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DIAL 2967
BRÉSIL - Point de vue sur la visite du pape
Leonardo Boff
jeudi 1er novembre 2007, mis en ligne par
Le 20 mai 2007, des membres et sympathisants des Communautés chrétiennes populaires (CPP) espagnoles ont eu un échange à Séville avec le théologien de la libération Leonardo Boff. Entre autres questions, il y présenta son point de vue sur le voyage de Benoît XVI au Brésil, extrait que nous traduisons et reproduisons ici. Le texte original a été publié sur le site des Redes Cristianas (Réseaux chrétiens) le 30 juin 2007. Il s’agit d’une retranscription de l’exposé oral de Leonardo Boff. La retranscription, réalisée par Teresa Bravo Gómez et Antonio Moreno de la Fuente, a été relue et approuvée par le théologien.
[…]
Le pape a été accueilli très chaleureusement car l’hospitalité est une tradition propre à la nation brésilienne qui reçoit dans la joie, avec accompagnement de samba, mulâtresses et carnaval, tous ses visiteurs. Le peuple exprime ainsi sa joie. Le Pape, lui, est arrivé réservé, plein de retenue parce que ainsi est son tempérament et on doit le respecter. Moi qui le connais personnellement, je pense bien souvent à l’effort que cela doit représenter pour ce pauvre Pape. Il lui faut faire de grands gestes, prendre des enfants dans ses bras, se comporter comme ceci ou comme cela et il fait tout à l’envers [le théologien mime quelques grands gestes provoquant les rires de l’assistance]. Pour lui, c’était une situation terrible. Pourquoi ? Parce que ce Pape n’est pas un pasteur mais un docteur. Il n’a pas une grande expérience pastorale, il vient du milieu universitaire, du milieu universitaire allemand, très érudit, en dialogue constant avec les sciences. C’est un éminent docteur pas un pasteur. D’abord très réservé, au fur et à mesure que le peuple applaudissait il se détendait, devenait plus ouvert et à la fin il riait, il a même eu un éclat de rire qui a été retransmis à la TV. Du moins sait-il rire et ce n’est pas rien, me suis-je dit. Comme le dit Humberto Eco dans son roman Le Nom de la Rose, savoir rire c’est approcher le divin et relativiser le monde. Mais son discours, ce que nous espérions, était autre chose. Il était venu pour l’ouverture de la Ve Conférence du Conseil de l’Épiscopat latino-américain (CELAM) et nous, nous attendions deux choses au moins : qu’il légitime et conforte le magistère maintenant cinquantenaire de l’épiscopat latino-américain, qu’il revienne sur la mémoire de Medellin et son option pour les pauvres, de Puebla et son appel à la libération et de St Domingue et l’inculturation. Ce sont de thèmes dont l’actualité est permanente. Il ne suffit pas de l’avoir dit une fois, il était nécessaire de le redire, parce que la clameur des pauvres n’a pas cessé, parce que le fossé qui lacère la société ne cesse de s’élargir. Mais de tout cela il n’a dit mot.
Une fois seulement il a parlé de l’option pour les pauvres en raison de son origine christologique. Une seule fois, alors qu’il évoquait la promotion humaine, il a utilisé le mot libération. Une fois seulement il a évoqué les Communautés de base. Alors qu’il parlait des nombreux chrétiens laïques des communautés – avec une légère hésitation – il a dit, communautés de base. Cette unique fois ce mot lui a échappé. Il n’a rien dit des pastorales sociales qui sont, au Brésil du moins, l’élément le plus important : la pastorale de la terre, des Noirs, des femmes, des enfants « da rua » (de la rue), avec lesquels travaille la sœur du Cardinal Arns, avec 15 millions d’entre eux. Pas un mot de tout cela. Son discours a abordé, de façon pratiquement obsessionnelle, deux grandes séries de thèmes, plutôt européens ou plutôt auxquels il est personnellement attaché. D’abord celui, délicat, de la sexualité avec une réaffirmation du mariage et un refus des contraceptifs, des homosexuels et de l’avortement. Ainsi qu’une référence insistante au célibat. Il n’a traité que de cet ensemble de questions que nous soupçonnons être un piège tendu, peut-être, par la haute bourgeoisie du Brésil et les médias en connivence avec Rome, afin de ne pas avoir à évoquer la justice sociale, les grandes différences entre riches et pauvres et la violence extrême qui existe dans les grandes villes du Brésil et dont il n’a rien dit.
