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Lettre du CEFAL n° 70 - septembre 2007

AMÉRIQUE LATINE - Témoignage d’un "Fidei donum" (1947-2007)

Père Joseph Servat

dimanche 30 septembre 2007, mis en ligne par CEFAL

29 juin 2007.

« Allez donc, de toutes les nations faites des
disciples…Je suis avec vous jusqu’à la fin
des temps
 » (Mt 28, 19-20).

Les onze disciples se rendirent en Galilée, terre habitée
par des pauvres, donc terre de travail et de
luttes pour la vie. C’est là que, d’une manière particulière,
nous avons été envoyés après notre ordination
en 1947. C’était après les années de guerre, années
de dures restrictions, de maladie, d’expériences
qui m’avaient conduit aux chantiers de jeunesse, puis
à la vie commune avec des républicains espagnols
dans une mine pyrénéenne à 2 000 mètres au Puymorens.
Alors que, légalement, il aurait fallu être en
Allemagne, je suis revenu dans mon pays d’origine,
en attendant que le séminaire veuille nous accepter.
Tout ce temps n’avait pas été perdu. Il m’avait mis en
contact avec les jeunes de l’Action catholique, surtout
rurale (JAC et MFR) dans ma famille et dans la région
de Saint-Girons. Toutes ces aventures ont changé
ma vision sur Jésus Christ et son Église. Saisi par l’Esprit,
j’étais décidé à me donner pleinement à lui, mais
exclusivement dans les milieux populaires, refusant
toute autre perspective. L’idée de la mission m’a toujours
poursuivi. J’envisageais de partir en Asie ou en
Chine, mais en ce temps-là, l’évêque refusait tout
départ. Sept ans d’aumônerie diocésaine du monde
rural m’ont permis de coopérer avec des laïcs et des
prêtres de valeur dans mon diocèse et dans la région
du Midi. Certains sont devenus d’excellents évêques.

« Égalité des baptisés. Fonction d’humble service des ministères ordonnés »

Une autre Galilée

Après l’appel de Jean XXIII pour l’Amérique latine, et
l’arrivée de Mgr Rigaud à Pamiers, les perspectives
d’une autre Galilée se sont ouvertes pour moi. L’évêque
me demanda au moins deux ans pour me remplacer
dans l’Action catholique. C’était l’heureux temps du
concile Vatican II. Une Église nouvelle semblait s’annoncer.
On m’a tout d’abord demandé de me préparer
pour aller en Argentine et je me suis mis à compléter
mon espagnol en allant passer quelque temps
en Espagne. Mais au retour, on me fit savoir qu’on destinait
tous les volontaires au Nordeste du Brésil, dont
la langue est le portugais. Par mon évêque et par
l’équipe nationale du MFR, je profitais du Concile à
Rome pour me mettre en relation avec Dom Helder
Camara. J’en reviendrai avec un contrat « pour que
naisse dans l’immense Nordeste une Action catholique
authentique et adaptée dans un monde rural qui
bouillonnait et que venait de mâter un terrible coup
d’État militaire ». C’était en 1964, et le commencement
du ministère de Dom Helder à Recife. Je n’aurais
plus qu’à ouvrir mes yeux et mes oreilles pour suivre
l’Esprit Saint dans un monde nouveau. Là,
commence vraiment la grande aventure de ma vie.

L’Évangile, lumière et force

Comment, dans ce monde de pauvres, surtout dans
les plantations de canne à sucre, être disciple et faire
surgir de vrais disciples du Seigneur ? Comment avec
eux et par eux découvrir une réalité dont je n’avais aucune
idée et qui, tous les jours, allait me surprendre ?
Comment aimer, comme des frères et des sœurs, ces
hommes et ces femmes, les entraîner à « lever la tête »
et à découvrir leur mission dans un monde trop souvent
hostile ? Comment leur donner le vrai sens de
l’Évangile lumière et force, pour les aider à se transformer
dans leur dure existence ? La Bible allait devenir
notre livre de référence. Dès les premiers temps,
j’ai perçu leurs espérances mais aussi le danger qu’ils
attendent tout de moi. Il fallait tout faire pour qu’ils
se prennent en charge et découvrent qu’eux-mêmes
devaient changer le monde dur, et surtout injuste qui
les entourait. Je savais qu’il faudrait du temps, peut-être
des générations. Eux étaient plus optimistes. Ils découvraient
leur responsabilité mais aussi leurs faiblesses.
Dans ces débuts, libre sans bureaucratie ni
administration, j’étais toujours avec des groupes,
allant à pied ou dans les vieux autobus, d’un endroit
à l’autre. À la suite du Concile et des grandes Assemblées
de l’épiscopat latino-américain, nous inventions
des méthodes de formation, découvrant avec
les pauvres des pédagogies adaptées. Les thèmes de
l’égalité et de la responsabilité des baptisés et de tout
le peuple de Dieu, la fonction d’humble service des
ministères ordonnés, la destination collective et universelle
des biens du monde, l’appel de Dieu à son
peuple opprimé pour une juste libération, étaient nos
thèmes fondamentaux dans une évangélisation qui se
voulait populaire et libératrice. Il faudrait du temps pour
décrire concrètement les efforts de créativité que l’Esprit
Saint nous a inspirés à travers les diverses situations.
Revenant plus tard sur ces événements, j’ai perçu
la présence fraternelle du Seigneur qui, peu à peu,
nous a ouvert les yeux, transformé le cœur et fait renaître
à une réalité nouvelle. Pour moi, la vie, la société,
l’Église changeaient de visage. La Parole de Dieu
devenait réalité concrète.

