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AMÉRIQUE LATINE - ÉTATS-UNIS - Trump contre l’Amérique latine : le retour du gendarme

Jorge Elbaum

lundi 18 septembre 2017, mis en ligne par Françoise Couëdel

14 septembre 2017.

Le gouvernement des États-Unis a récemment annulé le programme migratoire nommé Action différée pour les arrivants mineurs (Deferred Action for Childhood Arrivals – DACA, pour son sigle en anglais) mis en place sous le gouvernement de Barack Obama. Cette initiative avait pour objectif d’empêcher qu’environ 800 000 jeunes, qui étaient entrés sur le territoire, soient expulsés.

La plupart des migrants que DACA protégeait – surnommés dreamers (« rêveurs ») en raison de leur rêve d’accéder à un travail digne et de meilleurs conditions de vie que celles qu’offraient leurs pays d’origine – sont latino-américains et se verront confrontés à l’avenir au danger certain d’être expulsés, conséquence de la dérogation à la disposition qui les protégeait.

Depuis quelques mois le gouvernement de États-Unis, conjointement avec celui du Canada et du Mexique, renégocient l’Accord de libre échange de l’Amérique du Nord (connu sous le sigle NAFTA en anglais, TLCAN en espagnol, ALENA en français) dans l’intention évidente de la part du gouvernement Trump d’annuler les mécanismes qui bénéficient au Mexique, surtout par le biais de l’investissement direct dans ce qu’on appelle les maquiladoras, ateliers de montages implantés par les multinationales, essentiellement sur le territoire mexicain, qui leur permettent l’exploitation d’une force de travail à des coûts inférieurs à ceux qu’elles devraient payer dans leur pays d’origine.

Cet investissement étranger direct s’est développé dans le cadre d’accords économiques motivés par le double objectif de faire baisser le coût de la main d’œuvre à l’intérieur des États-Unis (créant partiellement du chômage) et l’obtention d’excédents additionnels par l’embauche de travailleurs mexicains prêts à travailler pour des salaires plus bas que ceux de ses voisins du nord.

L’ALENA a permis une expansion des transnationales qui – depuis son origine – a été motivée par le contrôle de la force de travail états-unienne que les politiques d’État de bien-être avaient développées depuis la décennie des années 30 du siècle dernier. L’ouverture initiale de l’immigration de Mexicains et de Centre-Américains, ajoutée au recours aux maquiladoras, a permis aux États-Unis d’« améliorer » sa productivité au prix du travail de ses voisins et, simultanément, de discipliner sa propre force de travail pour empêcher qu’elle continue à négocier de meilleures conditions salariales.

La fin des bonnes manières

L’offensive de Donald Trump contre les pays d’Amérique latine et de la Caraïbe s’exprime en outre par l’élimination du soft power, terminologie par laquelle les acteurs des relations internationales définissent les activités d’influence basées sur la diplomatie et la coopération bilatérale ou multilatérale, destinées à instaurer une influence et un conditionnement politique ou économique. Le soft power a été le dispositif conçu par le Département d’État pour promouvoir les intérêts états-uniens dans la région, par le biais de la communication et du développement de formations de professionnels et d’intellectuels promoteurs et diffuseurs de ses intérêts dans la région. Le « trumpisme » remet en question ce modèle d’influence et le remplace par la technique du bâton qui fait fi de la diplomatie.

Le Département d’État n’a nommé aucun ambassadeur en Amérique latine depuis l’élection de Trump, mesure qui est considérée comme une forme de mépris. De fait, le Département d’État n’a nommé d’ambassadeurs qu’auprès des Nations Unies, à Beijing, Tel Aviv, Tokyo, Ottawa, Rome et Londres. Depuis qu’il a pris la tête de la alt-right (terme qui désigne la nouvelle droite proche du suprémacisme) les fonds destinés aux dépenses diplomatiques – au niveau international – ont été réduits de 31 pour cent et ceux de la totalité affectée aux personnels liés à ce secteur de dix pour cent, laissant le champ libre à la rhétorique belliciste et chauviniste qui n’est pas compatible avec la logique diplomatique.

Ce modèle qui a été inauguré avec pour slogan « l’Amérique d’abord » suppose des caractères protectionnistes encore plus strictes que ceux que les pays hégémoniques appliquent traditionnellement, comporte des menaces d’intervention militaire au Venezuela et une tentative tenace de diviser toute tentative d’intégration de l’Amérique latine, dans la continuité de la politique de Bush et d’Obama dans la région, mais avec une menace supplémentaire interventionniste abandonnée depuis l’invasion de la Grenade en 1983, et du Panama en 1889. Le gouvernement immédiatement antérieur à Trump a privilégié l’ingérence économique et les tentatives divisionnistes dans la région : l’ALCA, finalement mis en échec, en constituait le versant institutionnel le plus abouti ; « l’Alliance pour le Pacifique », d’ampleur plus restreinte, a pris le relais, avec comme membres le Chili, le Pérou, la Colombie et le Mexique.

