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DIAL 3330

PARAGUAY - Le gouvernement a les mains libres pour exercer la répression

Gustavo Torres & Paulo López

lundi 15 juin 2015, mis en ligne par Dial

Depuis le coup de force qu’a représenté le vote de la destitution par la Chambre des députés (21 juin 2012) puis par le Sénat (22 juin 2012) du président Fernando Lugo, mouvements sociaux et mobilisations font face à une forte répression. Cet texte de Gustavo Torres et Paulo López, publié sur le site de Noticias Aliadas (8 mai 2015), fait le point sur la situation dans les zones rurales.


Les autorités ont recours à diverses stratégies pour criminaliser les habitants des zones rurales et les paysans qui défendent leurs terres ou en revendiquent la récupération.

Aux revendications d’accès à la terre et à une alimentation adéquate par des organisations paysannes, le gouvernement répond par la répression et la criminalisation de leurs dirigeants.

Dans l’histoire récente de la lutte pour la terre au Paraguay, le massacre de Curuguaty, dans le département oriental de Canindeyú, à quelque 270 km au nord-ouest d’Asunción, au cours duquel moururent 11 paysans et six policiers, représente le cas le plus emblématique de répression et criminalisation. Dans le district de Curuguaty, le 15 juin 2012, un peloton de plus de 300 policiers procéda à l’expulsion sur ordre officiel d’un campement d’un peu plus de 60 paysans qui avaient occupé l’estancia « Campo Morumbi » – les cultivateurs exigeaient la restitution de quelque 2000 ha d’une propriété publique usurpée dans les décennies passées par l’ancien président, Blas N. Riquelme, du parti Colorado (droite). Les faits servirent de prétexte au Congrès pour destituer le président Fernando Lugo (2008- 2012) une semaine après.

Le dirigeant paysan Rubén Villalta a été arrêté en septembre 2012 pour la mort des policiers à Curugaty, alors que personne n’a été accusé de la mort des 11 paysans. Le jugement à l’encontre de 13 paysans accusés dans cette affaire, et qui faisaient face à des accusations d’occupation du bien immobilier d’autrui et d’association criminelle, a été reporté par la justice plusieurs fois.

Villalta qui n’est pas impliqué dans ce procès, a déjà cumulé 29 mois de prison préventive et trois grèves de la faim. Malgré cela Villalta a été condamné en février à sept ans de prison pour sa participation supposée à une autre affaire : la rétention d’un véhicule du ministère public qui, en 2008, enquêtait après la plainte des propriétaires d’une exploitation agricole spécialisée dans la culture du soja dans la colonie Pindó, district de Yasy Cany, département de Canindeyú, au nord-ouest du Paraguay. Sur cette propriété, les paysans protestaient contre les fumigations réalisées par les propriétaires sans prendre la moindre mesure de sécurité. Il a été accusé des délits de « privation illégitime de liberté, violence et violence aggravée ».

Avec le développement du modèle agroexportateur par le gouvernement actuel d’Horacio Cartes, des organismes et des communautés sont déterminées à empêcher la culture et la fumigation d’espèces transgéniques dans leurs communautés. En conséquence, des organismes comme la Fédération nationale paysanne (FNC) – surtout présente dans les départements du nord, de San Pedro, Concepción et Canindeyú, zones d’importante production de soja – s’engagent physiquement pour empêcher déboisements et fumigations.

La réponse du gouvernement consiste à attribuer une protection policière aux entrepreneurs agricoles qui fumigent en violant les lois environnementales. La réglementation sur l’utilisation de produits phytosanitaires établit l’interdiction d’utiliser des « défenses chimiques » à 100 mètres d’établissements humains quels qu’ils soient, de chemins vicinaux ou de cours d’eau et fait obligation de protéger les parcelles traitées par une barrière naturelle d’au moins deux mètres de haut et cinq mètres de large.

Bien que la majorité des parcelles de monoculture ne remplissent pas les conditions requises, le gouvernement déploie des opérations policières spectaculaires pour réprimer et arrêter les paysans. À cela il faut ajouter un appareil judiciaire bien huilé qui maintient en accusation un millier de ruraux qui se sont soulevés contre les dégâts provoqués dans leurs communautés par le glyphosate, qui tue leurs animaux, leurs cultures et a déclenché des cas de malformations et de cancers parmi les personnes exposées aux fumigations et même sur la population urbaine qui consomme les produits traités ou contaminés par ces produits. Ce dernier point a été mis en évidence par des études réalisées par des chercheurs de l’hôpital qui dépend de la Faculté de médecine de l’Université nationale d’Asunción.

