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DIAL 3571

MEXIQUE - Déclaration de la Cinquième Assemblée conjointe du Congrès national indien et du Conseil indien de gouvernement

jeudi 11 mars 2021, par Dial

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Le 1er janvier marquait le 37e anniversaire du soulèvement de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) au Chiapas [1]. Ce même jour, l’EZLN, associé à une longue liste de peuples, d’organisations, de collectifs et de personnes du monde entier, a publié une « Déclaration… pour la vie » qui propose notamment de « [r]éaliser des rencontres, des dialogues, des échanges d’idées, d’expériences, d’analyses et d’évaluations entre celles et ceux qui sommes engagé·e·s, à partir de différentes conceptions et sur différents terrains, dans la lutte pour la vie », avec, pour commencer, une première série de rencontres sur le continent européen entre juillet et octobre 2021. Le 23 et 24 janvier 2021 s’est aussi tenue à la Quinta Piedra, territoire récupéré du peuple nahua de l’ejido Tepoztlán (État de Morelos) la Cinquième Assemblée conjointe du Congrès national indien et du Conseil indien de gouvernement qui ont publié à cette occasion une déclaration, diffusée le 28 janvier sur le site Enlace zapatista. Cette déclaration a fait l’objet de plusieurs traductions en français et nous reprenons ici, avec quelques menus aménagements, celle publiée sur le site La voie du jaguar le 31 janvier.


À l’Armée zapatiste de libération nationale
Aux peuples du monde
Aux personnes qui luttent sur les cinq continents
Frères, sœurs, camarades,

Frères et sœurs du monde entier, nous vous saluons, nous qui conformons le Congrès national indien. Nous sommes des peuples et des communautés qui habitaient déjà nos terres et nos territoires avant l’imposition de ce qu’on appelle l’État mexicain, nous avons non seulement notre propre langue et notre façon de nous habiller, mais aussi une forme de gouvernement, une façon de voir, de comprendre et de vivre le monde différente de celle du monde capitaliste, qui voit tout comme une marchandise. Nous sommes des peuples qui aiment la terre, les montagnes, les eaux, les collines, les oiseaux et tous les êtres vivants qui habitent notre mère la terre. Pour nous la vie est sacrée, nous la vénérons. Au fil des années, les donneurs d’ordres, ceux qui ont pour but de dominer et d’exploiter, ont voulu en finir avec nous, détruire notre culture et notre territoire. Nous sommes une histoire de spoliation, de résistance et de rébellion, et aujourd’hui, après plus de cinq cents ans de conquête et de guerre, nous sommes en danger d’extinction, avec le monde entier.

Frères et sœurs zapatistes, frères et sœurs aîné·e·s, comme toujours vos paroles et vos initiatives créent une lumière d’espoir et un chemin pour nos peuples. Les mégaprojets, les sociétés transnationales, le crime organisé en coordination avec le gouvernement nous envahissent toujours plus pour exploiter et détruire notre territoire, pour détruire la vie. Les paroles mensongères de López Obrador et sa soi-disant Quatrième Transformation cherchent à créer un mur qui cache la guerre qui fait rage contre les peuples et la vie de la Terre Mère, à nous isoler et à nous présenter comme les adversaires du progrès, accusation que les gouvernements antérieurs ont déjà utilisée mais qui prend aujourd’hui un tour plus destructeur. Notre parole, notre réalité, la guerre que nous vivons ne parviennent pas à tous les cœurs auxquels elle devrait parvenir, car non seulement nous défendons notre territoire, mais avec lui nous défendons la vie de la Terre Mère et l’avenir de l’humanité. Toute la force du capital, de l’État et du crime organisé s’exerce sur nos peuples, nous divisant, nous dépossédant, nous menaçant, nous emprisonnant, nous assassinant.

