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Après/avec Demain, le film… Demain, le capitalisme ?
John Malone
jeudi 23 juin 2016, mis en ligne par
Lundi 20 juin 2016, sites internet de France Télévisions : si l’on clique sur le + dans le menu horizontal en haut de la page, on accède à une série d’autres rubriques : « Les sites », « Les services », « Les événements ». Vous cherchez un DVD produit par France Télévisions et pensez que l’acheter directement sur leur site est sans doute mieux que d’enrichir encore Amazon. Cliquez sur le lien « La Boutique et vous vous retrouverez sur la page de France Télévisions distribution sur le site… d’Amazon.
Bon. La boutique de France Télévisions, maintenant, c’est Amazon.
Vous entrez à l’université en 2016, en France, ou même au Japon, disons, par exemple, à l’Université de Paris 10 - Nanterre (France), à Sciences Po Paris (France) ou à l’Université de Tokyo (Japon). Après avoir payé les frais d’inscription, plus ou moins élevés selon les cas, vous avez le droit à une carte d’étudiant-e et une adresse courriel… En voulant vous connecter à votre compte courriel selon les instructions données sur le site de l’université, vous vous retrouvez sur la page d’accueil de Gmail.
Bon. Votre compte de courriel universitaire est maintenant un compte Gmail, stocké sur les serveurs de Google aux États-Unis. Si vous faites une découverte scientifique importante, utilisez plutôt votre compte La Poste…
On pourrait multiplier les exemples des avancées des nouveaux géants du capitalisme. Mais rien ne vaut un cas concret emprunté à la vie ordinaire, dans un domaine où justement, on pourrait s’attendre à autre chose.
Le film Demain de Mélanie Laurent et Cyril Dion est sorti en salles fin 2015 et a rencontré un succès très important, alors même que le documentaire avait été distribué d’abord en un petit nombre de copies. Il sort à la mi-juin en Vidéo-à-la-demande (VÀD), en DVD et en Blu-Ray et tout le monde s’en réjouit, ou presque. Sur la pochette du DVD, on retrouve l’un des mots d’ordre du documentaire : « Partout dans le monde, des solutions existent ».
Vous voulez savoir où acheter le film en VÀD ou en DVD et vous rendez alors sur le site du film en vous disant qu’en principe, c’est le genre d’endroit où l’on pourra trouver les dernières informations et avoir plus de détails. Pas vraiment de détails supplémentaires si ce n’est, après avoir cliqué sur un petit « FAQ » tout en bas de la page à droite : « Quand sortira le DVD ? Le 6 juin pour la VOD et le 15 juin pour le DVD. Chez France Télévision Vidéos. » Pour le reste, comme il y a deux renvois à la page Facebook du film, vous vous dites que vous obtiendrez peut-être plus d’informations de ce côté-là.
Vous voilà sur la page Facebook du film où vous commencez à chercher les informations qui vous intéressent. Comme vous êtes vieux jeu, vous n’avez pas de compte Facebook et en bas de l’écran, un rectangle blanc horizontal qui occupe un quart de l’espace indique : « Voyez plus de contenu de “Demain Le Film” en vous connectant à Facebook. Envoyez des messages à cette Page, tenez-vous au courant des évènements à venir et plus encore. Si vous n’avez pas de compte Facebook, vous pouvez en créer un pour voir plus de contenu de cette Page. », avec en dessous, deux boutons pour s’inscrire ou se connecter.
Au bout de quelques minutes, le rectangle blanc double de taille et se place juste au centre de l’écran, rendant la lecture impossible. Impossible aussi de le fermer, il n’y a pas de petit croix en haut à droite… Heureusement, en bas du rectangle au centre, on peut cliquer sur un salvateur « Plus tard » – on aurait sans doute préféré un « Jamais » mais ce n’est bien sûr pas une option proposée par Facebook et comme vous n’êtes pas chez vous, il faudra vous conformer à ce que l’on vous propose. Une fois cliqué sur « Plus tard », on pourrait espérer que le rectangle va disparaître, mais non, il revient juste dans le quart inférieur de la page.
Vous continuez votre recherche. Pour l’achat de DVD ou Blu-Ray, il y a du choix : « Il est disponible un peu partout (FNAC, vendeurs de DVD indépendants, certaines librairies, etc.) et évidemment en ligne. Notamment vous pouvez le commander sur le site du Mouvement Colibris, du magazine Kaizen et même sur le site de Pocheco ! ».
