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BRÉSIL - Le gouvernement de Rousseff sur la corde raide

Jimena de Garay, Lívia Alcântara

vendredi 6 mai 2016, mis en ligne par Françoise Couëdel

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La gauche brésilienne fait face au défi de se réorganiser d’un point de vue social et politique.

Le gouvernement de la présidente Dilma Rousseff – qui a entamé en janvier 2015 un second mandat de quatre ans – se retrouve en pleine crise politique, marquée par des scandales de corruption, comme celui lié à Petrobras, dans lequel sont impliqués des hommes politiques importants, membres du Parti des travailleurs (PT) et ses alliés, après la demande de destitution, ou impeachment, de la présidente, actuellement débattu au Sénat, au sein duquel le gouvernement fédéral n’a pas la majorité, et par de fortes mobilisations en faveur ou contre son gouvernement.

Les causes de cette crise remontent à un processus à long terme, comme la fin de la capacité politique du PT de gouverner à la fois pour les pauvres et pour les riches, tout en maintenant une certaine stabilité. Néanmoins, les manifestations de juin 2013 ont représenté un point de rupture dans la conjoncture politique brésilienne. Ces manifestations, qui se sont étendues à une grande partie du territoire national, ont débuté par des manifestations contre l’augmentation du tarif du transport public et ont évolué vers une multiplicité de revendications, telles qu’une demande de meilleure gestion des budgets consacrés à l’éducation et à la santé.

Sous les gouvernements du PT – qui ont commencé en 2003 avec le président Luiz Inácio Lula da Silva – de nombreuses contradictions ont été de plus en plus flagrantes. Glaucia Marinho, de Justiça Globla, reconnaît les avancées sociales obtenues, telles que la réduction de la faim et de la pauvreté et l’application de politiques de discrimination positive en faveur des noirs et des jeunes des classes sociales les plus défavorisées. Mais elle dénonce aussi des défaillances : « les assassinats de jeunes Noirs ont augmenté et notre population carcérale s’est accrue ».

Les mouvements indiens ont aussi vivement critiqué le gouvernement, dénonçant les impacts négatifs de grands travaux publics, tels que la construction du barrage hydroélectrique, dans l’État de Pará. Lors d’un rassemblement récent contre l’impeachment, Sônia Bone Guajajara, leader indienne et membre de la Fédération des peuples autochtones du Brésil, a transmis un message émanant des peuples indiens du Pará : « Ils m’ont demandé de dire à Lula, à Dilma, qu’ils fassent marche arrière parce que les forces des eaux et la nature se rebellent contre eux. Ils doivent penser à une nouvelle forme de développement. Nous devons marcher ensemble, dans le respect des peuples, de la nature et de l’environnement ».

La droite se mobilise

Face à ces contradictions, visibles en 2013, la droite a décidé de descendre dans la rue. Sandra Quintela, de l’Institut de politiques alternatives pour le Cône Sud, indique à Noticias Aliadas que « dans un premier temps, ceux qui sont descendus dans la rue ont été les jeunes et les mouvements sociaux mais ils ont été rapidement suivis par les groupes les plus conservateurs ».

Cette vague droitisante est présente au sein de la population. En 2014 ont surgi des groupes de jeunes de droite, comme le Mouvement Brésil libre, accusé d’être liés aux Koch [1], industriels qui financent des prises de position ultra-conservatrices aux États-Unis. Dans ce processus est indéniable le rôle de Red Globo, conglomérat médiatique qui influence fortement l’opinion publique, qui a soutenu le coup d’État militaire en 1964 et qui, dans l’actualité, présente des informations extrêmement biaisées.

Dans ce contexte de l’avancée de la droite dans les manifestations de rue, Rousseff a fait face à des élections très serrées, ce qui a exigé de la gauche une défense peu critique de la candidate pour empêcher la victoire de Aécio Neves, du Parti social démocrate brésilien (PSDB). Selon Quintela, la réélection de 2014 a été « dépolitisée et a eu pour résultat la formation du Congrès le plus conservateur depuis 1964 ».

À la grande déception de la gauche, à sa prise de fonction la présidente Rousseff a adopté un programme d’ajustement fiscal conçu au détriment des droits sociaux, comme l’augmentation du temps de travail minimum nécessaire pour bénéficier des indemnités chômage ; elle a approuvé la loi qui qualifie le terrorisme de crime ce qui, selon les organismes défenseurs des droits humains, criminalise les mouvements sociaux et elle a nommé des ministres peu favorables aux intérêts des travailleurs.

« Dilma a sabordé toute sa campagne du second tour et a adopté le programme de Aécio », a déclaré à Noticias Aliadas Paulo Mansan, du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) et de la Vía Campesina de Pernambuco.

De son côté, le cacique Curupinim, coordinateur du Conseil indien Tapajós Arapiuns a indiqué a Noticias Aliadas que « Dilma a davantage soutenu le groupe ruraliste (front parlementaire qui représente les latifundistes) que nous, les Indiens, qui l’avons appuyée, qui l’avons aidé à être élue ».

