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Lettre du CEFAL n° 71 - décembre 2007

ÉTATS-UNIS - Témoignage d’un « migrant » latino-américain

Jean-Louis Rattier

lundi 25 février 2008, mis en ligne par CEFAL

Les difficultés économiques poussent de nombreux Latino-américains à émigrer. Ils vont chercher du travail aux États-Unis pour faire vivre leur famille malgré le mur construit par ce pays à la frontière avec le Mexique. Voici un témoignage rendant compte de cette réalité dramatique.

Une fois, en confession, un pénitent m’a dit : « je n’ai pas donné d’eau à quelqu’un qui avait soif ». J’ai répondu que ce n’était pas bien grave. Mais il m’a raconté : « C’était dans le désert en passant la frontière ; après trois jours de marche, l’un d’entre nous s’est évanoui. Personne n’avait d’eau pour le réanimer. Moi il me restait une bouteille, mais je n’ai pas eu le courage de partager, pensant au chemin qui restait à parcourir. Ils l’ont frictionné avec un peu d’alcool et il est reparti. Je me sens coupable, je mesure mon égoïsme ».

Depuis que je suis en contact avec les latino-américains émigrés aux États-Unis, j’écoute divers récits de ce passage de la frontière. J’entends parler du système des passeurs et des embûches de toutes sortes. Il est courant que les latinos qui retournent au pays, pour un temps de vacances, nous demandent une bénédiction, car s’ils sont sans-papiers, ils savent que le chemin sera rude et risqué pour le retour.

J’ai pris note aussi de ces chiffres officiels : en trois ans, quelques 1 224 sans-papiers sont morts en tentant d’entrer sur le territoire nord-américain ; plus de 400 sont morts de soif dans le désert, et 300 se sont noyés en traversant le Rio Grande ; régulièrement d’autres meurent d’étouffement ou de déshydratation, entassés dans les camions des passeurs. Durant la même période, près de 1,5 million de clandestins ont été interceptés et renvoyés chez eux.

Récit d’un migrant guatémaltèque

Au moment de quitter son pays, Rémigio (ou Rémi en français) a 31 ans. Marié à 19 ans, il est père de six enfants. Gardien de troupeau dès son enfance, il est né en pays quiché et parle le quiché. Il a fréquenté l’école de son village de façon irrégulière de 11 à 15 ans. Souvent, il a accompagné son père pour des travaux agricoles ou forestiers chez de grands propriétaires. Éloigné ainsi de sa famille durant plusieurs mois, c’était déjà une forme de migration intérieure. La guerre civile lui enlève tout espoir de rester au pays. Son village s’est trouvé pris dans les zones de combat. Le bétail a été massacré. Certains habitants, tués ou déportés. La déforestation systématique a supprimé une des rares ressources : le ramassage et la vente de bois de chauffage. Rémi a été enrôlé de force, dans des patrouilles de sécurité.

Peu à peu s’est affermi en moi le désir d’entrer au Mexique, puis aux USA. Seul, je n’avais aucune chance ; aussi j’ai pris contact avec des passeurs que l’on appelle ici “polleros” (marchands de poulets) ou “coyotes” (loups ou chiens de prairies). Ces mots indiquent leur mauvaise réputation, car on ne sait jamais jusqu’où leur faire confiance. Certains ont abandonné leurs clients en plein désert, enfermés dans un camion, les laissant ainsi à une mort certaine. D’autres volent l’argent de leurs clients et disparaissent. J’ai fait affaire avec un « coyote » qui demandait 13 000 Quetzals (1 287 €). J’ai fait un emprunt de 10 000 en hypothéquant ma maison et emprunté le reste à un ami du “coyote” qui exigeait 10% d’intérêts mensuels.

La séparation

Je n’ai pas eu le courage de faire de grands adieux aux amis du village. J’ai quitté la maison à dix heures du matin. J’ai dit à mon épouse : Adieu. Elle répondit : Adieu, que tout aille pour le mieux. Puis j’ai embrassé les enfants en retenant mes larmes. Au rendez-vous avec le « coyote », j’ai découvert des têtes connues parmi ceux qui allaient voyager. Beaucoup d’entre eux pensaient que je venais dire au revoir à un ami. Après avoir payé les sommes dues, le “coyote” nous donna ses instructions et nous fit monter dans un autobus qu’il avait loué. Tous, nous étions bien préoccupés : comment se passerait ce long et périlleux voyage que nous commencions ? Certains pleuraient.

