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DIAL 3311

BRÉSIL - Lettre aux amies et amis

Xavier Plassat

vendredi 23 janvier 2015, mis en ligne par Dial

Comme à son habitude, le dominicain Xavier Plassat  [1], membre de la Commission pastorale de la terre (CPT) au Brésil nous a fait parvenir à l’occasion de la fin d’année quelques nouvelles des combats actuels de la CPT.


Chères amies, chers amis,

à la veille de Noël, je viens, au nom de toute notre équipe de la CPT du Tocantins, vous adresser un petit clin d’œil depuis le Brésil et vous remercier une fois de plus pour la générosité démontrée année après année par chacune et chacun d’entre vous.

Le travail de notre équipe s’articule autour de deux programmes principaux : l’un concerne le droit à la terre, l’autre la lutte contre l’esclavage moderne.

En ce qui concerne les actions du Programme « Droit à la terre », dont une bonne part est financée grâce aux apports solidaires en provenance du réseau de nos amis d’Europe, nous avons réussi à boucler notre budget 2014 et même à dégager un excédent que nous voulons destiner au financement de la participation de 47 représentants du Tocantins (agents de pastorale et paysans) au 4e Congrès national de la CPT qui sera réalisé en juillet 2015, dans l’État de Rondônia, situé à l’autre bout de l’Amazonie (une distance de près de 3000 km... que nous parcourrons en autobus !). Pour 2015, nous prévoyons une légère croissance : outre le complément de dépense pour le Congrès, nous intégrerons un nouvel éducateur/journaliste (mi-temps) et notre équipe passera ainsi à 7 membres.

Dans ce programme « Droit à la terre », nous accompagnons des groupes et communautés de familles paysannes qui affrontent des situations difficiles soit parce que leurs terres sont l’objet de fortes (et parfois violentes) pressions de la part de fermiers intéressés à y étendre leurs monocultures (soja, eucalyptus) soit par suite de l’implantation de grands projets d’infrastructures qui les chasse de leurs terres (voie ferrée nord-sud, barrage hydroélectrique). Forcés de quitter leurs territoires traditionnels, ils se retrouvent dans une situation de précarité qui les rend vulnérables à la migration de risque, à la surexploitation de leur travail, voire même au travail esclave. Nos actions auprès de ces groupes sont de visite, discussion, organisation, formation ; elles visent à renforcer leur capacité de résistance et d’initiative et à faciliter leur intervention directe auprès des autorités publiques ou de la justice, pour faire valoir leurs droits, ou encore à consolider leur rapport de forces dans ce difficile contexte.

Nous avons une croissante collaboration du ministère public fédéral et des nouvelles instances publiques de défense des droits du citoyen récemment mises en place dans notre État (Défenseur public agraire ; Commissaire spécial de police pour les questions agraires).

En dépit de nouvelles menaces de la part des pseudo-propriétaires rendus furieux à la perspective de voir contestés ou annulés les titres frauduleux dont ils se prévalent, nous enregistrons un réel progrès dans l’organisation des groupes de paysans qui revendiquent leurs droits, spécialement dans la région de Palmeirante, Goiatins et Campos-Lindos, de sorte que doit pouvoir se concrétiser sous peu leur installation légale sur les terres qu’ils revendiquent : des terres qui sont du domaine public, mais qui ont jusqu’ici été l’objet de litiges incessants entre familles sans-terre et fermiers intéressés par la production de soja et d’eucalyptus.

La pression sur les terres de notre région est toujours très vive et les menaces sont constantes contre les populations traditionnelles, car leurs titres d’occupation sont rarement légalisés. Dernièrement un groupe de « pistoleiros » s’en est pris à des paysans voisins d’une des communautés que nous accompagnons. À un certain moment un des tueurs à gages a forcé l’un des paysans, qu’il tenait en joue avec son revolver, à creuser sa propre tombe, le menaçant d’être abattu sur le champ si tous ne déguerpissaient pas immédiatement. Il s’en est fallu de peu (annonce de l’arrivée imminente de la police) pour que la menace ne s’exécute.

Sur le front de la lutte contre le travail esclave, la tendance à la réduction des cas identifiés en Amazonie s’est confirmée en 2014. Néanmoins notre État du Tocantins se signale par une certaine recrudescence qui nous place en 2014 au premier rang national avec 24 cas détectés et 188 personnes officiellement libérées.

Beaucoup de ceux qui sont aujourd’hui libérés de situations analogues à celle d’esclave sur des chantiers de construction (plusieurs d’entre eux dans le cadre des ouvrages liés à la Coupe du monde...), dans d’autres régions du pays, sont des travailleurs migrants venus du nord ou du nord-est.

Notre Campagne « Ouvre l’œil, pour que personne ne fasse de toi son esclave ! », lancée en 1997, continue à étendre son action de prévention et atteint maintenant 10 États du Brésil, en Amazonie ainsi que dans le nord-est et le centre-ouest du pays.

