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ARGENTINE - Malouines : pour le gouvernement argentin la souveraineté n’est pas une priorité
Rubén Armendáriz
mercredi 10 avril 2024, mis en ligne par
4 avril 2024.
Alors que le président Javier Milei ne cachait pas son admiration pour Margaret Thatcher, une des grandes leaders de l’humanité, la vice-présidente Victoria Villaruel, « référence dans la famille des militaires », représentante d’une tradition de droite nationaliste qui redoute le globalisme des libertariens, faisait un récit de la guerre des Malouines, tel une geste, indépendante du contexte de terrorisme d’État sous lequel elle a eu lieu.
Milei est revenu sur la révision négationniste du terrorisme d’État. Sans mentionner le contexte d’une dictature génocidaire, sans faire allusion à la décision d’envahir les Malouines prise par une junte militaire, désavouée, il a repris la consigne de la « réconciliation avec les forces armées » et a fait l’apologie de ce délit en revendiquant l’exploit des forces armées et en critiquant les organisations des droits humains.
Le 10 décembre dernier, Milei est devenu ainsi le premier président depuis 1983, qui, dans son discours d’intronisation, a omis de revendiquer la souveraineté sur les Malouines. Le 2 avril, date du 42e anniversaire du début de la Guerre des Malouines, il a organisé une mise en scène, entouré d’hommes en uniformes, au cours de laquelle il a dit : « notre revendication inébranlable des îles », sans même mentionner la Grande-Bretagne.
Dans ce cadre-là, en parfait négationniste qu’il est, il a appelé à la « réconciliation » sans plus de détails.
Milei est le seul de tous les hommes politiques de l’histoire à rester fidèle à Thatcher, la Dame de fer britannique, qui ordonna la destruction du croiseur argentin ARA General Belgrano, occasionnant la mort de 323 argentins, par le torpillage du sous-marin nucléaire britannique HMS Conqueror, alors même que le navire n’était pas dans la zone de conflit.
L’an dernier il avait déjà déclaré : « Sur le plan historique, je m’identifie pleinement à Churchill, à Reagan, à Margaret Thatcher ». C’est peut-être pour cela qu’il a oublié, sans doute, de critiquer le Royaume-Uni pour son appropriation des Malouines et les crimes de guerre perpétrés par l’armée de l’envahisseur. Il a souligné que cette revendication ne peut avoir lieu que si dans une économie « il n’y a pas de déficit ». Serait-ce là sa définition de la souveraineté ?
La chancelière Diana Mondino et la Ministre de la sécurité, Patricia Bullrich ont également minimisé la revendication des Malouines et demandé même de les « rendre » en échange d’une poignée de vaccins Pfizer au moment de la pandémie de Covid, et/ou ont parlé de l’autodétermination des kelpers, les Britanniques qui habitent les îles.
Bullrich a affirmé qu’elle serait capable de rendre les Malouines à la condition que la firme étatsunienne Pfizer débarque en Argentine. De son côté, le ministre de l’Économie Luis Caputo a prétendu rendre un hommage aux soldats des Malouines… sur le mode d’une série nord américaine.
Avant de l’assumer la banquière Mondino a avalisé en diverses occasions « l’autodétermination » des habitants des Malouines, dans la même ligne que la position historique britannique. Dans un entretien accordé au quotidien britannique The Telegraph, Mondino a déclaré qu’« on ne peut imposer aucune décision à d’autres personnes, ni aux Argentins ni à personne. On ne peut plus imposer de décisions, il faut en finir ».
Dans un entretien à un journaliste sur les actions de la Chancellerie avant le voyage de David Cameron – ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni – aux Malouines, la chancelière a déclaré que « il n’y avait pas le choix » car « il ne passe pas par le territoire argentin pour s’y rendre », sans préciser que, justement, le chancelier britannique a atterri sur le sol argentin.
