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FRANCE - Comprendre le terrorisme contre Charlie Hebdo

Leonardo Boff

mercredi 14 janvier 2015, mis en ligne par colaborador@s extern@s

Toutes les versions de cet article : [français] [Português do Brasil]

9 janvier 2015.

L’important n’est pas la violence en soi, mais son caractère spectaculaire, capable de s’imposer dans tous les esprits. Un des effets les plus déplorables du terrorisme a été de susciter l’État terroriste que sont aujourd’hui les États-Unis.

Une chose est de s’indigner, à juste titre évidemment, contre l’acte terroriste qui a décimé les meilleurs caricaturistes français. Il s’agit d’un acte abominable et criminel dont l’approbation est impossible pour qui que ce soit.

Autre chose et d’analyser la situation pour chercher à comprendre pourquoi de tels actes terroristes surviennent. Ils ne tombent pas d’un ciel sans nuages. En arrière-plan le ciel est sombre, fait d’histoires tragiques, de tueries massives, d’humiliations et de discriminations, quand il ne s’agit pas de véritables guerres préventives qui sacrifient la vie de milliers et de milliers de personnes.

Dans ce domaine, les États-Unis et en général l’Occident sont les premiers. En France vivent près de 5 millions de musulmans, la majeure partie d’entre eux à la périphérie des villes, dans des conditions précaires. Ils sont fortement discriminés, au point que commence à exister une véritable islamophobie.

Tout de suite après l’attentat dans les bureaux de Charlie Hebdo, une mosquée a été attaquée par des tirs, un restaurant musulman a été incendié et une maison de prière islamique a été également atteinte par des tirs.

Quelle est la signification de cela ? Les prédispositions qui ont provoqué la tragédie contre les caricaturistes, est également présente chez ces Français qui ont commis les actes de violence contre des institutions islamiques. Si Hannah Arendt était vivante, elle qui a accompagné tout le jugement du criminel nazi Eichmann, ferait un commentaire identique, dénonçant cet esprit de vengeance.

Il s’agit de dépasser l’esprit de vengeance et de renoncer à la stratégie d’affronter la violence avec encore plus de violence. Cela crée une spirale de violence interminable, faisant des victimes sans nombre, innocentes pour la plupart.

L’attentat terroriste du 11 septembre 2001 contre les États-Unis est la référence. La réaction du Président Bush fut de déclarer une « guerre infinie » au terrorisme ; d’instituer le « Patriot Act » qui viole les droits fondamentaux en autorisant à emprisonner, séquestrer et soumettre à la noyade les suspects ; créer 17 agences de sécurité dans tout le pays et commencer à espionner tout le monde dans le monde entier ainsi que soumettre les terroristes suspects à Guantanamo à des conditions inhumaines et à des tortures.

Ce que les États-Unis et ses alliés occidentaux ont fait en Irak fut une guerre préventive entraînant la mort d’innombrables civils. S’il n’y avait eu en Irak que des plantations d’agrumes, rien de tout cela ne serait arrivé. Mais il y a là-bas beaucoup de réserves de pétrole, sang du système mondial de production.

Parce qu’elle a détruit les monuments d’une des plus antiques civilisations de l’humanité, une pareille barbarie a laissé derrière elle une marque profonde de rage, de haine et de volonté de vengeance.

Partant de cet arrière-plan, on comprend que l’attentat abominable de Paris est le résultat de cette violence initiale et non celui d’une cause originelle. Cet attentat a pour effet d’installer la peur dans toute la France et en général en Europe. C’est l’effet visé par le terrorisme : occuper l’esprit des gens et les maintenir otages de la peur.

Ce qui avant tout fait sens pour le terrorisme n’est pas d’occuper des territoires, comme le firent les occidentaux en Afghanistan et en Irak, mais d’occuper les esprits. Là se trouve sa sinistre victoire.

La prophétie faite le 8 octobre 2001 par l’auteur intellectuel des attentats du 11 septembre, Osama Ben Laden qui n’avait pas encore été assassiné, s’est malheureusement réalisée : « Les États-Unis ne seront plus jamais en sécurité, ne seront plus jamais en paix ».

Occuper l’esprit des gens, les maintenir dans un état de déstabilisation émotionnelle, les obliger à se méfier du moindre geste ou des personnes insolites, voilà ce que le terrorisme souhaite et là réside son essence. Pour atteindre son objectif de domination des esprits, le terrorisme met en place la stratégie suivante :

1 - les actes doivent être spectaculaires, sinon ils ne provoquent pas de choc général ;
2 - bien qu’ils soient odieux, les actes doivent susciter l’admiration par la sagacité utilisée ;
3 - les actes doivent laisser penser qu’ils ont été minutieusement préparés ;
4 - les actes doivent être imprévus pour donner l’impression qu’ils sont incontrôlables ;
5 - les actes doivent préserver l’anonymat des auteurs (utiliser des masques) car plus ils sont suspects, plus grande est la peur ;
6 - les actes doivent entraîner une peur permanente ;
7 - les actes doivent perturber la perception de la réalité : toute chose inhabituelle peut-être une forme de la terreur. Il suffit que des groupes de jeunes se donnent rendez-vous dans des grands magasins pour qu’immédiatement se projette l’image d’assaillants potentiels [1]

Une façon de définir le concept de terrorisme pourrait être : toute violence spectaculaire pratiquée dans le but de prendre possession des esprits grâce à l’inquiétude et à la terreur.

L’important n’est pas la violence en soi, mais son caractère spectaculaire, capable de s’imposer dans les esprits de tous. Un des résultats les plus déplorables du terrorisme a été de susciter l’État terroriste que sont aujourd’hui les États-Unis. Noam Chomsky cite un fonctionnaire des organes de sécurité nord-américains qui a avoué : « Les États-Unis sont un État terroriste et nous en sommes fiers ».

Pourvu que cet état d’esprit ne prédomine pas dans le monde, particulièrement en Occident. Sinon nous irons vers le pire.


Leonardo Boff écrit dans les colonnes du Jornal do Brasil en ligne. Il est l’auteur du livre Fundamentalismo, terrorismo, religião e paz aux éditions Vozes, Petropolis 2009.

Traduction de Jean-Luc Pelletier.

Texte original (portugais du Brésil) : http://www.brasildefato.com.br/node/30955.

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[1De tels rassemblements de jeunes de classes populaires ont eu lieu récemment dans des grands magasins — à São Paulo en particulier — et ont provoqué beaucoup d’inquiétude et de peur — NdT.

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