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MEXIQUE - Les zapatistes, le Congrès national indien et les élections
Luis Hernández Navarro
mercredi 9 novembre 2016, mis en ligne par
L’Armée zapatiste de libération nationale – en espagnol Ejército Zapatista de Liberación Nacional, EZLN – et le Congrès national indien (CNI) ont décidé de consulter les peuples et les communautés, concernant la candidature d’une femme indienne à la Présidence de la République pour les élections de 2018. La décision a suscité une énorme polémique. Les uns voient dans cette décision un virage à 180 degrés dans leur ligne d’action. D’autres, leur entrée en politique. Un certain nombre encore, une manœuvre pour la formation d’une coalition anti-Andrés Manuel López Obrador.
Ces trois opinions, en plus d’être erronées, sont discriminatoires. Elles sont basées sur la désinformation et sur un schéma d’analyse qui a pour point de départ : qui n’est pas avec moi est contre moi. Ces points de vue révèlent une méconnaissance de l’histoire et de la trajectoire politique, aussi bien de l’EZLN que des organisations indiennes qui font partie du CNI.
Depuis que l’EZLN s’est manifesté dans la vie publique il n’a jamais été une force abstentionniste. Il n’a appelé ni à l’abstention ni au boycott électoral. Et, dans une occasion au moins, il a soutenu le vote pour un candidat.
Pour les élections présidentielles du 21 août 1994, il a appelé à voter contre le PRI, au nom de sa lutte contre le système des partis étatiques et du présidentialisme. Mieux encore, le 15 mai de cette année-là, à Guadalupe Tepeyac, les bases zapatistes et le sous-commandant Marcos ont reçu le candidat du PRD, Cuauhtémoc Cárdenas et son groupe. Les rebelles l’ont salué et ont reconnu que celui qui était alors candidat les avait écoutés avec attention et respect. Au passage ils ont émis des critiques contre le soleil aztèque.
Quelques jours plus tard, avec la Seconde déclaration de la forêt lacandone, ils ont convoqué une Convention nationale démocratique d’où émanerait un gouvernement provisoire ou de transition, soit en obtenant le retrait de l’Armée fédérale, soit par la voie électorale. Ce processus – ont-ils indiqué alors – devrait déboucher sur la rédaction d’une nouvelle Carta magna et l’organisation de nouvelles élections.
Quelques jours plus tard, l’EZLN a soutenu la candidature du journaliste Amado Avendaño, comme représentant de la société civile, à la fonction de Gouverneur de Chiapas. Et, après la fraude électorale qui a empêché son triomphe, l’a reconnu comme gouverneur en rébellion et l’a considéré comme tel.
À la fin de l’année 2005, les zapatistes ont appelé à organiser un grand mouvement national pour transformer les relations sociales, élaborer un programme national de lutte et créer une nouvelle constitution politique. Dans ce cadre-là ils ont lancé l’autre campagne, une initiative de politique populaire en bas et à gauche, indépendante des partis politiques officiels, d’orientation anticapitaliste.
Bien que l’autre campagne n’ait jamais appelé à s’abstenir ni à boycotter les élections, elle a émis de vives critiques contre les candidats des trois principaux partis politiques, y compris contre Andrés López Obrador. À l’approche des élections du 2 juillet 2006, après la répression à San Salvador Atenco (les 3 et 4 mai de cette année-là) qui a changé la dynamique de cette initiative politique, au cours d’un rassemblement dans le cinéma Révolution de la ville de Mexico, lesous-commandant Marcos a refusé pour sa part de mettre en question la position de ceux qui souhaitaient voter. « Que celui qui veut voter vote », a-t-il déclaré lors de ce rassemblement.
On a voulu rendre les zapatistes responsables du résultat final des élections de 2006 et même de la fraude électorale qui a frustré du triomphe dans les urnes Andrés López Obrador. Il y a quelques jours, le dirigeant du Mouvement de régénération nationale (Morena) a prétendu qu’au cours de ces journées-là, l’EZLN et l’église progressiste avaient incité à ne pas voter (chose qui ne s’est jamais produite), en contribuant indirectement à lui voler les élections. Depuis cette époque-là le débat a été virulent et acrimonieux. Il n’a pas cessé de l’être, bien que dix ans se soient écoulés.
Au fil des ans, la position des zapatistes n’a pas varié. C’est ce qu’a précisé le sous-commandant Moisés, dans le communiqué intitulé « À propos des élections : s’organiser », daté d’avril 2015. Il précise « Ces jours-ci, comme d’habitude, chaque fois qu’il y a cette chose qu’on appelle “processus électoral”, nous entendons et nous voyons qu’on se met à raconter que l’EZLN appelle à l’abstention, ou mieux que l’EZLN nous dit de ne pas voter. Entre autres bêtises, c’est là ce qu’on entend. »
Plus loin, il précise la position des rebelles concernant la conjoncture électorale de cette année. « En tant que zapatistes que nous sommes nous n’appelons pas à ne pas voter ni non plus à voter. En tant que zapatistes ce que nous faisons, chaque fois que c’est possible, c’est de dire à tous qu’ils s’organisent pour résister, pour lutter, pour obtenir ce dont ils ont besoin. »
Le document récent élaboré conjointement par l’EZLN et le CNI, « Que la terre tremble à nouveau en son sein », représente un changement de position des rebelles. Mais pas un changement à 180 degrés car les zapatistes n’ont jamais été abstentionnistes.
Il appelle à rechercher une nouvelle forme d’action, qui a pour axe principal la participation directe à la conjoncture électorale comme une forme de résistance, d’organisation et de lutte. À placer les Indiens et leur problématique au centre de l’agenda politique national. À rendre visibles les agressions contre les peuples originels. À construire le pouvoir de ceux d’en bas. La décision ne signifie pas l’entrée de l’EZLN dans la lutte politique. Les zapatistes y ont toujours participé. Ils n’ont jamais cessé de faire de la politique depuis leur irruption dans la vie publique quand ils ont pris les armes en 1994. On peut être d’accord ou non avec la politique qu’ils ont menée mais réduire la participation politique à l’action électorale dans une conjoncture donnée est une absurdité.
On peut dire la même chose des organisations qui constituent le CNI. La mobilisation des Purépechas de Cherán (une expérience fondamentale dans le cours nouveau qu’a pris la lutte indienne) pour la reconnaissance de leur gouvernement autonome et de leur autonomie est éminemment politique. De la même manière l’expérience d’autodéfense des Náhuatl de Ostula, ou la défense par la communauté des Otomís de Xochicuautla de leur territoire et de leurs ressources.
Personne n’a le monopole de la représentation politique de la gauche mexicaine. Cette représentation se gagne par la lutte, jour après jour. Accuser les zapatistes et le CNI de faire le jeu du gouvernement parce qu’ils prétendent participer aux élections de 2018, en marge des partis politiques, est une démonstration d’arrogance et d’intolérance. En fin de compte, ce sera à la société mexicaine en général et aux peuples indiens en particulier de décider si cette voie peut ou non transformer le pays.
Twitter de l’auteur : @lhan55
Traduction française de Françoise Couëdel.
Publication originale (espagnol) : colonne d’opinion de La Jornada, 18 octobre 2016,
http://www.jornada.unam.mx/2016/10/18/opinion/017a2po.