L’attention aux situations d’esclavage moderne s’est faite plus aiguë cette année grâce à la campagne de carême proposée par la conférence des évêques de l’Église du Brésil, sur le thème « Fraternité et traite des personnes » [2], qui nous a donné occasion de multiplier les activités éducatives dans de nombreuses communautés, paroisses et écoles. Nous nous sentons vivement encouragés dans ce combat par la ferme prise de position du pape François contre l’esclavage moderne. C’est sur cette question qu’il a choisi de centrer son message de paix du 1er janvier 2015 : « Non plus esclaves, mais tous frères et sœurs ! »

Dans la catégorie « Éradication du travail esclave », le Prix national des droits humains 2014 décerné par la Présidence de la République du Brésil vient d’être attribué à une association de 40 familles paysannes du Piauí qui, avec l’aide de la CPT et moyennant une lutte exemplaire de plus de 5 années, ont pu obtenir leur installation définitive sur une terre acquise par le programme national de réforme agraire, mettant fin ainsi à la cause structurelle qui les obligeait chaque année à rechercher dans la migration temporaire une alternative (pleine de risques) à leur précaire situation. Il s’agit de l’association « Nouvelle Conquête » (Nova Conquista), de la commune de Monsenhor Gil [3].

Nous avons cette année initié une action de mobilisation via internet, en collaboration avec les ONG Reporter Brasil et Walk Free : nous avons déjà réalisé, rien que sur le Brésil, 4 campagnes de signatures et atteint près de 50000 adhésions : l’une pour exiger des lobbies « ruralistes » (en faveur des intérêts de l’agrobusiness) qu’ils renoncent à modifier la loi qui définit avec rigueur ce qu’est l’esclavage moderne ; une autre pour dénoncer 6 grandes entreprises de construction prises sur le fait ; une autre pour exiger du gouvernement qu’il finalise la démarcation des territoires des peuples indiens du Brésil, continuellement envahis par l’avancée des monocultures ; et la dernière pour exiger du Parlement la ratification de la convention de l’ONU qui protège les migrants et leurs familles (voir http://campaigns.walkfree.org/categories).

Nous espérons que ces avancées significatives nous aideront à résister en 2015 aux sombres et menaçants nuages contraires aux causes de la lutte contre le travail esclave au Brésil et des droits des populations rurales traditionnelles (indiens, posseiros [4]) : les adversaires de ces causes viennent de gagner de nouvelles forces lors des dernières élections. Ils prétendent remettre en question, en particulier sur le plan légal, les principales conquêtes qui conditionnent la continuité de nos luttes pour défendre et affirmer les droits des plus vulnérables.

C’est l’espérance que nous portons avec vous en cette veille de Noël : qu’ici au Brésil comme là-bas en Europe et partout sur cette planète, nous puissions élargir nos frontières aux horizons du monde entier, ouvrir nos yeux et nos cœurs et nos bras et faire une place de choix à ceux et celles — migrants, demandeurs d’asile, populations traditionnelles, chercheurs de pain et de fraternité — que notre « système » continue à exploiter jusqu’à la corde et à rejeter dans les marges de l’insignifiance, de l’oubli, sinon de l’extermination.

Un grand-merci pour votre attention et active solidarité !
Un joyeux Noël et une nouvelle année pleine de renouvellements !

E meu abraço a cada um/a !

Araguaína, 23 décembre 2014 .

Xavier et l’équipe de la CPT Araguaia-Tocantins

PS 1. J’aurais encore bien d’autres choses à vous conter... En particulier à propos de la célébration, en cette année 2014, des 50 ans du coup d’État au Brésil et des 40 ans de la mort tragique de mon ami et frère dominicain Tito de Alencar. Plusieurs livres ont été publiés [5] ou republiés (comme celui que j’avais écrit en France en 1974 : Alors les pierres crieront, cette fois en version brésilienne). Le Brésil se préoccupe enfin de faire la lumière sur cette triste période de 20 ans de dictature civile/militaire et apprend à réinstruire sa mémoire. Nous aussi.

PS 2. Et un grand-merci pour votre fidèle solidarité envers les actions de notre CPT. Vous pouvez toujours envoyer vos contributions, par chèque à l’ordre de Association CEFAL, en mentionnant au dos : pour Xavier Plassat, CPT Tocantins – Adresse : Pôle Amérique Latine - Service national de la Mission universelle de l’Église, 58 avenue de Breteuil, 75007 Paris. Vous recevrez en retour une attestation pour déduction fiscale. Mon adresse postale est : Xavier Plassat - CP 51 - Araguaína TO -77.807-070 – Brésil – xplassat[AT]gmail.com – skype : xavierplassat. Contact en France pour notre réseau (depuis plus de 25 ans !) : Elisabeth et Michel Croc - elisabeth.croc[AT]wanadoo.fr - 23, boulevard Argelas, 13480 Cabriès - Tél : 04 42 22 29 78.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3311.
 Source (français) : letttre envoyée par l’auteur, 23 décembre 2014.

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