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BRÉSIL - Tribunal suprême fédéral : La condamnation de Lula, un « montage » mensonger, avec l’aide de la CIA

Juraima Almeida

vendredi 29 septembre 2023, mis en ligne par Dial

En 2021, le Tribunal suprême fédéral (STF pour son sigle en portugais) avait annulé les condamnations contre Lula prononcées dans le cadre de l’opération judiciaire Lava Jato, estimant qu’il s’agissait un procès à visée politique. Début septembre 2023, le TSF, par la voix du juge Antonio Dias Toffoli, a détaillé les dessous de cette opération de guerre juridique – « lawfare » en anglais. Article de la chercheuse brésilienne Juraima Almeida publié le 7 septembre 2023 sur le site du Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE, www.estrategia.la).


Le Tribunal suprême fédéral du Brésil est arrivé à la conclusion que le procès qui a condamné et emprisonné Inácio Lula da Silva reposait sur des preuves manipulées et avait été mené par une organisation criminelle, dirigée par l’ex-juge Sergio Moro, responsable de plusieurs délits, bénéficiant même de la collaboration juridique des services de renseignement états-uniens, la CIA.

Le STF a expliqué, dans un arrêt publié ce mercredi, comment l’opération Lava Jato relevait d’une guerre juridique : emploi de moyens juridiques pour mener une guerre politique. Le jugement mentionne « des indices de coopération irrégulière entre Moro et la CIA », révélant qu’il a bénéficié de l’aide états-unienne pour nuire à Lula.

Selon Dias Toffoli [1], en plus de leurs tractations directes avec les autorités des États-Unis et de la Suisse, les juges ont agi sans la collaboration requise des ministres des affaires étrangères, de la justice et de la sécurité publique, ce qui a entraîné des « conséquences très graves » pour l’État brésilien et pour « des centaines d’accusés et de personnes morales impliquées dans des procédures pénales, des procédures pour improbité administrative, des procédures électoraux et des procédures civiles » au Brésil et à l’étranger. En avril 2018, cinq mois avant les élections, Lula, alors candidat à la présidentielle, a été arrêté sur ordre du juge fédéral de première instance Moro : une mesure « que l’on peut qualifier d’une des plus grandes erreurs judiciaires de l’histoire du pays » selon l’arrêt du Tribunal suprême.

En fait, cette « erreur historique » était « un montage résultant d’un projet de pouvoir de certains agents publics dont l’objectif était la conquête de l’État par des moyens apparemment légaux, mais avec des méthodes et des actions contraires à la loi ». Le jugement, signé par le juge Antonio Dias Toffoli, annule les aveux obtenus dans le cadre de l’accord de collaboration avec l’entreprise Odebrecht et indique que des dispositifs illégaux de « torture psychologique » avaient été utilisés dans le but, entre autres, d’obtenir de fausses preuves contre des innocents.

Le juge Sergio Moro, avec la complicité de l’ancien procureur Deltan Dallagnol, a utilisé des méthodes caractéristiques de la « dictature militaire » pour obtenir des dénonciations faites par divers cadres de l’entreprise de BTP Odebrecht. Il a utilisé ladite opération Lava Jato pour en finir avec Lula et plus largement avec le Parti des travailleurs (PT).

Les alliés politiques de Moro, y compris Jair Bolsonaro alors député, ont proposé de classer le PT comme une « organisation délictuelle » pour la rendre illégale. À cause de cette illégalité, tous ces aveux ont été déclarés nuls, ainsi que les conséquences qui en ont résulté.

Moro a fait pression, y compris sur le STF, pour empêcher Lula de retrouver sa liberté et qu’il ne puisse pas participer à la campagne électorale, face à Bolsonaro, qu’il devançait dans les sondages de 15 à 20 points, à deux mois des élections d’octobre 2018. Lula a subi 580 jours de prison à l’isolement dans un local de la police fédérale, à Curitiba.

En outre, Moro a nourri un discours de nature extrémiste dans lequel il combinait l’anti-gauchisme, et même l’anti-progressisme, et le dénigrement de la politique. Le juge Toffoli a soutenu que l’hostilité et le discours de Moro contre Lula avaient fonctionné comme « le véritable œuf de serpent des attaques (postérieures) à la démocratie et aux institutions », en favorisant la diffusion d’une exaltation de l’extrême-droite sur laquelle le bolsonarisme s’est ensuite appuyé.

Avec cette décision, le STF marque la mort de Lava Jato et donne des arguments à ceux qui réclament la révocation du sénateur Moro, après celle, récemment, de l’ancien procureur Dallagnol.