Le protectionnisme agressif et raciste qu’annonce le trumpisme a été révélé récemment par une déclaration du Président des États-Unis dans laquelle il fait référence aux « emplois arrachés aux communautés des États-Unis », et aux « nations étrangères qui se sont enrichies au détriment des États-Uniens » sans préciser que c’est la conséquence du modèle néolibéral que le gouvernement même de Washington a imposé pour réduire la valeur de la force de travail, encouragé par ses entreprises transnationales.

Dans son premier discours de campagne Donald Trump, le 16 juin 2015, a affirmé : croyez-moi, le Mexique n’est pas notre ami ». Il a ajouté ensuite « Ces Mexicains nous amènent de la drogue. Ils nous apportent la délinquance. Ce sont des violeurs. Et, quelques-uns je suppose, de bonnes personnes ». Quand on lui a demandé quelles étaient les sources d’informations sur lesquelles il basait ces affirmations, celui qui était alors candidat républicain a indiqué que ses affirmations se fondaient sur une information obtenue des Gardes-frontières. Enfin il a indiqué que les États-Unis sont devenus le dépotoir des problèmes de tous les autres ».

Ces affirmations clairement xénophobes ont été réitérées la dernière semaine d’août 2017 quand le premier mandataire a gracié Joe Arpaio, un shérif condamné pour désobéissance lorsqu’il s’est refusé à obéir aux injonctions de la justice fédérale qui exigeait de lui qu’il cesse ses pratiques de « rafles » d’immigrants dans le comté de Maricopa, dans l’État d’Arizona.

Arpaio a été accusé, entre autres délits, d’avoir installé un camp de concentration à l’air libre en plein désert de l’Arizona, sous une température de 40 à 50 degrés (connu comme « Tent City ») dans lequel il confinait des immigrants mexicains et centre-américains, en les obligeant à porter uniquement des sous-vêtements de couleur rose. Ce même shérif, récemment gracié, a été porté aux nues par les secteurs suprémacistes quand il a diligenté une recherche concernant le certificat de naissance de l’ex-président Obama à qui il déniait le droit d’assumer la charge de premier magistrat. Trump a justifié la grâce accordée en affirmant « Le shérif Joe est un patriote. Le shérif aime notre pays, le shérif Joe protège nos frontières et le shérif Joe a été traité de manière injuste par l’administration Obama ».

L’exigence du millionnaire new-yorkais concernant l’installation d’un mur à construire entre les États-Unis et le Mexique, l’obligation que cette muraille soit financée totalement par ce dernier, a été vue comme une actualisation de « l’apartheid sud-africain » qui a fait des afro-descendants des victimes de la ségrégation du XVIe au XXe siècle. Le « mur » rappelle – selon de nombreux analystes internationaux – le déploiement humiliant du drapeau états-unien, en 1847, sur le « Zócalo », la place du centre historique de la capitale du Mexique.

Construire l’ennemi

La vague raciste et discriminatoire qui se répand aux États-Unis depuis l’accession de Trump n’a pas eu que les Mexicains comme victimes. Le « Muslim Ban », signé par Trump, qui a été suspendu suite à un recours juridique, avait pour objet d’empêcher l’entrée de citoyens provenant de cinq pays à majorité musulmane. Dans le cadre de ces déclarations ségrégationnistes, l’irruption de groupes suprémacistes n’a rien d’étonnant – comme ceux qui ont défilé à Charlottesville à la mi-août – parmi lesquels se trouvent de nouvelles organisations telles que Vanguard America, Identity Europa, Traditionalist Workers Party et True Cascadia, qui n’ont cessé de grandir depuis l’arrivée de Trump à la présidence.

Un des corollaires de la marche suprémaciste a été l’attentat terroriste commis par l’un de ses membres (James Fields) qui, en fonçant avec une voiture contre les manifestants antiracistes, a renversé une vingtaine de personnes et tué Heather Heyer, 32 ans, qui proposait une assistance juridique aux familles victimes d’expulsion de leurs foyers.

Dans ce contexte clairement discriminatoire à l’encontre des latino-américains, des afro-descendants et des musulmans, rangés dans la même catégorie par les suprémacistes, le vice-président Mike Pence a effectué une tournée au Panama, en Argentine, au Chili et en Colombie, la première semaine d’août 2017.

L’objectif principal de ses visites était de répandre l’idée de l’exigence d’isoler le gouvernement chaviste et de soutenir l’opposition vénézuélienne rassemblée dans la Mesa de Unidad Democrática (MUD) : une initiative d’ingérence évidente que l’analyste Alexander Main, du Centre de recherches en économie et politique (CEPR) a décrit comme « une tentative de diviser la région […] en offrant un soutien renforcé aux gouvernements de droite du continent ». Un moment clé de cet objectif a été l’approbation, à l’initiative de Washington, de la « Déclaration de Lima » par laquelle 11 pays d’Amérique latine ont signé un document destiné à isoler le gouvernement de Caracas.