Par contre, pour la VÀD, c’est Itunes (Apple) ou « pour les réfractaires à Itunes », un lien vers le site de PluzzVÀD de France TV. Sur le site PluzzVÀD, non accessible depuis l’étranger, le film peut être loué ou acheté, mais seulement dans un format archaïque – le Flash – que tous les acteurs du Web, Apple et Google compris, veulent voir disparaître. On achète donc un film dans un format à moitié-mort – avec donc peu d’espoir de visualiser facilement le film dans 10 ans –, en plus d’être peu flexible et maniable, et encore moins facilement prêtable à votre sœur, grand-père ou petit-fils. Bon.
Conclusion, autant acheter le DVD chez le libraire du coin… au moins, on pourra en faire ce qu’on veut, le voir, le prêter, l’offrir après l’avoir vu, le copier dans son ordinateur pour le voir sur sa télévision alors qu’on n’a pas de lecteur de DVD de salon…
Mais si on habite à l’étranger, qu’on n’a pas de lecteur de DVD – ce qui est le cas de pratiquement tous les ordinateurs portables vendus à l’heure actuelle –, qu’on n’a juste pas envie d’acheter un DVD qui prend de la place – et la poussière –, sans compter l’énergie et les matériaux gaspillés lors de la production – un type d’argument auquel sont sensibles plusieurs personnes ayant posté des commentaires sur la page Facebook du film –, il ne reste plus qu’à choisir entre Charybde et Scylla.
Et pourtant, « partout dans le monde, des solutions existent »… et on regrette un peu que des réalisateurs aussi « alternatifs » et plein d’idées – avec en outre les moyens permis par le succès du film – n’y aient pas pensé, ou ne les aient pas mis en place – après tout, charité bien ordonnée commence par soi-même et il ne suffira peut-être pas de faire pousser des tomates sur nos balcons pour que demain, le monde soit meilleur…
Des idées accessibles…
Par exemple, il existait il y a quelques années, et cela continue à exister dans certains recoins du web, quelque chose nommée « blog » qui permet de mettre facilement en ligne des informations sans avoir de grandes compétences en informatique. On pourrait imaginer un « Demain, le film, le blog » qui aurait aussi permis une certaine interactivité avec les personnes venant sur le site, sans pour autant accroître encore le nombre d’inscrits à Facebook. Combien de personnes, intéressées par le film et décontenancées par l’énorme rectangle blanc empêchant la lecture de la page se sont inscrites à Facebook pour avoir accès aux précieuses informations ? Cette part de responsabilité dans la croissance du monstre doit sûrement peser lourdement sur la conscience des réalisateurs. D’autant que « demain », il est possible qu’il n’y ait plus d’option « Plus tard » en bas du rectangle blanc barrant la page Facebook et que les informations publiées soient désormais accessibles aux seuls « heureux » inscrits à Facebook. C’est dommage d’avoir consacré du temps à alimenter une page qui n’appartient pas à ses rédacteurs, mais à Facebook dont le trafic et les revenus publicitaires sont d’ailleurs l’un des gagnants du succès du film…
Il existe aussi des plateformes permettant la vente ou la location de vidéos dans des formats moins barbares que le Flash, avec par le même coup, des manipulations facilitées : pas besoin de télécharger une application comme pour PluzzVÀD pour ensuite pouvoir télécharger la vidéo etc. Par exemple, sur la plateforme Viméo, pour ne citer que la plus connue – connue notamment par Cyril Dion qui y a un compte –, on paie et on télécharge ensuite en deux clics la vidéo qu’on est libre ensuite de visionner comme bon nous semble et où bon nous semble. C’est simple. Combien d’argent va rapporter à Apple la vente de Demain sur Itunes ?
La domination de Google, Apple, Facebook et Amazon sur des pans croissants des vies de millions d’humains est une réalité – désagréable. Mais on serait en droit d’attendre de réalisateurs ayant passé plusieurs mois à collecter des témoignages d’expériences innovantes aux quatre coins de la planète un peu plus d’imagination créatrice dans leurs propres pratiques.
C’est d’autant plus regrettable qu’un film avec un tel succès pourrait justement, grâce à la dynamique qu’il a générée, donner une impulsion importante à des plateformes de distribution alternatives et faire découvrir au public du film d’autres vecteurs de consommation culturelle, au-delà d’Itunes et Amazon…
Constructeurs et constructrices d’un monde meilleur, encore un effort.
Messages
1. Après/avec Demain, le film… Demain, le capitalisme ?, 24 juillet 2016, 17:25, mis en ligne par maubon
merci pour cet article passionnant et qui ouvre d’autres horizons. il devrait être accessible à davantage de personnes car on oublie trop souvent l’omniprésence de tous ces géants comme Google et Facebook, et leur pouvoir sur notre vie privée.