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DIAL 3222

De l’économie verte à la communalité

Santiago Navarro

mercredi 16 janvier 2013, mis en ligne par Dial

Les deux textes suivant proposent tous les deux une exploration de la notion de communalité, le premier, en partant des débats qui ont eu lieu lors de Conférence des Nations unies sur le développement durable (Río+20), la deuxième, de manière plus analytique. Cet article a été publié par le Programme des Amériques le 24 juillet 2012. L’auteur, Santiago Navarro a fait des études d’économie à l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) et collabore actuellement à la radio de l’Université autonome Chapingo, dans l’État de Mexico.


Lors de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Río+20), réunie en juin 2012 au Brésil, les présidents Evo Morales (Bolivie), Rafael Correa (Équateur) et José Mujica (Uruguay) ont consacré leurs interventions à la dénonciation de ce qu’on appelle « l’économie verte » comme une forme de « nouveau colonialisme ».

« D’un côté, c’est un colonialisme sur la nature qui transforme en marchandises les sources naturelles de la vie et, d’un autre côté, c’est un colonialisme sur les pays du Sud qui portent sur leurs épaules la responsabilité de protéger l’environnement détruit par l’économie capitaliste industrielle du Nord » a déclaré le Président Morales. « Cette soi-disant protection de l’environnement mercantilise la nature en convertissant chaque arbre, chaque plante, chaque goutte d’eau et chaque être de la nature en marchandise soumise à la dictature du marché qui privatise la richesse et socialise la pauvreté ».

Malgré les critiques adressées principalement par les peuples autochtones dans différentes parties du monde aux mesures d’« économie verte » et au développementisme, les trois présidents ont été minoritaires parmi leurs homologues du sommet de Río+20 et la résolution finale a fini par reprendre l’idée d’« économie verte » comme nouveau modèle économique pour « éradiquer la pauvreté et contribuer au développement durable, en maintenant le bon fonctionnement des écosystèmes et de la Terre ».

Consultées, les communautés de la Sierra Norte d’Oaxaca au Mexique se font l’écho des analyses qui voient dans l’économie verte un modèle qui marginalise les initiatives des peuples indiens qui ne croient pas que le développement entendu comme croissance économique exponentielle soit une solution réelle à la crise environnementale et écologique.

Jaime Martínez Luna, Indien zapotèque de Guelatao, président de la fondation Comunalidad A.C. et auteur du livre Ce qu’on appelle communalité, nous a parlé lors d’un entretien de la communalité et du développement.

« Nous sommes contre le développement parce qu’il est linéaire et ascendant. Nous, nous sommes circulaires, nous ne sommes pas le centre, nous ne sommes pas les maîtres de la nature, c’est elle qui est notre maîtresse. La communalité, plus qu’un concept, est une manière de vivre fondée sur l’assemblée, sur les responsabilités de représentation, les festivités, le tequio [1] et la collectivité. C’est une connaissance vécue de l’intérieur qui naît de l’observation de ce que nous faisons quotidiennement. »

Les Nations unies et les promoteurs d’une nouvelle économie plus propre ont travaillé sur de multiples propositions comme alternative à la fin de l’ère du modèle économique qui a encore comme base les hydrocarbures. Cela implique une reconfiguration des nouveaux espaces et des nouvelles temporalités d’un nouveau marché qui cherche à substituer aux hydrocarbures de nouvelles technologies fonctionnant au moyen d’hydrates de carbone et de bioénergies dans le but de réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de pouvoir maintenir la croissance économique.

Il y a différents intérêts impliqués dans ce nouveau type d’économie. D’une part, il y a les investisseurs du capital transnational qui ont investi des millions de dollars dans la reconversion énergétique, le monopole de ce qu’on appelle les technologies propres et le marché rentable des bons de carbone – qui sont des permis de polluer. Les défenseurs de l’environnent qui ont mis en œuvre les politiques vertes émanant de ces organismes internationaux vont dans le même sens.

D’un autre côté on trouve les communautés autochtones établies dans les 10 pays qui concentrent la plus grande biodiversité du monde, qui s’identifient comme partie de la Terre mère et de sa diversité. Par conséquent, plus que protéger leurs ressources, ils travaillent plutôt à la préservation de leurs formes de relations sociales et de leurs savoirs locaux, car il existe une cosmovision pratique qui s’est peu à peu perdue à cause de l’influence de la pensée occidentaliste. Celle-ci leur a appris à se voir comme des individus, à penser de manière linéaire et homogène.

Le territoire de ces communautés autochtones représente la plateforme pour le marché des bons de carbone, par le biais de la création de Parcs nationaux, d’Aires nationales protégées, de Patrimoine de l’humanité, d’Aires de conservation transfrontalières, de Parcs transnationaux – appelés aussi Parcs pour la paix –, de Couloirs écologiques ou biologiques et de réseaux d’Espaces protégés.

Le Mexique figure à la troisième place dans la hiérarchie des pays les plus riches en diversité biologique et l’État d’Oaxaca – majoritairement indien – figure à la première place dans ce pays et fait partie du Couloir biologique mésoaméricain.