Ce document a été diffusé quelques jours après que le titulaire du Département d’État, Rex Tillerson, le 3 août dernier, ait déclaré qu’il était nécessaire que Nicolás Maduro abandonne le pouvoir.

Un fait important qui explique cette demande des États-Unis est que Tillerson est l’ex-PDG d’Exxon, l’une des compagnies pétrolières les plus importantes du monde, intéressée de longue date par les réserves en pétrole de ce pays caribéen qui sont considérées comme les plus importantes de la planète. Le 13 août, Pence a déclaré à Bogotá que « Washington a beaucoup d’options pour le Venezuela » et Trump « a clairement fait savoir que nous ne resterons pas tranquilles tant que le gouvernement du Venezuela s’acheminera vers la dictature. Un État en faillite au Venezuela menace la sécurité et la prospérité de tout notre hémisphère et le peuple des États-Unis ». Les menaces d’interventions militaires contre le Venezuela, avalisées par les droites néolibérales du continent, sont considérées par divers analystes comme un retour à la politique du « gendarme », une continuité de la doctrine Monroe qui, depuis 1828, a entraîné quatre dizaines d’interventions militaires et paramilitaires de diverses sortes en Amérique latine [1].

Narcotrafic et paradis fiscaux

Un des rapports récents de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, l’ONUDOC, indique l’augmentation préoccupante des cultures illicites dont les revenus les plus substantiels sont déposés dans les coffres des narcotrafiquants détenus dans des paradis fiscaux, et que le blanchiment s’opère dans des entreprises licites majoritairement états-uniennes. Le paradoxe de cette augmentation est que 90 pour cent des gains, produit du trafic de cocaïne, est « blanchi » dans des paradis fiscaux administrés par les États-Unis et le Royaume-Uni et dans des investissements directs aux États-Unis. Selon l’ONUDOC, « l’estimation des flux financiers illicites générés par le trafic de drogue et autres crimes organisés transnationaux » et la consommation de cocaïne ont enregistré une légère chute à l’intérieur des États-Unis et l’augmentation du prix de vente a permis d’augmenter les profits des mafias qui les « blanchissent » sur le marché financier international.

Selon ce même rapport de l’ONUDOC approximativement 62 % de la totalité des gains sont « blanchis », mais un tiers est injecté dans l’économie états-unienne. Le rapport révèle que « les cartels préfèrent le blanchiment dans des économies stables, car les institutions gouvernementales ont suffisamment de capacité de réserves pour sauver des institutions financières dans le cas de faillite généralisée ».

Un exemple de cette « externalité financière, que n’aborde pas Pence lors de sa visite à Bogotá, est le cas de la banque Wachovia, actionnaire du géant Wells Fargo & Co’(Compagnie de services financiers divers qui opère dans le monde entier) qui, entre 2004 et 2007, a blanchi 378 milliards de dollars pour le cartel de Sinaloa, sous couvert de la raison sociale Casa de Cambio Puebla (Maison de change Puebla), ressources qui ont été absorbées par la Réserve fédérale des États-Unis, comme contribution de l’Amérique latine au développement de l’économie nord-américaine. La visite de Pence a donné comme signe de bonne volonté envers l’Argentine – après sa visite à Buenos Aires – la décision de freiner l’achat de biodiesel de la part du ministère du commerce des États-Unis sous prétexte que cette exportation est subventionnée.

La décision de Washington représente pour l’Argentine une perte d’un milliard deux cents millions de dollars dans ses exportations. Certains analystes ont rappelé que c’est Mike Pence lui-même, encensé par le gouvernement de droite de Macri, qui a reçu la demande de vente de biodiesel et, que, de retour aux États-Unis, il a répondu comme porte-voix de ceux qui produisent ce combustible dans l’État de l’Indiana, dont il a été gouverneur, avec la fin des importations argentines et une demande d’exportation de viande de porc états-unien – vers un marché qui est autosuffisant à 90 % – ce qui va causer dans le secteur argentin un impact négatif de l’ordre d’un milliard de dollars.

Depuis l’élection de Trump les cercles académiques internationaux débattent sur comment caractériser le modèle politique mis en place par le millionnaire devenu homme politique. Si le fascisme et le parti nazi ont été la réponse belliciste et génocidaire que le capitalisme a assumée pour affronter la demande croissante des secteurs populaires et particulièrement de la classe ouvrière, le néolibéralisme – et sa version extrême, le trumpisme suprémaciste – apparaît comme le masque derrière lequel se cache le capitalisme actuel pour affronter le multiculturalisme, les migrations et les rébellions récurrentes des marginalisés du système. Et cela augure des temps de violence.


Jorge Elbaum est un journaliste et sociologue argentin. Il est analyste associé au Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE)

Texte original (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/188003

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