoires par des industries d’extraction qui portent atteinte à nos moyens de subsistance, à la source de notre identité et à la relation harmonieuse de nos communautés avec notre Mère Terre. Nous réclamons la reconnaissance de la propriété des terres des communautés qui, traditionnellement, ont vécu sur leurs terres. Nous n’acceptons ni un contrôle des territoires qui leur soit extérieur ni les processus de négociation et d’imposition de fausses solutions au problème climatique. Les gouvernements doivent placer au cœur de leur réflexion le respect de nos formes de vie ancestrales et la reconnaissance de notre droit à l’autodétermination en tant que nations et peuples autochtones.

Nous réclamons aux États l’ouverture d’un débat avec la société civile sur la notion d’émissions nettes évitées permettant la conclusion d’un accord climatique 2015 qui attribue une compensation aux pays non industrialisés qui décident de ne pas exploiter des sources d’énergie fossiles afin qu’ils puissent financer la transformation de leurs modèles énergétiques. Nous préconisons l’adoption d’un impôt global sur les transactions financières internationales, qui apporte des fonds suffisants pour garantir une transition intègre vers un modèle inclusif de justice sociale.

De même nous insistons que l’ensemble des initiatives destinées à inverser la tendance climatique destructrice dans laquelle notre planète a été engagée, doit prendre en considération les responsabilités historiques des pays développés ainsi que la reconnaissance et la réparation de la dette historique qu’ils ont auprès du Sud global. En particulier les groupes transnationaux de capital privé des pays développés doivent assumer la responsabilité de leurs actions et agissements au niveau global. Nous exigeons que justice soit pleinement rendue dans les cas de pollution provoqués par, entre autres, Newmont, Dorean au Pérou, et la Chevron-Texaco qui, lors de son passage par l’Amazonie a laissé en héritage l’un des plus graves écocides de l’histoire de la planète.

Des gouvernements nous exigeons qu’ils acceptent et respectent notre droit humain à un travail digne, dans le plein exercice des droits individuels et collectifs, et que soit garanti un processus de transition équitable vers un monde qui nous permette d’améliorer la qualité de vie. Nous réclamons des garanties pour un accès universel aux systèmes de protection et de sécurité sociale, le respect de notre liberté syndicale et une répartition juste et équitable de la richesse produite en utilisant notre travail et nos compétences.

Nous estimons qu’aucune action pour faire face au changement climatique ne sera efficace et viable si elle n’est pas accompagnée de politiques publiques concrètes en faveur de la petite agriculture familiale et rurale, de la réforme agraire, de la souveraineté et de la sécurité alimentaire de nos populations, d’une production autosuffisante, sur une base agroécologique, autochtone, libérée de produits transgéniques et agrotoxiques, et tournée vers la consommation humaine et la préservation de la bio-diversité. Nous croyons que pour avancer en direction d’un monde juste et d’une économie locale, solidaire, coopérative, féminine et communale il est fondamental de reconnaître le droit humain à l’alimentation, de même que l’apport important de l’agriculture familiale paysanne, qui contribue pour plus de 70% à l’alimentation du monde. Nous exigeons que soient freinées la production et l’expansion des agrocombustibles, qui amplifient la déforestation, l’érosion des sols, la pollution des sources d’eau et d’air, et sont une forme de recolonisation territoriale.

Au cours de ces dernières années la stratégie du capital a pris la forme d’une intensification des processus de privatisation, marchandisation et financiarisation de la nature, exprimés dans le cadre des principes d’une économie verte et qui nous présentent des fausses solutions à la crise du climat. En voici quelques-unes : Mécanismes de développement propre (MDL), projets en vue de la Réduction d’émissions par déforestation et dégradation des forêts (REDD), transgéniques, agrocombustibles, géo-ingénierie, mégaprojets hydroélectriques, centrales nucléaires, fracturation hydraulique (« fracking »), agriculture climatiquement raisonnée.

La stratégie du capital passe aussi par ce que nous appelons une architecture de l’impunité des groupes transnationaux et des gouvernements, à travers les traités de libre échange et de protection des investissements, entre autres ceux qui tendent à privatiser des services fondamentaux comme l’eau, l’éducation, la santé et l’habitat et portent atteinte aux droits humains des travailleurs et des populations. Le Sommet des Peuples s’oppose à toutes ces stratégies du capital.