Paradoxalement, bien que le gouvernement se soit éloigné de son programme de gauche, la droite tente de destituer la présidente et de démoraliser le PT. Le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) a rompu avec le PT, et associé à d’autres secteurs, il a parié sur un « coup d’État blanc », c’est-à-dire sur la révocation de Rousseff en utilisant des mesures en apparence constitutionnelles et démocratiques. En ce qui concerne les parlementaires de la droite, leur intervention dans la crise s’exprime par la formulation de discours en faveur de la famille traditionnelle,de l’impeachment et contre la corruption. Néanmoins, selon le quotidien Jornal do Brasil, 119 de 367 députés qui ont voté le 17 avril en faveur d’un jugement politique de la présidente sont ou ont été accusés de certains délits.

La vengeance de Cunha

Un des cas les plus emblématiques est celui de Eduardo Cunha, du PMDB, président de la Chambre des députés et responsable d’avoir accepté la demande d’impeachment à l’encontre de la présidente.

Le 2 décembre 2015, les représentants du PT ont annoncé qu’ils n’allaient pas empêcher le Conseil d’éthique de la Chambre des députés de conduire des investigations sur Cunha, soupçonné de détention secrète de comptes secrets en Suisse et d’avoir reçu 5 millions de dollars de pot-de-vin. En guise de rétorsion évidente, le même jour, Cunha a accepté de voter la demande de jugement de Rousseff.

Depuis l’an dernier, également, de vastes secteurs de la gauche, en particulier le mouvement féministe et le mouvement de défense des noirs, ont exprimé leur préoccupation face à l’ascension au pouvoir de Cunha, car sa tendance à bafouer les droits humains de ces secteurs de la population était déjà évidente.

Selon la procédure d’impeachment, Rousseff est accusée d’avoir commis deux délits de responsabilité fiscale : l’autorisation de crédits « supplémentaires », qui ont représenté, selon l’accusation, une augmentation des frais du gouvernement ; et des « pédalages fiscaux », qui seraient un retard d’envoi de fonds aux banques publiques, par certains membres de l’exécutif, pour le paiement d’aides sociales et de retraites.

Pour sa défense, José Cardozo, ministre de la Direction des affaires juridiques de l’État, soutient que l’octroi de crédits supplémentaires ne constitue pas des altérations des finances de l’État, qui devraient se faire avec l’aval du Congrès, mais des altérations budgétaires. Pour ce qui concerne les pédalages fiscaux, Cardozo soutient que le fait que le gouvernement ait retardé le versement de fonds aux banques publiques ne signifie pas qu’existeraient des prêts à l’Union fédérale de la part de ces banques, ce qui serait une violation de la Loi de responsabilité fiscale.

Guilherme Boulos, coordinateur du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), déclare à Noticias Aliadas que la gauche, dans le présent, doit relever le défi « d’empêcher cette tentative de coup d’État », cette offensive de la droite dans le pays. En effet, en dehors du coup d’état proprement dit, les conséquences seront douloureuses pour le peuple brésilien.

Ces conséquences sont explicites dans le programme post impeachment, lancé par le vice-président Michel Temer, du PMDB, appelé Pont pour le futur. Dans ce dernier, il propose comme solution à la crise économique l’application d’une série de mesures néolibérales, comme la fin de la politique de revalorisation du salaire minimum, (augmentation réelle continue) mise en place par le PT, et la restriction des investissement publics, comprenant entre autres les programmes sociaux du gouvernement du PT.

Cependant pour Boulos, « en plus d’arrêter la tentative de coup d’État, nous, (la gauche) nous ne pouvons pas nous taire. Il faut même, en ce moment, dénoncer aussi les politiques qui s’en prennent aux acquis sociaux sous le gouvernement (de Rousseff) ».

Une autre fraction de la gauche, comme le MST, et des partis politiques comme le Parti communiste du Brésil, de la base alliée, est plus proche du gouvernement. Ces deux fronts, sont en ce moment, relativement unis.

« La conjoncture nous a obligés( nous la gauche) à faire un effort d’union un peu plus serrée, en un premier temps, sur un programme minimum, contre le coup d’État » explique Mansan.

D’autres secteurs et d’autres groupes plus autonomistes, formulent des critiques si violentes contre le PT qu’ils le considèrent aussi condamnable que la droite. La gauche brésilienne fait donc face au défi de se réarticuler sur la base d’un programme politique réellement de gauche.


Traduction de Françoise Couëdel.

Texte original (espagnol) : Noticias Aliadas, 28 avril 2016. http://www.noticiasaliadas.org/articles.asp?art=7299.

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[1Koch Industries, Inc. est une importante société privée, non cotée en bourse, basée à Wichita au Kansas avec des filiales dans des domaines très variés : génie pétrolier, génie chimique, finance, courtage de matières premières, élevage. En 2013, c’est la seconde plus grosse société non cotée au monde avec des revenus annuels estimés à 115 milliards de dollars, derrière Cargill – NdT.

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