Prière au moment du départ

Puis quelqu’un cria : “Rémi, s’il te plaît, fais une prière afin que tout se passe bien ; il vaut mieux oublier nos peines ; et après tout, arrivera ce qui doit arriver.” Et tous disaient comme lui ; alors j’ai dit : “Découvrons-nous, faisons le signe de croix et prions. Et j’ai prononcé cette prière qui me venait du coeur : Dieu, maître et créateur de tout l’univers, notre créateur, cœur du ciel et cœur de notre mère la terre, nous te demandons ton autorisation et ta bénédiction, car aujourd’hui nous partons pour fouler d’autres terres, terres qui aussi t’appartiennent. Tu sais pourquoi nous partons Ô notre terre, terre de nos ancêtres, pardonne-nous de t’abandonner, et fais que rapidement nous revenions, car c’est chez toi que nous voulons mourir. Pères et grands-parents de nos ancêtres, vous qui jouissez déjà de la paix de Dieu, donnez-nous votre bénédiction. De même que vous avez lutté pour notre bien, de même nous voulons lutter pour nos enfants et les générations qui viendront après nous. Aux premiers émigrants sur cette terre, comme Abraham et la sainte famille, nous demandons leur protection pour que ce jour et ce pèlerinage qui commence aujourd’hui se déroulent selon leur sainte volonté. Tout cela nous le demandons au nom de Jésus. Tous, disons le notre Père...”

C’est de cette façon que nous avons prié, vers 5 heures du soir, dans la gare routière.

L’arrivée aux États-Unis

« Je suis arrivé aux USA chez des cousins et des amis. Enfin j’avais terminé un long parcours de deux mois, à travers le Mexique, avec toutes ses difficultés : froid, chaleur, pluie, manque de sommeil, fatigue, douleur, peur, angoisse, faim, soif, pleurs, cris, prières... Tout cela, pour passer du Mexique à l’Arizona. Mais une fois là, deux autres barrières se dressaient : la question du travail et le problème de la langue. J’ai d’abord travaillé dans une laverie industrielle 10 h par jour, à 5 dollars l’heure. La direction ne vérifiait pas l’identité des gens. C’était un travail vraiment pénible. Ensuite j’ai emprunté 1200 dollars pour acheter une fausse identité avec un numéro de sécurité sociale. J’ai ainsi travaillé presque trois ans dans un abattoir de poulets. Á un moment, je faisais même deux journées, ayant obtenu un second travail. Tout allait bien. Je m’étais fait des amis et nous avions formé un groupe musical qui participait à la vie d’une paroisse. Nous logions dans des préfabriqués.

L’arrestation

Ma vie changea brutalement quand, au petit matin, je fus arrêté à mon domicile. Je ne voyais pas le motif de cette arrestation. Je n’avais commis aucun délit. Plus tard, face au juge, je compris l’accusation. Je vivais et je travaillais sous un faux nom. De plus, le numéro de sécurité sociale que j’avais acheté correspondait à quelqu’un qui avait commis plusieurs délits et ne payait pas de pension alimentaire à son ex-épouse. La police croyait donc avoir trouvé le coupable. J’ai donc passé 87 jours en prison dans des conditions difficiles. Tout le courrier que je recevais en espagnol ne m’était pas donné. C’est là que j’ai commencé à écrire mon histoire avec un minuscule crayon à papier (les stylos n’étaient pas autorisés). Mon écriture était pratiquement illisible. Je l’ai fait pour m’occuper l’esprit et chercher le sens de mon aventure. Au total, j’ai été convoqué 8 fois devant la cour. Finalement j’ai fait appel devant un juge d’immigration. J’ai dû payer une caution et je suis en liberté.

Mais, légalement, je n’ai pas le droit de travailler. Alors grâce à l’Église, je participe bénévolement à divers projets d’aide aux migrants. Cela me permet de survivre. Malgré la distance et le temps, je n’oublie pas mon épouse et mes enfants. Nous sommes des milliers, des millions à avoir émigré pour le meilleur et pour le pire. Pourquoi tant de duretés et d’épreuves sur notre route ? »

Témoignage rapporté par Jean-Louis Rattier, prêtre du diocèse d’Évreux
Fidei donum travaillant avec les Latino-américains à Détroit aux USA.


Lettre du CEFAL n° 71 - décembre 2007.

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