Un Salut intégral

Une chose m’a toujours préoccupé : comment, avec
ce peuple, garder la conscience d’un Salut intégral,
corps et âme, qu’ensemble avec le Seigneur et la participation
de chacun, nous devions sans douter toujours
mettre en marche ? Jésus Christ est venu pour
« sauver tous les hommes et tout l’homme » nous rappelait
en 1967 l’encyclique de Paul VI, Populorum progressio.
Cette idée centrale ne m’a jamais quitté, dans
ces folles années où le temps est passé si vite, dans un
monde toujours plus nouveau. Me souvenant, aujourd’hui,
des visages de ceux qui se sont le plus affirmés,
je constate que c’était l’Esprit Saint qui m’avait
mis en relation avec des jeunes, des foyers et des séminaristes
qui ont constitué l’ossature de notre action.
En général, accompagnés par l’« Action catholique rurale
 », ils ont tenu leurs responsabilités comme travailleurs
chrétiens, dans le syndicalisme, les mouvements
des sans-terre (MST) ou des sans-toit, le Parti
des travailleurs (PT) de Lula, jusque dans les instances
nationales. L’Église d’aujourd’hui, plus cléricale, a tendance
à les isoler, donnant bien moins d’importance
aux laïcs engagés dans la société, surtout parmi les
pauvres. Divisée devant les appels de la réalité et repliée
sur elle-même, elle a souvent brisé nos élans missionnaires,
marginalisant les mouvements jaillis de
situations qui nous interpellaient. Dans le Nordeste,
comme ailleurs, on demande maintenant aux laïcs de
s’occuper surtout des activités paroissiales, liturgie, catéchèse
et des œuvres de piété comme l’apostolat
de la prière. On a peur des subversions, dites
« marxistes », avec les problèmes de la terre. Comme
en tant de régions, nous avons aussi un peu vécu le
déclin d’une Église que le concile Vatican II avait voulu
au service du monde.

Mgr Stenger avec des Fidei donum devant le portrait de Mgr Proaño

Une Église, peuple de Dieu

Malgré tant de difficultés, de tentations, de découragements,
de faiblesses de notre Église, je crois
comme saint Paul (2 Tm 4,7), avoir gardé la foi en
moi-même, malgré le poids des ans, la foi en une
Église, peuple de Dieu, toujours à reformer, et
surtout, la foi en Dieu Père des plus pauvres. J’ai
essayé de vivre cette foi dans les diverses situations
rencontrées, sûr que le Seigneur n’abandonne pas
ceux qu’il envoie. Ce projet de Dieu pour se réaliser
a eu besoin de mes parents et de ma famille, de
divers éducateurs, de frères et soeurs laïcs, religieux,
prêtres et évêques de Pamiers, de Toulouse et de divers
diocèses brésiliens, d’une multitude d’amis et de
coopérateurs, dont beaucoup ont déjà rejoint la maison
du Père. Comment les remercier ? Ce soir, je
les sais présents dans cette « Communion des saints »
que nous célébrons. Ils m’attendent pour la grande
rencontre. Partout, comme lumière, force et espérance,
le Seigneur veut être avec nous. Des temps un
peu tristes ne peuvent faire oublier son appel toujours
actuel où il nous demande de le suivre ici comme ailleurs : « Allez dans le monde entier, de toutes les
nations faites des disciples… Je suis avec vous,
jusqu’à la fin des temps.
 »

Père Joseph Servat.


Lettre du CEFAL n° 70 - septembre 2007.

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