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COLOMBIE - À la recherche de la « Paix totale » : Le dialogue avec les guérillas

Eduardo Giordano

mardi 18 avril 2023, mis en ligne par Françoise Couëdel

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27 mars 2023 - Après les deux séances de dialogue, analyse concernant les défis et les opportunités des conversations de paix entre le gouvernement du Pacte historique et les guérillas de l’ELN et les dissidences des FARC.

Quelques jours avant de prendre ses fonctions, le premier acte auquel a assisté Gustavo Petro, en tant que président de la Colombie, a été la présentation du Rapport final de la Commission de la vérité, une institution créée suite au processus de paix entériné par les FARC. Le président de la Commission, le prêtre jésuite Francisco de Roux, a fait un bilan des atrocités recensées par la Commission (4 237 massacres, 3 208 exécutions extra-judiciaires, 450 664 homicides commis par des organisations paramilitaires, les guérillas et la force publique, etc…) et l’honorable président de la Colombie s’est engagé à en respecter les recommandations.

Le rapport insistait sur la nécessité de surmonter le passé grâce à la réconciliation entre les colombiens. Petro a accepté sans difficultés ces recommandations, en parfait accord avec sa vision du « pardon social » débattu au cours de la campagne électorale et adopté comme guide pour son gouvernement dans ses projets de construction de la paix. Quelques mois plus tôt, dans un communiqué du 13 avril 2022, il a exposé sa position à ce sujet : « Sans pardon il n’y a pas de réconciliation. Si le pays a vécu des décennies de violence la seule manière de guérir les blessures est un immense pardon global. Le pardon social est un processus historique qui suppose la vérité et une justice réparatrice ».

Le chemin vers la paix n’est en rien aisé. Ses ennemis politiques s’y opposent, les partis de droite, la majeure partie des officiers de l’Armée et la Police, les grandes puissances économiques, aussi bien de l’économie formelle (par exemple le secteur des combustibles fossiles) que ceux qui tirent d’énormes profits du trafic de drogue. La Paix totale ne sera pas négociée sous les mêmes conditions avec les différentes guérillas qu’avec les groupes narco-paramilitaires, dont il exige, en plus de cesser leurs hostilités, de se soumettre à la justice ordinaire. Sans possibilité d’une négociation politique telle que celle qui a lieu avec l’ELN et les autres guérillas, qui s’inspire de l’Accord de paix avec les FARC, cela supposera d’appliquer une forme de justice transitionnelle.

Les négociations de paix avec l’ELN

Les négociations de paix avec l’Armée de libération nationale (ELN), l’organisation guérillera la plus ancienne et à l’enracinement le plus puissant (quelques 3.500 combattants répartis sur tout le territoire rural ) avancent plus lentement que ce à quoi on s’attendait, avec des avancées et des reculs. Après la première rencontre entre les deux délégations, a eu lieu une petite crise entre le Gouvernement et la Table des négociations de l’ELN en raison d’un désaccord sur la procédure, après les déclarations du Président Gustavo Petro, le 31 décembre, qui affirmait qu’un accord de « cessez le feu bilatéral » avait été atteint avec cette force et d’autres forces illégales. L’ELN a répondu « qu’il ne pouvait pas accepter comme accord un décret unilatéral du gouvernement ».

Un premier tour de dialogues a eu lieu à Caracas, entre le 17 et le 21 janvier, et a servi à arrondir les angles entre les parties après un affrontement initial. Le second tour des négociations a eu lieu à Mexico, entre le 13 février et le 10 mars, et a compté sur la participation initiale de 16 membres du gouvernement et 8 de l’ELN auxquels se sont joints ensuite d’autres membres de l’exécutif comme le ministre de la Justice, Néstor Osuna et la vice-présidente Francia Márquez. En dehors des délégations des deux parties, les représentants de six pays garants (le Brésil, Cuba, le Chili, le Mexique, la Norvège et le Venezuela) y quatre autres qui faisaient office d’observateurs (l’Allemagne, l’Espagne, la Suède et la Suisse) ont assisté à ce second tour de dialogue.

Cet important soutien international a été une autre conséquence positive du cycle antérieur de dialogues qui a eu lieu à Caracas. En outre, comme l’a indiqué dans son discours d’ouverture le négociateur en chef du gouvernement, Otty Patiño, « l’Église a apporté grandement son soutien », en tant qu’appui permanent aux négociations, car y ont participé l’archevêque de Popayán, le vice-président de la Conférence épiscopale Omar Sánchez Cubillos et l’archevêque émérite de Cali Darío Monsalve.

