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COLOMBIE - Les succès de la Minga

Fernando Dorado

lundi 22 avril 2019, mis en ligne par Françoise Couëdel

Popayán, 8 avril 2019.

Après 26 jours de manifestations les communautés des Indiens, des paysans et des afro-descendants du Cauca et des réserves de Hula, Valle del Cauca, Caldas et Risaralda (Colombie), ont signé un accord avec le gouvernement pour dégager la route panaméricaine, seule voie de commerce international avec le sud du continent.

Rien n’arrêtera la Minga [1]

Le moment délicat sera le débat politique avec le président Duque que les communautés réclament depuis le début des manifestations. Il pourrait avoir lieu le 9 avril. Ce doit être l’occasion pour faire connaître à l’opinion publique les revendications des peuples indiens et des paysans sur le thème de la paix, de l’environnement, et du modèle de développement.

Bien que ce dénouement important est encore attendu on peut, dès à présent, faire un bilan de cette geste populaire. Les dirigeants de la Minga ont dit que la lutte ne s’arrêtera pas, qu’elle continuera, « grâce à la circulation de la parole », en favorisant des rencontres et des actions pour renforcer les luttes sociales qui, pendant si longtemps, ont été réprimées en raison du conflit armé.

Il est bon de préciser la nature du bilan. Certains évaluent les succès de la lutte sur la base de résultats tangibles, en particulier les ressources obtenues pour l’investissement social. C’est la vision du gouvernement et de ces secteurs qui évaluent tout en termes d’argent. Il y a aussi ceux qui évaluent les succès en hectares de terres, selon l’engagement donné de les remettre aux communautés ; bien que ce soit un thème important, il est secondaire au regard d’une véritable politique de démocratisation de la propriété de la terre.

En ce sens on pourrait dire que le bilan est satisfaisant, bien qu’insuffisant. La majorité de ces ressources ont été assignées mais ne sont pas effectives. Le défi consiste maintenant à empêcher qu’elles soient différées par des démarches bureaucratiques qui auraient pour but d’empêcher que les ressources parviennent aux communautés.

La clé réside dans l’équilibre politique

La réaction de l’ex-président Uribe, par l’intermédiaire de twitter, révélant son désaccord avec la signature des accords et la disponibilité du président Duque à la rencontre et au dialogue avec la Minga, laisse entendre qui en est sorti vaincu. Uribe a osé préconiser des massacres comme exercice de l’autorité face à des « manifestations terroristes » [2].

Que Duque se soit éloigné des positions de l’ex président Uribe, qui l’ont conduit à s’engager dans une guerre possible avec le Venezuela, pourrait être considéré comme un grand succès de la Minga. Cette avancée doit être confortée par l’ensemble des mouvements sociaux – sans relâcher la pression – et il reste à faire entendre au gouvernement et à la société colombienne que la manifestation est un outil démocratique, que personne n’a intérêt à déstabiliser le pays et que nous devons continuer à avancer sur le chemin de la paix.

Ceux qui ont accusé les dirigeants d’autoriser l’infiltration de terroristes au sein de La Minga ont été démentis. Ceux qui ont voulu remettre en question la légitimité de La Minga, en accusant le Conseil régional indien du Cauca (CRIC) de présenter des demandes démesurées, ont été débusqués. Ceux qui ont prétendu ignorer les manquements répétés de l’État ont été démasqués. La légitimité de la Minga a été reconnue et de nouvelles « mingas » naissent de toutes parts.

Un autre grande réussite, peut-être la principale, selon celui qui écrit ces lignes, revêt un caractère social et traduit une capacité d’organisation. Pour la première fois les communautés d’indiens, de paysans et d’afro-descendants du Nord du Cauca réalisent une action de ce type de manière unie et organisée. Renforcer cette union en pensant à construire des processus autonomes de développement dans le domaine politique, économique et culturel, sera l’étape suivante pour avancer sur de nouvelles voies qui devront dépasser les expériences qui ont échoué en Amérique latine.

La Minga est apparue comme une expérience autonome émanant des communautés. Elle a bénéficié de l’appui et de la solidarité des organisations et des dirigeants politiques, mais a refusé de se laisser instrumentaliser par la dynamique électorale. C’est magnifique et très encourageant. Le mouvement social doit rester autonome et ne pas déléguer ses forces à des partis ou des représentants politiques qui, ensuite, – et cela ils n’en veulent pas –, dans l’exercice du gouvernement affaiblissent et défont la force populaire, comme cela s’est produit au Brésil, au Venezuela, en Équateur ou en Bolivie.

Certains diront que l’exercice de la Minga a affaibli la dynamique du mouvement dit « grève nationale », programmé pour le 25 avril. Mais il serait bon de noter que, s’ils avaient une volonté réelle d’obtenir un fort retentissement, les organisateurs auraient rejoint la Minga avec énergie et détermination. Nous, nous disons, comme tout un chacun, « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».


Fernando Dorado est journaliste (ferdorado chez gmail.com. Blog de l’auteur : https://aranandoelcieloyarandolatierra.blogspot.com/.

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://aranandoelcieloyarandolatierra.blogspot.com/2019/04/los-logros-de-la-minga.html.

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[1La Minga signifie « travail collectif » dans les communautés quechua. En Colombie, la Minga réalise un travail social d’organisation, de dénonciation et de réflexion sur les problématiques des communautés indiennes, paysannes et afro-colombiennes – NdT.

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