Accueil > Français > Amérique latine et Caraïbes > ARGENTINE - Milei ouvre la voie à l’expulsion des communautés originelles

De la tronçonneuse au bulldozer

ARGENTINE - Milei ouvre la voie à l’expulsion des communautés originelles

Página 12

mercredi 18 décembre 2024, mis en ligne par Françoise Couëdel

11 de décembre de 2024 - Par le biais d’un décret, le gouvernement a supprimé la protection légale sur laquelle s’appuyaient les peuples indiens pour freiner les expulsions de leurs territoires. La résolution remet en cause l’article 75 de la Constitution qui reconnaît « la préexistence ethnique » des peuples originels et garantit la possession et la propriété communautaire des terres qu’ils occupent traditionnellement ».

Bafouant une fois de plus leurs droits acquis et soumettant les minorités les plus vulnérables, le gouvernement de Javier Milei a annulé la protection légale dont jouissaient les peuples indiens et qui freinait les expulsions de leurs terres ancestrales, en propriétés communautaires.

La mesure a été prise par le décret 1083/2024 publié aujourd’hui au Bulletin officiel. Elle décrète la fin de l’urgence en matière de possession et de propriété des terres traditionnellement occupées par des communautés indiennes, décrété par la Loi 26.160, votée sous le gouvernement de Néstor Kirchner [1]

Par ce même décret présidentiel, signé pratiquement par tout le Cabinet du gouvernement, l’article 2 de cette loi qui suspendait l’exécution de jugements et d’actes administratifs visant à l’expulsion de ces territoires, devient sans effet.

La lutte pour la propriété de la terre

La décision qui met en situation de vulnérabilité les peuples originels de tout le pays qui vivent sur des terres autochtones faisant l’objet d’un conflit juridique, s’applique à partir d’aujourd’hui. Elle permet à l’État d’y déroger en faveur de personnes privées (personnes physiques ou juridiques, nationales ou étrangères) qui possèdent des titres de propriété illégaux car ils ont été délivrés postérieurement à ceux de la propriété ancestrale.

C’est dire que cela fait planer une épée de Damoclès sur des centaines de familles qui revendiquent leurs droits ancestraux sur les terres où ont vécu leurs ancêtres. Nombre de ces territoires ont été divisés en parcelles et vendus illégalement à des particuliers par des entités nationales ou provinciales.

Le décret de Milei concocté par son ministre adepte des privatisations, Federico Sturzenegger, contredit frontalement l’incise 17 de l’article 75 de la Constitution nationale qui reconnaît « la préexistence ethnique » des peuples indiens en Argentine et garantit « la possession et la propriété communautaire des terres qu’ils occupent traditionnellement ».

La loi 21.60 garantissait l’application de ce droit et par des prorogations successives ouvrait un parapluie de protection sur ces propriétés communautaires. Bien que déclarées « inaliénables » par la Constitution elles avaient été vendues ou cédées au mépris du droit de la propriété ancestrale.

Le décret signé par Milei et ses affidés reconnaît l’existence du décret constitutionnel mais malgré tout rejette la prorogation de la loi 21.160 en vigueur jusqu’à novembre 2025. Ils prétendent que sa validité en faveur des communautés « restreint les droits des citoyens et pèse sur les prérogatives de l’État »

Plus encore, ils prétendent perfidement que les prorogations ont permis que s’allonge la liste des communautés indiennes en attente de reconnaissance qui ne remplissaient pas « les conditions minimales » pour y prétendre.

En outre, parallèlement au discours de diabolisation des communautés indiennes on les accuse d’ « usurper » des terres et pour cela « faire usage de la violence ». Plus encore on les soupçonne d’être les auteurs de « dommages environnementaux, surtout d’incendies volontaires répétés ».

Selon le texte du DNU existent 254 cas contentieux de ce type mais il ne donne aucune précision ni document s’y rapportant.

La réponse des communautés

Le Parlement des nations, des peuples et des communautés indiennes de Jujuy a fait savoir qu’ils vont « défendre leur territoire avec ou sans la loi ». « C’est un nouvel acte de génocide, d’ethnocide, d’écocide. Violer et mépriser les droits de la terre mère, du territoire et des nations indiennes, d’une terre sur laquelle nous vivons depuis des temps immémoriaux c’est commettre un crime contre l’humanité », a-t-il déclaré dans un communiqué. Depuis le Sud également la mesure a été rejetée. Le werken, l’autorité traditionnelle indienne du peuple Mapuche de Río Negro, Orlando Carriqueo, a déclaré qu’il s’agit d’une « pratique génocidaire, éloignée de la démocratie, passible d’être considérée comme un crime contre l’humanité ».

La sénatrice de Salta d’Union pour la patrie, Nora Giménez, a rejeté le décret et alerté sur l’impact qu’il aura : « Le plus grave est qu’il nous ramène à la situation de l’année 2006 quand des dizaines de ces communautés étaient menacées d’expulsion juridique, sans que rien ne leur soit proposé ». Elle a ajouté que le gouvernement fait fi du recensement territorial effectué pendant les 18 dernières années, grâce auquel ont été identifiées et mesurées les terres de plus de 900 communautés dans tout le pays, plus de 70% du total existant.

« L’insécurité juridique », selon Milei et Sturzenegger

Les attendus du décret sont plus que provocateurs. Ils ajoutent bizarrement que la validité des droits garantis par cette loi engendre de l’« insécurité juridique » et attente « gravement au droit à la propriété des propriétaires légitimes » qui, évidemment, pour le gouvernement, ne sont pas les peuples indiens.

Celui qui s’est empressé de défendre la suspension des droits des minorités et les propositions de l’État contre les droits ancestraux c’est le ministre Federico Sturzenegger qui, dans un autre de ses prolixes, fantaisistes et ennuyeux messages sur X, a défendu arbitrairement le décret qu’il avait lui-même proposé.

Il a déclaré que la loi 26.160 qui interdit les expulsions « a empêché l’action de la justice » et « a encouragé la multiplication des occupations ». Il reconnaît « la volonté (de Javier Milei) de remettre les choses à leur place » et il soutient hypocritement que le décret publié aujourd’hui « ne lèse ni ne restreint » les droits des communautés.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.pagina12.com.ar/789218-milei-da-via-libre-a-los-desalojos-de-las-comunidades-origin.

Les opinions exprimées dans les articles et les commentaires sont de la seule responsabilité de leurs auteurs ou autrices. Elles ne reflètent pas nécessairement celles des rédactions de Dial ou Alterinfos. Tout commentaire injurieux ou insultant sera supprimé sans préavis. AlterInfos est un média pluriel, avec une sensibilité de gauche. Il cherche à se faire l’écho de projets et de luttes émancipatrices. Les commentaires dont la perspective semble aller dans le sens contraire de cet objectif ne seront pas publiés ici, mais ils trouveront sûrement un autre espace pour le faire sur la toile.


[1La Loi d’urgence n° 26.160 approuvée par le parlement argentin en novembre 2006 interdit d’expulser ou de chasser les peuples indiens de leurs terres ancestrales pendant une période de quatre ans pour permettre l’examen et l’enregistrement des droits de propriété concernant les terres qu’occupent traditionnellement les communautés autochtones du pays – NdlT.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

>> PDF Formato PDF