Moroleaks

Les fuites connues comme « Moroleaks » ont jouées un rôle clé pour que la justice accède à la demande de la défense de Lula d’annuler les preuves obtenues sur la base d’accords de collaboration avec des dirigeants de l’entreprise Odebrecht, obtenues illégalement par l’ancien juge Sergio Moro et les anciens procureurs de l’opération Lava Jato.

La décision du juge suprême Dias Toffoli a été publiée en réponse à une demande de la défense de Lula, qui a fourni l’accès aux dossiers de l’Opération Spoofing, qui enquêtait sur le piratage des téléphones portables de l’ancien juge Moro. Dans sa décision de 135 pages, Toffoli a publié une partie des dialogues piratés impliquant Moro et le procureur Deltan Dallagnol et il a reconnu que ces derniers ont utilisé l’allégation de lutte contre la corruption pour « mettre un dirigeant politique derrière les barreaux, avec partialité et connivence, en falsifiant les preuves ».

Les dialogues ont été obtenus par un hacker qui en a livré une partie à The Intercept, le portail brésilo-états-unien qui a publié les chats sous le titre « Moroleaks ». L’authenticité des dialogues a été confirmé ensuite par les enquêtes du Tribunal suprême.

« En fin de compte, nous aurons un belle journée », déclarait Moro, dans un chat sur l’application Telegram, à Dallagnol, procureur en chef de Lava Jato, qui lui disait qu’il préparait la plainte contre Lula sur le prétendu pot-de-vin consistant en un appartement sur le site balnéaire de Guarujá offert par la société OAS, en rémunération des contrats obtenus par l’entreprise de construction auprès de l’entreprise publique Petrobras.

Dans cette affaire, Lula a été condamné par trois instances, emprisonné pendant 510 jours et rendu inéligible lors des élections de 2018, gagnées par Jair Bolsonaro. Dans d’autres conversations qui ont été interceptées, Moro et les procureurs se mettent d’accord sur les procédures sans en informer la défense des accusés, parlent de divulguer des informations aux médias pour qu’ils interviennent, et se justifient de commettre des actes illégaux du moment qu’ils sont couverts par le « soutien populaire et médiatique ».

Dans les enregistrements, Moro, Dallagnol et d’autres procureurs révèlent des contacts illégaux avec le parquet suisse et le département états-unien de la justice, sans respect des procédures requises. Dans l’un des dialogues, Livia Tinoco, l’une des procureures de Lava Jato, avoue que Moro, la cour d’appel de Porto Alegre et la TV Globo rêvent de voir Lula en prison et qualifie ce moment d’« orgasme multiple ».

Selon le journal Folha de São Paulo, Moro a commencé à s’inquiéter quand la police fédérale a ajouté aux actes d’une enquête quelques documents faisant référence au cas Odebrecht, sans en préserver le secret, ce qui a conduit à la divulgation du matériel par la presse brésilienne. « C’était un énorme coup d’épée dans le dos de la part de la police fédérale. Je vais désormais être exposé », a déclaré Moro à Dallagnol.

En 2021, le Tribunal suprême avait annulé les condamnations contre Lula, estimant que Moro et les procureurs avaient conduite une persécution politique contre le leader de gauche pour l’exclure de la vie politique. L’actuel président brésilien avait été empêché de se présenter aux élections présidentielles de 2018, puisqu’il avait été mis hors course du fait de sa condamnation, annulée par la suite. Après avoir emprisonné Lula, Moro est devenu ministre de la justice de Bolsonaro et il est actuellement sénateur de l’opposition.

Ce 21 août, la justice fédérale a condamné le hacker Walter Delgatti et six autres personnes à 20 ans de prison dans le cadre de l’Opération Spoofing, pour avoir tenté de vendre aux médias des informations obtenues de manière illégale, pour environ 40 000 dollars. C’est le même Delgatti qui a avoué que le président d’extrême-droite Bolsonaro lui avaient demandé de pirater les machines à voter électroniques.

En 2019, la publication d’une série de conversations sur le portail The Intercept avait démontré la partialité de Sergio Moro et celle du procureur Deltan Dallagnol. La guerre juridique a été confirmée par la Cour suprême.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3670.
 Traduction de Pedro Picho pour Dial.
 Source (espagnol) : [Estrategia>https://estrategia.la/2023/09/07/la-condena-a-lula-un-montaje-de-mentiras-con-ayuda-de-la-cia], 7 septembre 2023.

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[1Membre du STF nommé par le président Luiz Inácio Lula da Silva en 2009 – note DIAL.

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