Alicia Castro, ex ambassadrice d’Argentine au Royaume uni, a souligné le cynisme de Milei et de Villarruel quand ils parlent de souveraineté. « Ils encouragent un régime néocolonial inféodé aux intérêts géopolitiques et économiques des États-Unis et d’Israël. Milei admirateur de Margaret Thatcher, favorise les intérêts de l’usurpateur britannique su notre Atlantique sud », a t-elle ajouté. Milei avait twitté : « Nous sommes le premier gouvernement qui a une orientation claire car c’est un pays souverain ».
Revendication d’un génocide
« Milei s’identifie à ceux qui depuis 1833 usurpent illégalement une partie du territoire argentin et il idolâtre Margaret Thatcher, responsable de la mort de 634 soldats », a déclaré le Centre des ex combattants îles Malouines de la Plata.
Il a rendu un simulacre d’hommage aux morts des Malouines en honorant le génocidaire Julio Roca [1] qui a livré le pays à l’impérialisme anglais et a massacré les peuples originels et il a appelé à la « réconciliation » avec les forces armées qui les ont torturés. « Jamais plus, Milei » lui a rétorqué l’avocate María del Carmen Verdú, de la Coordination contre la répression policière institutionnelle.
De son côté, le Centre d’Etudes Légales et Sociales (CELS) a déclaré que les alliances et le discours officiel soutiennent le négationnisme révisionniste du terrorisme d’État et ajouté « alors qu’un secteur de l’Exécutif adule le colonialisme, un autre nomme à des postes clés de l’administration publique toute une bande de vétérans de la guerre ».
« Les Malouines sont une fracture ouverte pour un gouvernement constitué de différentes droites, avec des contradictions évidentes entre le versant néolibéral, sympathisant avec l’étranger et la ligne nationaliste », résume le CELS. Les Malouines jouent le rôle de vecteur de revendication du rôle des militaires sous la dictature, dans une opération qui prétend détacher le conflit belliqueux du contexte de terrorisme d’État, et même honorer les bourreaux condamnés tels des héros de la guerre contre les Anglais »
« Milei a profité du 2 avril pour justifier la mise au point et proposer la réconciliation avec les Forces armées responsables du génocide. Date bien mal choisie. Les soldats aussi ont été torturés aux Malouines par ces mêmes génocidaires. Jugement et châtiment », a déclaré la députée Myriam Bergman, du Front de gauche et des Travailleurs (FIT).
Lila Lemoine, ex-maquilleuse de Milei et maintenant députée, a revendiqué aussi la souveraineté argentine sur les îles de l’Atlantique sud. Mais, à l’instar de son supérieur politique elle a conseillé de « distinguer » la revendication des Malouines de la politique de Thatcher qui a « sauvé » l’Angleterre du socialisme.
Les expressions qui minimisent les Malouines ne sont pas le seul fait de La liberté avance, le parti d’ultra droite de Milei. Mauricio Macri quand il était président, en 1997, remettait en question cette revendication : « Je n’ai jamais compris cette revendication de la part d’un pays aussi grand que le nôtre. Nous n’avons pas de problème d’espace comme l’ont les Israéliens ». Et il a ajouté : « les îles représenteraient pour l’Argentine un déficit supplémentaire ».
Rubén Armendáriz est un journaliste argentin, collaborateur du Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/04/03/malvinas-para-el-gobierno-argentino-la-soberania-no-es-negocio/.
[1] Alejo Julio Argentino Roca. Président de la Nation à deux reprises, du 12 octobre 1880 au 12 octobre 1886 et du 12 octobre 1898 au 12 octobre 1904. À la tête d’une armée bien équipée et bien entraînée, Roca arracha la Patagonie aux autochtones de l’ethnie mapuche. On estime à plus de 20 000 le nombre des victimes non combattantes (femmes, enfants, vieillards, hommes certes en âge de combattre mais absolument pas équipés) – NdlT.