Le deuxième série de thèmes, plus interne à l’Église a consisté à réaffirmer le sens traditionnel du catholicisme. Le problème que nous avons au Brésil c’est que chaque année 1% des catholiques “émigrent” (quittent) l’Église catholique brésilienne, ce qui signifie que chaque année 20 millions de catholiques s’en vont. Lorsque le Pape a eu connaissance de cette crise et dans l’intention de couper court à ce flot d’abandons il transféra la Conférence du CELAM de Quito (Équateur) où elle devait d’abord se tenir, au Brésil. Voilà le problème fondamental. Estimant que tout cela est dû à l’ignorance des chrétiens (brésiliens), le remède qu’il propose est la catéchèse, sur la base de l’édition abrégée du catéchisme, et aussi de prier pour les vocations, tout comme il faut beaucoup prier contre la violence et les mafias de ceux qui l’utilisent. Dans son discours aux évêques il a insisté sur le fait que c’est dans de grandes souffrances que le Christ apprit à obéir, et ceci en s’appuyant sur le texte de la lettre aux Hébreux. La leçon qu’il prodiguait signifiait que, quand bien même les évêques auraient du mal à obéir, ils doivent obéir, ils doivent se maintenir fermement dans l’esprit de collégialité, c’est-à-dire en communion avec Rome, que c’est cela qui est important car l’Église convertit grâce à son rayonnement.
Et lorsqu’il a parlé de la première évangélisation – et là, une rage évangélique m’envahit – il dit qu’elle ne fut pas imposée, qu’elle ne fut pas aliénation et que la récupération des cultures et des religions indiennes est une utopie et une régression. Pour lui, la première évangélisation fut comme un don de Dieu en réponse au désir profond des Indiens qui attendaient l’Évangile. Moi, en revanche, je crois que c’est là une insulte à tous les Indiens qui, de toutes leurs forces, cherchent à restaurer leurs cultures et leurs religions antiques. C’est aussi retirer un appui à toutes les Églises dont la pastorale est indienne. Il faut dialoguer avec ces cultures et apprendre ce qu’elles ont à nous apporter. Dans un de mes articles, j’ai rassemblé des textes mayas et aztèques qui disaient (pardonnez-moi car cela n’a rien à voir avec les Espagnols et les Portugais d’aujourd’hui) « Nous sommes tristes parce qu’ils sont arrivés (les conquérants) pour tuer nos fleurs et émasculer notre soleil. Nous sommes tristes parce que les chrétiens sont arrivés et ne nous parlent que de mort et de tristesse. Ils ne nous parlent que d’enfer. » Dire que ce ne fut pas imposé, c’est faux. Nous savons que le projet de colonisation était un projet global. Selon Oswald Splengler dans La Décadence de l’Occident, ce fut le plus grand génocide de l’histoire du monde. Lorsque Hernan Cortés rentre dans Mexico en 1519, on comptait alors 22 millions d’Aztèques ; en 1600, quelque quatre-vingt ans plus tard, il n’en restait qu’un million. Les autres moururent de maladies, des travaux forcés, des guerres et de faim. Tenir un pareil discours revient à oublier et à manquer de respect à la conscience des évêques qui, durant toutes ces années, ont accompli un énorme travail pastoral et cela ne nous semble pas bon.
Si l’on me demande qu’elle est la phrase marquante du passage du Pape au Brésil, je réponds que je ne me souviens d’aucune. Ce qui reste c’est sa physionomie sympathique, pâlichonne, nette et élégante, avec ses souliers rouges [rires de l’assistance], l’image d’un homme qui a su sourire et qui a lu ses discours en portugais, un portugais que j’ai eu cependant beaucoup de difficulté à comprendre et auquel, je crois, le peuple n’a rien compris parce qu’il lisait sans respecter le rythme des phrases et lorsqu’il parlait, il le faisait en espagnol ou en italien. Je pense, par conséquent, qu’il a été révélateur d’une Église de type traditionnel qui se construit de l’intérieur et n’apporte pas son appui aux communautés. Ses silences ont été révélateurs, car ce qui, pour nous, était important ne l’a pas été pour lui.
[…]
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2967.
– Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
– Source (espagnol) : Redes Cristianas, 30 juin 2007.
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