Le délégué du gouvernement a précisé qu’il avait décidé de « relier deux grands thèmes ». Le premier, « peut-être le plus important », est la participation de la société aux transformations pour la paix. « Cela implique de mettre au centre de la table, non la table elle-même ni ses participants mais un acteur qui n’est pas visible ici aujourd’hui, et qui doit être le protagoniste et le bénéficiaire de ce processus de paix : les communautés colombiennes qui souffrent aujourd’hui de l’abandon et du conflit armé ». Un autre aspect qu’a voulu signalé le délégué du gouvernement est la méthodologie qui oriente ce processus, selon laquelle « ce qui se décide à la table des négociations s’applique dans les territoires », ce qui oblige à une « certaine modestie dans la négociation car ce qui se décide lors de la négociation sera susceptible d’être amélioré par ce que diront les gens des territoires ».

L’autre thème inscrit à l’agenda des négociations est le « cessez le feu » compris maintenant, sur recommandation express de Petro, « non pas comme une diminution des affrontements armés mais fondamentalement comme un affaiblissement de l’hostilité envers la population civile ». Envisageant la désescalade du conflit, le chef des négociations pour le gouvernement a souligné que l’objectif était de prendre des décisions qui engendrent des« apaisements permanents et non des trêves temporaires ».

L’ELN a présenté à la table du dialogue la proposition d’alléger les rigueurs du système carcéral colombien pour tous les prisonniers, et de solliciter en outre un régime spécial pour ceux appartenant à l’organisation qui ont des problèmes de santé. Dans son discours Pablo Beltrán a revendiqué l’histoire de son organisation avant d’avouer que l’heure des négociations est arrivée. Ses paroles étaient un signe favorable à la politique du nouveau gouvernement colombien : « Heureusement, sont en cours des initiatives latino-américaines, menées par le Mexique et la Colombie, à la recherche d’une politique antidrogues alternative qui cesserait de se baser sur la répression et la guerre ».

En dépit de ce début prometteur, le front oriental de l’ELN a séquestré ces jours-ci un sergent de l’Armée, ce qui a perturbé les négociations et réduit en partie l’espoir d’une avancée dans la concrétisation d’un cessez-le feu. Petro a fermement condamné cette séquestration : « Ce sont des faits comme celui-là qui sabotent toute possibilité de paix ». Par ailleurs, pour contextualiser cette action violente de la guérilla, il faut rappeler qu’à la fin du mois de janvier 9 guérilleros de l’ELN sont morts dans une intervention de la Flotte à Buenaventura. Les conversations se déroulent dans un contexte de conflit encore actif dans les territoires. Le sergent a été libéré les premiers jours de mars.

Plus tôt, vers la mi-janvier, une délégation conjointe du gouvernement et de l’ELN a organisé une caravane humanitaire qui s’est déplacée durant cinq jours sur le fleuve vers Bajo Calima et Medio San Juan pour recueillir les plaintes des communautés les plus touchées par le conflit. L’objectif initial de la rencontre à Mexico a été d’exposer le diagnostic établi par cette caravane humanitaire, à Bajo Calima et Medio San Juan, et d’octroyer les « aides humanitaires » les plus immédiates à cette population touchée par la violence. Aussi bien les délégués du gouvernement que le responsable de la paix de l’ELN, qui ont participé à cet événement, étaient présents à la table du dialogue.

Selon les déclarations des deux parties, les négociations se sont déroulées dans un climat d’apaisement. Une messe a même été célébrée par le prêtre Silverio Suárez, en présence d’un haut gradé de la Police colombienne, observateur de la table de dialogue, ainsi que de quatre militaires. Acceptée sans réticence par la guérilla marxiste, fondée par le prêtre espagnol Manuel Pérez, la messe a été célébrée en hommage à trois groupes de victimes : les 22 cadets de la police assassinés par l’ELN en janvier 2019 (action qui avait suspendu les conversations de paix de la guérilla avec le gouvernement d’Iván Duque ), les 9 guérilleros de l’ELN abattus en janvier de cette année par la Flotte de Buenaventura et plus de 300 signataires de l’Accord de paix avec les FARC qui ont été assassinés depuis lors.

