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ÉTATS-UNIS - Condamnation judiciaire de Monsanto
Silvia Ribeiro
mercredi 5 septembre 2018, mis en ligne par
21 août 2018.
Le 11 août 2018, le Tribunal supérieur de San Francisco, aux États-Unis, a condamné Monsanto (désormais propriété de Bayer) à payer 289 millions de dollars en conclusion à la requête présentée par Dewayne Johnson, un jardinier qui a déclaré que la firme était responsable d’avoir provoqué chez lui un cancer en raison de l’usage de deux de ses agrotoxiques combinés avec le glyphosate – le Round Up et le Ranger Pro. Le verdict est très significatif, car non seulement il rend justice à Johnson, mais il a été étayé en outre par l’examen de nombreux documents scientifiques et autres documents secrets de la compagnie, qui déclaraient que le glyphosate est très dangereux et que Monsanto en connaissait effectivement la nocivité.
Il y a plus de 4000 autres plaignants aux États-Unis qui accusent la compagnie d’avoir provoqué des cancers chez eux et leurs familles. L’organisation U.S. Right To Know a créé le site Monsanto Papers pour suivre ces requêtes dont le nombre augmente de jour en jour. Concernant tout ce que cela implique, Johnson a demandé que, par le biais de l’allégation finale de son avocat, le tribunal fasse une déclaration retentissante : que pour Johnson et tous les cas de cancer qui auraient pu être évités la sentence soit le jour du jugement dernier de Monsanto.
Dewayne Johnson a travaillé pour une école à San Francisco à partir de 2012 ; une partie de son travail consistait à employer des herbicides jusqu’à 30 fois par an dans les jardins de l’école. Au bout de quelques mois il a commencé à souffrir d’éruptions cutanées et de malaises, et, en 2014, on lui a diagnostiqué un lymphome non-hodgkinien, un cancer qui affecte le système lymphatique. Dewayne, père deux enfants, a maintenant 46 ans et les médecins ne lui donnent que quelques mois à vivre. Dès les premiers malaises, il a appelé Monsanto pour savoir si ceux-ci avaient un rapport avec l’usage des agrotoxiques. On lui a répondu qu’on le contacterait, ce qui ne s’est jamais produit. Comme il l’a dit au cours du procès « jamais je n’aurais utilisé ces produits dans l’école si j’avais su les dommages qu’ils peuvent occasionner ».
En raison de sa maladie le tribunal a accéléré la procédure de la requête que Johnson a entamée avec ses avocats en 2016. Le jugement, qui vient de tomber, a été rendu en un mois et le jury a débattu durant trois jours. La sentence oblige Monsanto à payer 39 millions de dollars en dédommagements et 250 millions pour des dommages punitifs. La compagnie a annoncé qu’elle ferait appel. Le jugement établit en outre que la compagnie a fait montre de « dissimulation » et de « négligence grave » car elle connaissait les préjudices qu’elle pouvait occasionner.
Les avocats ont présenté des documents scientifiques attestant de la toxicité du glyphosate et des documents secrets de l’entreprise qui montrent que ses responsables et ses experts scientifiques connaissaient les risques d’utilisation de cet agro-toxique. Pour cette même raison la firme Monsanto a payé des scientifiques pour qu’ils rédigent des articles qui contesteraient ou relativiseraient les dangers du glyphosate et elle a entretenu des relations suspectes avec des techniciens de l’Agence de protection environnementale (APE) qui devaient évaluer les risques du glyphosate. L’APE s’est incliné devant Monsanto et a fini par rejeter jusqu’aux conclusions de ses propres scientifiques.
Le glyphosate a été inventé et mis sur le marché par Monsanto en 1974 et a été pour la firme une source importante de profits. Il a été rapidement commercialisé, en tant qu’herbicide à large spectre et la compagnie a obtenu, par ses manœuvres, qu’il soit déclaré modérément toxique, ce qui a persisté jusqu’en 2015, jusqu’à ce que l’Organisation mondiale de la santé le déclare « potentiellement cancérogène ».
L’empoisonnement et la condamnation à une mort prématurée de Johnson ont été, en deux ans à peine, les conséquences de son travail ; cela est certainement le cas de bien d’autres personnes dans des situations similaires. Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé dans le monde, aussi bien sur des cultures agricoles que dans des jardins familiaux, des parcs, des écoles et des institutions. Son utilisation a augmenté de façon exponentielle avec l’introduction des cultures transgéniques tolérantes au glyphosate qui représentent actuellement plus de 80 % des transgéniques cultivés.
Cet usage intensif du glyphosate a généré la résistance de dizaines de mauvaises herbes, raison pour laquelle en plus d’augmenter les doses utilisées, l’entreprise a dû lui adjoindre des surfactants et autres adjuvants pour augmenter son efficacité. Lors du jugement de Dewayne Johnson, il a été déclaré que, en plus de sa toxicité avérée, celle-ci était augmentée par le mélange avec ces adjuvants que les entreprises n’ont pas besoin de déclarer et que la EPA ne prend pas en compte dans ses évaluations des risques.
Paradoxalement, la fin de Monsanto était annoncée avant ce jugement. Bayer a obtenu l’approbation de l’Europe et des États-Unis pour finaliser l’achat de l’entreprise en juin de cette année ; sa première annonce a été que le nom de Monsanto disparaissait précisément en raison de sa mauvaise réputation. Bayer regrette probablement son achat car, depuis l’annonce du jugement de Johnson, ses actions ont déjà chuté de 18 %, ce qui s’est traduit par une perte de près de 18 milliards de dollars. Bayer redoute en outre que déferle aux États-Unis une vague de condamnations du désherbant agrotoxique dicamba, utilisé pour le soja transgénique Xtend, également de Monsanto, et dont la dispersion endommage d’autres cultures.
Silvia Ribeiro est une chercheuse du groupe ETC.
Texte original (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/194844.