Le latifundium

Diosnel Sachelaridi, secrétaire général de l’Organisation de lutte pour la terre (OLT), explique que le principal problème à combattre c’est le latifundium et le modèle dépendant de production de commodities pour l’exportation qui en découle. Par contraste avec ce modèle productif, il met en avant la nécessité d’une politique d’État pour transformer sur place les matières premières afin que le développement arrive pour tous et non pas seulement à une poignée d’agroexportateurs à la tête du commerce du soja et de la viande, au sein desquels l’états-unienne Monsanto, qui est la plus présente dans le pays.

Parmi les stratégies déployées afin de poursuivre les organisations rurales, Sachelaridi mentionne même des méthodes d’« auto-attaque » (en référence à un possible montage destiné à mettre en accusation les paysans qui réclament une parcelle de terre) utilisées par les propriétaires dans le but de lancer des persécutions contre les paysans. Le dernier des épisodes très tendus s’est produit le 28 mars dans l’estancia Pindó, située dans la colonie Naranjito, district Yvyrarovaná, département de Canindeyú, quand, selon la version officielle, quelque 150 paysans – qui demandent la récupération de 5000 ha – ont attaqué un établissement agricole et incendié machines et réservoirs. Les pertes déclarées par l’entreprise étaient évaluées entre 500000 et 1 million de dollars. Dans le cadre de cette affaire, les membres de l’OLT Benigno Coronel, Milciades Coronel et Epifanio Giménez furent mis en accusation aux motifs de vol aggravé, association de criminels, violence grave, menace d’actes punissables et création de risques communs. Sachelaridi a récusé les accusations et fait valoir qu’incendier des bâtiments n’est pas une méthode de lutte pour la terre qu’ils utilisent.

Consulté par Noticias Aliadas, Ramón Medina Velasco, secrétaire du bureau du Parti convergence populaire socialiste (PCPS) – qui fait partie du Front Guasu de l’ancien président Lugo et du Congrès démocratique du peuple (CDP) – insiste sur le fait que le président Cartes accumule des « super pouvoirs » depuis qu’il a obtenu l’approbation de la Loi d’APP (Alliance public-privé), qui l’habilite à privatiser des biens, des ressources et des organismes publics, et depuis la modification de la Loi de défense nationale et de sécurité intérieure qui lui permet de militariser le pays sans avoir besoin de l’accord du Congrès.

Le décret modifiant la Loi de défense nationale et de sécurité intérieure est en vigueur depuis le 23 août 2013, huit jours après l’accession de Cartes à la présidence et lui donne le pouvoir de recourir à la force armée pour accomplir des missions de maintien de l’ordre à l’intérieur du pays sans nécessité de déclarer l’état d’exception et sans l’approbation du Congrès.

La décision de modifier cette loi a été prise par Cartes du fait que, deux jours après son accession, dans une estancia du département de San Pedro (à 300 km au nord d’Asunción), on retrouva morts quatre ouvriers agricoles et un policier qui pendant son « temps libre » travaillait comme vigile armé dans une entreprise d’élevage. L’attaque fut attribuée à l’Armée du peuple paraguayen (EPP en espagnol).

Répression et mort

À la fin du mois de novembre 2014, l’organisation humanitaire Service paix et justice au Paraguay (SERPAJ) – qui observe et analyse les effets sur la société de la militarisation comme politique de sécurité publique – a présenté devant la Commission des droits humains de la Chambre des Députés des témoignages d’habitants de la zone militarisée dans les départements de San Pedro et Concepción qui révèlent la répression et la mort d’habitants aux mains des forces conjointes déployées dans la zone nord du pays.

Le 15 novembre 2014, des membres de la Force d’actions conjointes (FTC en espagnol) – contingent composé de policiers et de militaires créé par décret présidentiel le 24 août 2013 soit-disant pour repousser les groupes armés dans le nord du pays – ont tué Vicente Ojeda, père de famille de 29 ans et habitant de l’asentamiento paysan Arroyito, noyau 4, lors d’une opération qui, ont-ils déclaré – visait à poursuivre des membres de l’EPP et de l’Association paysanne armée (ACA en espagnol). Dans ce type d’opérations, soldats et policiers commettent des abus et détiennent des civils contre lesquels pèsent des soupçons qui, en bien des cas, ne peuvent pas être étayés par le ministère public, qui se voit alors dans l’obligation de suspendre les accusations.

Medina Velazco affirme que « le seul outil dont dispose le peuple face aux abus de l’exécutif sont les mobilisations citoyennes, et en ce sens, le Congrès démocratique du peuple représente un espace unitaire pour canaliser le mécontentement face à la politique antipopulaire et répressive du gouvernement Cartes ».

Dans ce contexte de violence d’État et de fermeture des voies institutionnelles servant à canaliser les revendications, les organisations considèrent que la seule voie est de poursuivre la lutte permanente pour la réforme agraire dans un pays où, selon les données du recensement agropastoral, 2,6% des exploitations s’accaparent 85,5% de la superficie.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3330.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 8 mai 2015.

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