Ces gestes symbolisent la volonté des parties de se réconcilier et d’assumer leurs responsabilités concernant le passé. L’ELN sait qu’il a maintenant une occasion unique, qui se présente pour la première fois de ses 60 ans d’histoire, de négocier la paix sans renier ses objectifs politiques de transformation sociale. Saper les négociations par des actions violentes serait dynamiter aussi le capital politique du gouvernement dans son avancée dans la recherche d’accords. Les dirigeants de l’ELN n’ignorent pas que plus le gouvernement affrontera de difficultés pour avancer dans le processus moins il aura de capacité de manœuvre pour soumettre les groupes paramilitaires contre lesquels il luttent aussi.

Dans sa déclaration de fin d’année sur le cessez-le feu, Petro a inclus outre l’ELN, l’État major central des dissidences des FARC, la Segunda Marquetalia (dissidences), les paramilitaires des Autodéfenses gaitanistes de Colombie (AGC, appelée aussi Clan du Golfe), les Autodéfenses conquérantes de la Sierra Maestra. La précipitation du gouvernement à annoncer ces accords, à la recherche légitime d’un plus grand soutien social aux négociations, a semé la confusion et suscité la méfiance et les critiques. Le Président s’est vu dans l’obligation de préciser qu’il n’y aurait aucune négociation politique avec les paramilitaires et a répété qu’il exigeait qu’ils se soumettent à la justice ordinaire.

Sur ce mouvement et d’autres, un peu précipités, les critiques de divers secteurs se sont focalisées, en exagérant les erreurs supposées du Haut Commissaire à la paix, Danilo Rueda. Néanmoins, personne ne peut accuser l’exécutif de lenteur ou d’inertie, car l’énorme effort déployé en seulement sept mois semble être une preuve suffisante de sa volonté d’agir rapidement. Si la discrétion du Commissaire dans le déroulement de certaines négociations a suscité le rejet des communautés qui se sont senties exclues, d’autres initiatives du gouvernement se sont orientées vers le recueil de l’opinion des victimes de la violence dans les territoires.

Parallèlement aux négociations avec le FLN qui se sont tenues au Mexique, Gustavo Petro a réaffirmé qu’« une partie fondamentale de ce pacte de paix, de ce pacte social, est la redistribution de la terre », faisant allusion au besoin urgent de mettre en œuvre la réforme agraire pour appliquer cet aspect essentiel de son programme politique et de l’Accord de Paix signé avec les FARC en 2016. Il a rappelé qu’une des principales associations de propriétaires terriens a proposé de vendre à l’État colombien cinq millions d’hectares pour qu’ils soient distribués aux paysans et aux ex combattants. Il a pressé leurs dirigeants à concrétiser rapidement cette proposition.

Le second cycle de dialogues s’est conclu le 10 mars dans la ville de Mexico, avec la présence de la vice-présidente Francia Márquez et par la signature d’un accord entre les délégations du Gouvernement et l’ELN, qui fixe un agenda détaillé de six points qui orientera les dialogues. Le prochain cycle aura lieu à Cuba, un autre pays garant des accords. Tels sont les thèmes convenus des débats :
 1. Participation de la société à la construction de la Paix
 2. Démocratie pour la Paix
 3. Transformations pour la Paix
 4. Victimes
 5. Fin du conflit armé
 6. Plan général d’exécution des accords

Le chapitre 2.2 propose d’« Examiner, dans une perspective démocratique, le modèle économique, le régime politique et les doctrines qui font obstacle à l’unité et à la réconciliation nationale ».

Le débat sur le modèle économique avait été absent des processus de paix antérieurs, mais il est envisageable maintenant compte tenu de la singularité idéologique du gouvernement actuel qui tend à en faire bénéficier les majorités populaires. Ce point est complété par le chapitre 3.2 qui fixe un débat sur les « politiques publiques tendant à trouver des solutions à la pauvreté, à l’exclusion sociale, à la corruption, à la dégradation environnementale et à la recherche de l’équité »

Le point 5 comprend, entre autres aspects : « (5.2) la détermination de conditions et de garanties pour la sécurité et l’exercice de la politique de l’ELN », « (5.3) l’éradication de toute forme de paramilitarisme » et « (5.5) le cessez-le feu et la fin des hostilités de type bilatéral »

À la négociation est intégrée aussi la proposition du président Petro d’obtenir un large accord social qui permette d’abandonner la violence comme manière de résoudre les conflits entre colombiens. La vice-présidente Francia Márquez y a fait allusion dans son discours de clôture et a déclaré, en outre : « Il y a un sujet qui n’a pas été débattu ici, mais qu’il faut mettre sur la table, et c’est le thème du narcotrafic. Nous ne pouvons pas garantir la paix sans résoudre le problème du narcotrafic et de l’échec de la politique antidrogue ».

