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BRÉSIL - Comment surmonter la crise de la démocratie libérale
Nicolau Soares
lundi 20 mars 2023, mis en ligne par
11 février 2023 - Le ministre de la Cour suprême fédérale, Ricardo Lewandowski, a participé à un séminaire sur la démocratie et la participation populaire, organisé par le MST, à Guararema. Il a notamment déclaré : « Être démocrate aujourd’hui, c’est défendre la mise en application des droits fondamentaux ».
Pour surmonter la crise de la démocratie, diagnostiquée par les intellectuels et les dirigeants politiques du monde entier, il est nécessaire d’aller au-delà de la démocratie libérale bourgeoise, en promouvant la participation sociale et en garantissant les droits fondamentaux de tous. Telle était la conclusion présentée par le ministre de la Cour suprême fédérale (STF) Ricardo Lewandowski, lors du séminaire Démocratie et participation populaire, organisé par le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST).
L’événement se tenait à l’ École nationale Florestan Fernandes (ENFF), à Guararema (Sao Paulo), il a réuni des collectifs et des associations juridiques, telles que l’Association brésilienne des juristes pour la démocratie (ABJD) et les collectifs Prerogativas et Transforma MP. Etaient présentes des personnalités bien connues du monde juridique, comme Kenarik Boujikian, Manoel Caetano, Carol Proner, Pedro Serrano, Lenio Streck et Antônio Carlos de Almeida Castro, dit Kakay, ainsi que des dirigeants de gauche tels que João Pedro Stedile et João Paulo Rodrigues, du MST, et l’ancien député du PT Renato Simões.
Le ministre a déclaré : « Être démocrate aujourd’hui, c’est défendre la mise en application des droits fondamentaux… Ces droits ont une histoire, ils se sont développés sur plusieurs générations et constituent un véritable patrimoine de l’humanité. Un patrimoine que nous devons défendre bec et ongles, à chaque instant de notre vie. » En outre, Lewandowski a aussi précisé que ces droits ne seront effectifs qu’avec l’expansion de la participation sociale. « Vous savez que la démocratie est en crise, tout le monde dit cela. Mais ce qui, en réalité, est en crise, c’est la démocratie représentative, libérale bourgeoise, la démocratie de parti, dans laquelle, j’en suis sûr, aucun de nous ne se sent suffisamment représenté. Ces crises successives ont une profonde racine, qui est le système politique qui, en fait, ne nous représente pas », a-t-il analysé.
Pour lui, la démocratie représentative avait son rôle historique, « mais c’est un modèle qui s’est essoufflé, ainsi que le modèle des partis traditionnels. L’idée de la démocratie comme « gouvernement par le peuple » reste un idéal à réaliser … Beaucoup parlent de réformes, mais rien de tout cela ne résoudra le problème essentiel de la démocratie. Pour devenir une réalité, la démocratie va bien au-delà de ces discussions autour de la forme, du système de gouvernement, des systèmes électoraux. »
Ce dépassement, soutient le ministre, passe par la mise en œuvre des mécanismes de démocratie directe et participative inscrits dans la Constitution de 1988 elle-même, qu’il considère comme « un saut qualitatif » par rapport à la démocratie. « Si l’on reprend les constitutions précédentes, c’était : “Tout pouvoir émane du peuple et s’exerce en son nom.” Mais celle de 1988 dit : “Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce par l’intermédiaire de représentants élus, ou directement dans formes prévues dans cette Constitution.” Elle a ouvert la voie à la démocratie participative. Ce n’est pas une aspiration métaphysique, c’est quelque chose de concret, c’est dans la Constitution et c’est un droit que nous devons exercer », a-t-il souligné. Il rappelle également l’article 14 de la Constitution, qui stipule que la souveraineté populaire s’exercera par le vote, mais aussi par le plébiscite, le référendum et les lois d’initiative populaire.
« Des questions importantes telles que la réforme des retraites ou la réforme du droit du travail auraient pu être soumises à un référendum, a-t-il déclaré… Il se trouve que, bien que prévus par la Constitution, ces trois instruments ne sont pas exécutoires. Pour faire un bond en avant et concrétiser certains droits fondamentaux, ces instruments doivent être mis en pratique, afin d’obtenir la démocratie participative à laquelle nous aspirons tous. »
Après le séminaire, Lewandowski a planté un jeune arbre, un Ipê Amarelo, sur le terrain de l’ENFF, une tradition que le MST adopte pour honorer les invités. Il a alors déclaré : « J’ai été profondément impressionné, ému de voir de quoi les gens organisés sont capables. Les gens organisés construisent vraiment leur destin, font l’histoire, et l’ENFF en est la preuve, tout comme le MST. »
Nommé par le président Luiz Inácio Lula da Silva au STF en mars 2006, Lewandowski a présidé le tribunal entre 2014 et 2016. En mai, le ministre, atteignant l’âge limite de la retraite, laissera un poste disponible à la Cour.
Un nouveau projet pour le pays
En plus de Lewandowski, la table principale de l’événement était composée de juristes Lénio Streck et Carol Proner et par le leader national du MST João Pedro Stedile.
Ce dernier a notamment déclaré : « Au Brésil, la bourgeoisie a réagi à cette crise par quatre coups d’État, destinés à maintenir ses privilèges : le renversement de Dilma Rousseff, l’arrestation de Lula, le soutien au gouvernement de Michel Temer et, enfin, l’élection du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro. Bolsonaro et sa troupe n’ont aucune force sociale. Mais la bourgeoisie a dû faire appel à ce lumpen pour protéger ses privilèges – et c’est ainsi que ça s’est passé…Cette victoire électorale que nous avons obtenue n’est pas partisane, et n’appartient pas non plus à Lula seul. C’est une victoire des dernières énergies que la société brésilienne a rassemblées pour vaincre l’extrême droite. »
Outre la destruction politique, le bilan de la crise est une aggravation des inégalités, de nouveau, des millions de Brésiliens vivent avec le fantôme de la faim. Pour changer la donne, Stedile évoque des tâches urgentes par lesquelles le mouvement doit soutenir le gouvernement de Lula : lutter contre la faim, le chômage, garantir les ressources pour la santé et l’éducation, « qui ont été gaspillées », et le logement. Et plus largement, construire un nouveau projet pour le pays, « que nous appelons populaire, pour lui donner un caractère de classe ».
Contre ce projet, la principale opposition ne viendra pas du bolsonarisme, selon le dirigeant, mais de la bourgeoisie nationale. « La plus grande opposition au gouvernement Lula viendra de Faria Lima » [1], s’est-il défendu, citant en exemple le clash avec le président de la Banque centrale, Roberto Campos Neto, sur les taux d’intérêt très élevés.
« Lula est issu de la classe ouvrière, et a été élu pour défendre les intérêts de la classe ouvrière. Et l’homme de la Banque centrale a été nommé par l’extrême droite pour défendre les intérêts d’Itaú » [2], a-t-il résumé.
Pour faire face à cette pression du capital, Stedile affirme que la voie à suivre est la mobilisation populaire. En tant qu’instrument, le mouvement mise sur les Comités populaires, pour mobiliser et former un militantisme qui soit « levain dans la masse », aidant à organiser la population.
Traduction française, titre et notes de Pedro Picho.
Source (portugais) :
https://www.brasildefato.com.br/2023/02/11/ser-democrata-hoje-e-defender-efetivacao-dos-direitos-fundamentais-diz-lewandowski.