Comme indiqué plus haut, nous dénonçons le système capitaliste-patriarcal qui maintient l’oppression et le contrôle sur le corps, le travail et la vie des femmes, encourage la violence sexuelle et la traite des femmes, et les évince de certains secteurs de la vie sociale et publique. Il est nécessaire d’évoluer vers une autre division du travail dans la société, une division qui élimine la notion d’infériorité du travail féminin, qui ne rende pas invisible le travail du soin — qui rend possible la reproduction sociale — et qui ne le soumette pas aux injonctions du marché. Nous exigeons un changement radical qui reconnaisse l’activité reproductive comme étant à la base du maintien de l’humanité et des relations entre les personnes et les communautés. Toutes les alternatives doivent prendre en compte le point de vue féministe et promouvoir une relation homme/femme plus juste.

Nous plaidons en faveur d’une consommation responsable et non aliénée, fondée sur l’adoption d’habitudes et de règles saines et en accord avec les besoins humains, et non assujettie aux ambitions du capital. Une consommation qui ne contribue ni à la pollution de l’environnement ni au changement climatique. Nous encourageons l’utilisation responsable des ressources vitales, le recyclage et la gestion durable des résidus solides. Nous nous engageons à promouvoir la prise de conscience des citoyens en ce qui concerne les actions, individuelles ou collectives, que nous pouvons mener pour avancer vers un monde plus juste.

Les États doivent prendre, immédiatement, des décisions et des mesures de protection, conservation et restauration des vallées, des écosystèmes, des hautes montagnes, des bofedales et humedales [zones humides], des páramos, des steppes, des bois, des aquifères, des lacs, des rivières, des sources, des zones marines côtières, qui nourrissent la Terre Mère. Tous ces écosystèmes et sources d’eau sont touchés par les activités des industries extractives, minière, pétrolière, carbonifère, d’exploitation de gaz, par l’abattage d’arbres et les déchets abandonnés, entre autres causes. Le droit humain à l’eau et à l’assainissement doit être garanti de façon égalitaire du point de vue des conditions, de l’accès et de la salubrité. Cela ne peut être garanti que dans le cadre d’entreprises publiques sous gestion publique.

Le Sommet des peuples pose le problème de l’incohérence du gouvernement péruvien en tant que président de la COP 20, du fait des politiques environnementales, du travail et fiscale récemment adoptées et qui favorisent l’investissement privé — en abaissant les normes et les réglementations relatives aux droits collectifs, environnementaux et culturels. Nous dénonçons la répression que subissent les représentants indiens, les dirigeants syndicaux et paysans, les défenseurs de l’environnement, tout comme le harcèlement à l’encontre des délégations qui sont arrivées au Sommet des peuples depuis diverses régions du pays et de l’étranger. Le Sommet des peuples pose le problème de la prise en otage corporatiste de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique. Les grands groupes transnationaux « accompagnent » les gouvernements dans les négociations globales pour décider de mesures dont l’unique finalité est d’exempter de responsabilité les pays industrialisés pour leurs émissions de gaz à effet de serre et de ce qu’ils sont les principaux responsables du changement climatique. Nous exigeons que le paiement par services rendus de la dette externe et interne — qui étouffe les peuples et limite la capacité des États à prendre en charge les besoins de base des populations — soient utilisés pour faire face à la crise environnementale et climatique, car c’est de cela dont dépend la survie de l’humanité et de toutes les espèces vivantes sur la planète.

Le Sommet des peuples salue la mobilisation engagée et enthousiaste des dizaines de milliers de citoyens et citoyennes du monde entier qui ont participé à la Grande Marche globale pour la défense de la Terre Mère (10 décembre) à Lima et dans d’autres villes de la planète. Cette grande concentration d’organisations, de mouvements et de délégations du Pérou et de très nombreux pays est l’expression la plus évidente de la prise de position peuples en faveur d’un monde juste et démocratique, qui garantisse l’harmonie entre l’existence humaine et les droits de la Nature et de la Terre Mère.

Nous continuerons à renforcer l’articulation de nos luttes, de manière active et permanente, lors des multiples mobilisations de 2015, avec un moment particulier de militantisme à Paris, en France, où se tiendra la COP 21. Déjà nous, mouvements sociaux du monde, nous préparons pour continuer les luttes à partir de nos territoires pour la défense de la vie, jusqu’à ce que nos exigences soient prises en compte. Nous continuerons la lutte jusqu’à parvenir à changer le système… non le climat !


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3309.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : site du Sommet des peuples face au changement climatique, 11 décembre 2014.

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