Nous, Front des peuples en défense de la terre et de l’eau des États de Morelos, Puebla et Tlaxcala (FPDTA-MPT) qui fait partie du CNI-CIG, nous vivons la même guerre de mégaprojets que vivent nos frères et sœurs sur tout le territoire national. Le Projet intégral de Mort appelé Projet intégral Morelos a été imposé principalement pour bénéficier aux compagnies minières, en dehors de toute légalité : il ignore et viole les recours judiciaires suspensifs, utilise la Garde nationale pour réaliser la construction de l’aqueduc et imposer des consultations indiennes qui violent nos droits fondamentaux. L’enquête sur le meurtre de Samir, loin d’aboutir, met en évidence la relation qui existe entre les services du procureur général de l’État et le crime organisé. En résumé, nous vivons la même guerre d’extermination que le reste de nos camarades du CNI et d’autres peuples, villes et secteurs frères. Cependant, l’attaque du grand capital et du gouvernement et l’assassinat de notre frère Samir ne mettent pas fin à notre résistance, au contraire, nous continuerons à lutter jusqu’à ce que la vie triomphe de la mort, avec nos armes les plus puissantes : la dignité, la résistance et la rébellion.

L’imposition du Train maya [2], qui s’accompagne de la construction de quinze centres urbains, du Corridor interocéanique Salina Cruz - Coatzacoalcos, qui prévoit dix corridors urbano-industriels, de l’Aéroport international de México – Parc écologique du Lac Texcoco et du Projet intégral Morelos, vise à réorganiser le pays en fonction des intérêts économiques du grand capital. Il est également très grave qu’on projette de construire, au profit de diverses entreprises étrangères, trois centrales thermoélectriques — dont l’une est déjà achevée —, un réseau de gazoducs et un mégacentre de stockage de combustible dans le bassin du Río Santiago, au sud de Guadalajara, qui, en outre, se trouve dans l’une des régions les plus polluées du pays ; s’y ajoute le projet du Canal Centenario, auquel travaille actuellement la Garde nationale, visant à connecter les fleuves San Pedro et Santiago au Nayarit. L’exploitation minière à ciel ouvert menace également des centaines de territoires de peuples indiens en utilisant la même formule, associant division, spoliation et destruction de nos communautés.

Tous ces projets sont précédés d’infrastructures routières et hydrauliques, d’un grand nombre de parcs éoliens et photovoltaïques, ainsi que de centrales hydroélectriques, thermoélectriques et de centrales à gaz qui envahissent illégalement les territoires de nos peuples et dont beaucoup n’ont même pas d’autorisation d’impact environnemental ; ils prévoient l’occupation de milliers et de milliers d’hectares et le changement d’usage des terres des ejidos, des communautés et des peuples indiens, sans tenir compte de l’autodétermination des peuples sur leur territoire.

Ces grands mégaprojets et toute la spoliation et l’exploitation provoquées par le modèle extractiviste du gouvernement fédéral sont protégés par la militarisation de tout le pays et de la sécurité publique, qui, selon les paroles trompeuses de López Obrador, a maintenant avancé alors que sous les gouvernements précédents une grande partie de la société y était opposée, sans que disparaissent le passif et la situation réelle de violation systématique des droits humains par les contingents militaires, souvent en collusion avec le crime organisé. La guerre contre les peuples pour imposer des mégaprojets est évidente quand l’armée se voit confier des travaux comme le Train maya ou l’aéroport de Santa Lucia, projets auxquels nous nous opposons catégoriquement.

Dans tout ce processus de recolonisation de nos territoires, l’Institut national des peuples indiens, une imposition de plus du mauvais gouvernement de la Quatrième Transformation, a effectué les tâches que réalisait le vieil indianisme du régime du PRI : médiatiser, manipuler, fragmenter, diviser nos peuples et nos communautés, servir le contremaître en fonction pour valider ses mégaprojets, se prêter à de fausses cérémonies officialistes qui offensent notre Terre Mère en participant aux stratégies de contre-insurrection et à la prétendue « ingénierie des conflits ». Face à cela, la communauté otomi habitant México a occupé les installations de cet institut pour exiger, au-delà du droit légitime au logement, le respect et la reconnaissance de l’autodétermination des peuples sur leur territoire.