Pendant plus de 20 ans, ont été présents en ce lieu des organismes comme le Fond mondial pour la nature (WWF selon le sigle anglais), Conservation internationale (CI), et The Nature Conservancy (TNC) de même que des entreprises comme Televisa, Gamesa, Coca Cola, Novartis, entre autres, qui très souvent ont mené leurs projets sans l’autorisation ou sans l’information nécessaire des communautés d’origine.

Lors d’entretiens, des responsables de biens communaux de la Sierra Mixe et de la Sierra Juárez, ont exprimé leurs points de vue au sujet de l’« économie verte ».

Meliton Jiménez, président de surveillance à Tlahuitoltepec, explique ceci : « Ils fixent le prix et c’est un soutien minime pour les autorités ; les gens sont mécontents parce qu’on est en train de les exproprier d’une partie de leur territoire pour la vente de carbone et ils se demandent de quoi ils vont se nourrir. Nous croyons que de toute façon, nous avons besoin des arbres et de prendre soin de notre environnement. Nous ne connaissons pas assez bien les bons de carbone pour exiger qu’ils paient comme il se doit ; nous les laissons nous donner ce qu’ils peuvent ».

Ulises Díaz, suppléant du secrétaire des biens communaux, signale : « depuis 1985 nous avons décidé de mieux protéger notre environnement et en 2002 les Services environnementaux d’Oaxaca (SAO) et PRONATURA sont venus pour compléter notre travail. Par l’intermédiaire de ces ONG, nous vendons l’oxygène à CHINOIN, à la Fondation Televisa et à Gamesa. C’est l’engagement de tous, mais davantage encore pour les pays qui polluent plus. Ils doivent avoir conscience de leurs responsabilités et nous devons tous y contribuer, pas seulement nous qui avons des forêts. »

Wilfred Mendoza Jiménez, aussi de Tlahuitoltepec, explique le problème posé par les brevets donnés à une communauté et pas à une autre. « Depuis les années 90, il y a eu une présence des organisations des Nations unies. Novartis, en accord avec le gouvernement de l’État et le gouvernement fédéral, a réalisé des bio-prospections. Novartis a fait des études dans le sol de Calpulalpan et ils ont déposé des brevets, les autorisant en échange à construire un laboratoire. Mais nous savons que les microorganismes ne s’arrêtent pas aux limites des territoires et ils se trouvent aussi dans nos communautés, mais ils ne nous appartiennent plus ».

Les différentes communautés de cette région se reconnaissent dans la nécessité de conserver et de protéger le savoir perdu qu’ils ont hérité de leurs ancêtres. Leurs alternatives vis-à-vis du conservationisme et de ce que représente l’économie verte ou le soi-disant développement sont leurs propres formes de vie traditionnelle, communale et collective.

Quelques-uns ont décidé de marquer une distance vis-à-vis du savoir occidental, qui se montre fermé à leurs alternatives, et ils cherchent à récupérer la mémoire historique pour pouvoir identifier quels ont été les motifs de la rupture avec l’esprit des principes communaux.

Martínez Luna explique : « Dans la région, on s’est beaucoup battu contre les concessions des forêts et on est arrivé à stopper plusieurs projets miniers au niveau national. Nous pouvons nous vanter de ce que dans la région il existe un degré élevé de protection de la nature ; l’environnement reste toujours protégé par décision communautaire et il ne nous appartient pas, car, dans nos communautés la propriété privée n’existe pas. Ce qui existe, c’est la possession communale. Des bio-prospections ont été conduites à différents niveaux, les unes autorisées par la communauté, d’autres sans l’intervention de la communauté, il y a un intérêt pour connaître ce que nous avons. N’importe qui peut venir, mais si la communauté ne donne pas son autorisation pas, il n’entrera pas. »

Martínez Luna remarque qu’il faut comprendre et apprécier ce que nous sommes, parce que de cette façon nous apprécions ce que nous avons ; ne pas entrer dans la concurrence, mais poursuivre le partage ; et empêcher l’introduction éhontée des principes individualistes.

Entre l’économie verte et la communalité, les principes et les intérêts sont différents. Dans la première prédomine la croissance et le développement durable, mais la logique reste toujours l’accumulation et le gain du capital qui ne profite qu’à quelques personnes. Dans l’autre, domine le collectif, le communal et le divers. Ce n’est pas qu’ils ne souhaitent pas de meilleures conditions de vie, mais pas de la manière irrationnelle du développement économique qui se maintient grâce au sous-développement d’autres pays et régions.

Aujourd’hui, beaucoup de peuples autochtones d’Amérique latine font connaître leurs modes de pensée et d’action, depuis la communalité que l’on remet en valeur dans la Sierra Norte de Oaxaca, le Mandar Obedeciendo (le Commander en obéissant) et le Nosotros (Nous autres) dans le Sud-Est mexicain, jusqu’au Buen Vivir (Bien vivre) des Boliviens. Ces voix dénoncent la dette écologique non honorée encore des pays du Nord envers ceux du Sud, car ce qu’eux connaissent comme développement n’est autre que le saccage et la destruction des écosystèmes et des peuples autochtones.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3222.
 Traduction de Bernard et Jacqueline Blanchy pour Dial.
 Source (espagnol) : Programa de las Américas, 24 juillet 2012.

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[1Travaux communautaires non rémunérés – NdT.

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