Les négociations avec les dissidences des FARC

Il existe plus de 20 groupes de guérilleros connus, comme dissidences des FARC, présents dans de nombreux département de Colombie, alliés pour certains, et ennemis féroces pour d’autres, dans leur lutte pour le contrôle du territoire et des affaires illicites. Les deux principales organisations dissidentes ont fait savoir très vite au gouvernement de Petro leurs intentions de participer à de nouveaux dialogues pour négocier la paix.

Les premiers jours de février 2023, a été signé un protocole de cessez-le-feu entre l’État major central des FARC-EP, selon sa propre dénomination, une des dissidences principales, qui compte 2.300 hommes en armes dans la zone orientale du pays et qui contrôle, en outre, sept fronts dans les départements occidentaux (Cauca, Valle del Cauca y Nariño). C’est la plus importante faction de la guérilla qui a refusé de signer l’Accord de paix de 2016, dirigée actuellement par Iván Mordisco, et qui a pour alliés d’autres groupes dissidents. Le 9 mars dernier le président Gustavo Petro a demandé au Tribunal général de suspendre les ordres de capture de 19 dirigeants de cette organisation. Il a justifié sa demande par le besoin de « faciliter les dialogues du processus de paix que défend ce gouvernement ».

Outre ce groupe d’insurgés, un autre grand foyer des dissidences des FARC est la Segunda Marquetalia qui opère dans la région frontalière avec le Venezuela et qui, à la différence de la précédente a participé à la signature de l’Accord de paix de 2016 puis s’est ensuite rétractée. La cause principale de sa rétractation a été, sous le gouvernement d’Iván Duque, l’opération d’embuscade contre son dirigent, Jesús Santrich, principal négociateur et signataire de l’Accord de La Havane, faussement accusé de trafic de cocaïne. Selon les révélations de la Commission de la vérité dans un rapport intitulé précisément « Le Cas embuscade », sa capture a été une manœuvre orchestrée par la DEA et le Tribunal qui a fait échouer le processus de paix.

Alfonso Prada, ministre de l’Intérieur et porte-parole du Président Petro, a déclaré en février que le gouvernement étudiait les mécanismes qui permettraient de « surmonter cette impasse juridique ». De son côté, Rodrigo Londoño, alias Timochenko, le dernier chef des FARC-EP qui a négocié l’Accord de Paix avec Juan Manuel Santos et représentant actuel au Congrès du parti Comunes, s’est également déclaré partisan de « donner un traitement politique à la Segunda Marquetalia et aux autres organisations armées composées d’ex membres des FARC-EP dissoutes », malgré son affrontement historique avec ces groupes dissidents.

Le 13 mars, le Procureur général a suspendu les ordres de capture des 19 membres de l’État major des dissidences des FARC car « le président Petro a concédé un rôle politique aux dissidents dans le but de faire avancer les dialogues ». Le gouvernement a annoncé le même jour le début d’un second processus de paix, simultané avec celui qu’il poursuit avec l’ELN et la création d’une table de dialogue avec les délégués des dissidences. Petro a affirmé alors qu’avec cette étape « pratiquement la moitié des personnes actuellement en armes entrent en négociation avec le gouvernement ».

Reste à voir ce qui se passera avec l’autre moitié, des individus armés qui constituent des bandes paramilitaires et qui vivent de l’extorsion et du narcotrafic, qui n’auront pas le choix de négocier et devront être jugés selon la Loi de la soumission déjà votée au Congrès.


Eduardo Giordano est un journaliste argentin résident à Barcelone. Il a été directeur de la revue Voces y Cultura entre 1990 et 2003. Il publie des articles sur la géopolitique, la politique internationale, les médias et les conflits. Son dernier livre est intitulé Violence politique en Colombie après l’accord de paix (Icaria, 2022).

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alai.info/las-conversaciones-de-paz-con-las-guerrillas/.

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