La pandémie de Covid-19 est, comme l’a dit le gouvernement menteur de López Obrador, « tombée à pic » pour imposer les mégaprojets et la militarisation du pays ; la majorité de la population étant démobilisée, la pandémie contribue elle aussi à la guerre d’extermination contre nos peuples, chez lesquels les services de santé et les moyens économiques sont très limités et dans de nombreux cas nuls.

Nous voyons qu’il s’agit d’une crise globale et civilisationnelle jamais vue auparavant qui oblige l’humanité entière à détruire ce système capitaliste et patriarcal actuel, responsable de la destruction de la nature et qui se base sur l’exploitation et la spoliation sans cesse croissantes de millions et de millions d’êtres humains. Un système qui, pour générer profits et richesses, s’appuie sur le crime organisé, sur les guerres, sur les épidémies et les pandémies.

C’est pourquoi, en tant que Congrès national indien – Conseil indien de gouvernement (CNI-CIG) et en tant que Front des peuples pour la défense de la terre et de l’eau des États de Morelos, Puebla et Tlaxcala, réunis en cette Cinquième Assemblée conjointe du Congrès national indien et du Conseil indien de gouvernement, nous adoptons les accords suivants :

Accords

Un. Nous souscrivons à la Déclaration pour la vie émise par l’Armée zapatiste de libération nationale avec les peuples, organisations, collectifs et personnes du monde entier. Nous nous engageons à renforcer nos luttes pour défendre la vie dans nos territoires et ouvrons l’écoute, l’organisation et la parole à nos frères et sœurs du Mexique et du monde entier qui luttent contre ce système capitaliste et patriarcal dans le but de le faire disparaître.

Deux. Nous participerons directement, selon les critères que nous avons définis dans cette assemblée, par une délégation du CNI-CIG et du FPDTA-MPT, au côté de l’EZLN, à la tournée en Europe proposée par nos frères et sœurs et camarades de l’EZLN et du monde entier de juillet à octobre 2021 et, dans la mesure de nos possibilités, à celles qui seront réalisées ultérieurement en Asie, en Afrique, en Océanie et en Amérique.

Trois. Nous menerons des actions pour la vie, contre les mégaprojets et en mémoire de notre frère Samir Flores Soberanes du 19 au 21 février, à deux ans de son lâche assassinat. Nous lancerons un appel à nos frères et sœurs et camarades du Mexique et du monde entier pour qu’ils mènent des actions aux mêmes dates.

Quatre. Nous exigeons l’arrêt des attaques et du harcèlement des communautés zapatistes ; la libération immédiate de nos frères Fredy García Ramírez, porte-parole de l’organisation Codedi de Oaxaca, et Fidencio Aldama, membre de la tribu yaqui ; ainsi que la liberté de nos frères Adrian Gomez Jimenez, German López Montejo et Abraham López Montejo, membres de l’organisation La vraie voix de l’Amate, Marcelino Ruiz Gomez, membre de Viniketik en résistance, ainsi que celle d’Osman Alberto Espinales Rodríguez et de Pedro Trinidad Cano Sanchez, injustement emprisonnés dans les prisons de San Cristóbal de Las Casas et de Comitán, au Chiapas ; l’arrêt de l’assassinat de nos frères du CIPOG-EZ ; la réapparition en vie du frère Sergio Rivera Hernández, membre de l’organisation Mais dans la Sierra Negra de Puebla, des 43 étudiants d’Ayotzinapa et de tous les disparues et disparus.

Cordialement,
janvier 2021.

Pour la reconstitution intégrale de nos peuples
Plus jamais un Mexique sans nous

Congrès national indien – Conseil indien de gouvernement
Front des peuples en défense de la terre et de l’eau des États de Morelos, Puebla et Tlaxcala


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3571.
 Traduction de Joani Hocquenghem pour La voie du jaguar. Traduction ponctuellement modifiée par Dial.
 Source (français) : La voie du jaguar, 31 janvier 2021.
 Texte original (espagnol) : Enlace zapatista, 28 janvier 2021.

En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, le traducteur, la source française originale (La voie du jaguar - https://lavoiedujaguar.net) et l’une des adresses internet de l’article.

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