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BRÉSIL - Recrudescence de la violence

Euzamara de Carvalho

samedi 5 novembre 2022, mis en ligne par Françoise Couëdel

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10 août 2022 - La violence récurrente au Brésil est le fruit des relations constitutives inégales de la société brésilienne occasionnées par une politique d’autoritarisme, d’exclusion et d’abandon qui touche aux domaines de la race, de la classe et du genre.

La recrudescence de la violence au Brésil a suscité l’inquiétude de certains secteurs de l’État, de la société civile populaire organisée et de la communauté internationale. Les différentes formes de violence qui imprègnent la vie quotidienne dans les zones de conflit des zones rurales et de la ville ont marqué l’histoire des pauvres et l’ensemble de la classe travailleuse. Pour ces classes, la violence se produit comme « réponse » à leurs différentes luttes, lesquelles sont motivées par la négation des dimensions économiques, territoriales, culturelles, raciales, générationnelles, politiques et de genre, et le manque de reconnaissance de leur droit à l’organisation sociale pour exiger le respect de leurs droits.

Les actes de violence contre la population noire, les « sans terre », les Indiens, les ribereños [1], les okupas, les quilombolas [2], les femmes, les religieux, les dirigeants syndicaux et politiques ont un très fort impact. Ce n’est pas un hasard que ce soit dans ces collectifs que s’impose la violence. Leonilde de Medeiros, qui analyse la lutte pour la réforme agraire et la violence du latifundio, déclare : « en finir avec le leadership est aussi prétendre détruire un long processus de préparation, d’éducation, de production de nouvelles perceptions, généré au sein même des mouvements. Ainsi cette violence n’affecte pas une personne en particulier mais un symbole de la résistance même et la voix d’une utopie mobilisatrice ».

La gravité de la menace contre les valeurs démocratiques pour l’intégrité et la paix des citoyens brésiliens est préoccupante et inacceptable de la part des institutions politiques et pour les libertés publiques. Selon le rapport du Collectif RPU Brésil-2022, le Brésil est toujours un des pays les plus dangereux pour les défenseurs des droits humains, en particulier pour les défenseurs de l’environnement et les personnes transgenre.

Au cours des années, la violence a été dénoncée par divers secteurs de la société. Les données concernant les conflits dans les zones rurales, recueillies par la Commission pastorale de la terre (CPT), ont été d’un grand secours pour dénoncer et révéler la violence présente dans la lutte pour la terre et le territoire. En 2021, 1768 conflits ont éclaté dans les zones rurales, motivés par des revendications pour la terre, l’eau et le travail ; dans ces conflits enregistrés, les peuples indiens et les quilombolas ont été les plus affectés.

Selon les données publiées dans le recensement des conflits 2021, il y a eu l’an dernier une augmentation de 75% du nombre d’assassinats lors de conflits ruraux au Brésil. Le nombre de morts occasionnées par ces conflits a augmenté de 11%. La plus atteinte est la région de l’Amazonie où se concentre historiquement le plus grand nombre de conflits et d’assassinats dans les zones rurales.

La violence accrue contre les peuples indiens, suivie de répression, de menaces et de morts a été aussi un grand motif de préoccupation, comme ce fut le cas récent de la mort par balle de Márcio Moreira el 14 juillet, au cours d’une embuscade montée contre cinq Indiens du peuple Guaraní Kaiowá dans la ville de Amambai (MS). Selon le dernier rapport communiqué par le Conseil indien missionnaire (CIMI), l’État du Matto Grosso do Sul concentre le plus grand nombre de morts en 2019. D’un total de 113 homicides, 40 ont eu lieu dans cet État. Selon l’Atlas de la violence de 2021, entre 2009 et 2019, au total ont été commis 2 074 assassinats d’Indiens.

Dans l’espace urbain, on signale la gravité de la violence exercée contre les personnes noires, aggravée par le racisme structurel : en 2019, les personnes noires ont représenté 76% des victimes d’homicides. Dans une perspective générationnelle, il faut souligner la mortalité historique par homicide de jeunes noirs dans le pays : selon une enquête de l’Institut Sou da Paz, entre 2012 et 2019 le taux de mortalité des jeunes noirs a été 6,5 fois supérieur à celui du taux national.

Dans ses dimensions territoriales, la violence de genre, de race, de classe, de génération et de croyances religieuses, comparée à 83 pays, le Brésil a un taux moyen de 4,8 assassinats pour 100 000 femmes, et se situe ainsi au 5ᵉ rang dans le classement mondial des féminicides, selon le Haut commissariat des Nations Unies pour les Droits humains (ACNUDH). Selon l’Atlas de la violence de 2021, 66% des femmes assassinées au Brésil en 2019 étaient noires. Selon l’Atlas de la violence 2021, entre 2009 et 2019, en chiffres absolus, il y a eu 2 074 assassinats d’Indiens.

L’augmentation de la violence conte la population LGBTQI+ a attiré notre attention : selon une enquête de l’Observatoire de morts et de violences contre les personnes LGBTQI+, environ 316 personnes LGBTQI+ (lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels, intersexuels et autres) sont morts au Brésil, victimes de violence en 2021. Dans le rapport mondial sur la transsexualité en Europe on signale que, des 325 assassinats de personnes transgenre recensées dans 71 pays, dans les années 2016 et 2017, un total de 52% – soit 171 cas – ont été perpétrés au Brésil.

Dans le domaine de la violence ayant pour résultat des morts collectives, nous ne pouvons pas oublier, entre autres cas, ceux ce Candelária, Carandirú, Corumbiara, Eldorado, Carajás, Jacarezinho. Quant aux massacres dans les zones rurales, le CPT a recensé, jusqu’en 2021, un total de 57 massacres dans 11 états brésiliens. Dans l’espace urbain, entre 2021 et 2022, 40 massacres ont eu lieu à Rio de Janeiro (y compris le plus récent dans le complexe allemand le 22 juillet) [3].

Cette brève présentation de quelques données concernant la violence physique ayant entraîné la mort n’exclut pas d’autres dimensions de la violence qui sont présentes dans différents contextes, en tenant compte de sa complexité thématique et de sa diversité conceptuelle en rapport avec des situations concrètes. Ces chiffres révèlent la profondeur des violences diverses qui imprègnent la lutte pour le droit à la vie et l’accès aux conditions de vie dignes des groupes sociaux tant en zone rurale qu’en milieu urbain.

Pour ce qui concerne le rôle de l’État brésilien face à ces situations de violences aggravées, les faits récents signalent que son action va dans la direction opposée au respect et à la défense de la dignité humaine. Il joue contre les droits collectifs, en aggravant les situations de violence et en consolidant sa dimension structurelle. En ce sens Minayo et Souza précisent que « les partisans de la force répressive de l’État, faisant fi des causes complexes de la violence, réduisent la conception de ce phénomène à la délinquance et tendent à l’interpréter comme résultat de la conduite pathologique des individus. En même temps, ils radicalisent le rôle autoritaire de l’État pour ce qui est du développement socio-économique des sociétés. Les idées de ces intellectuels se conjuguent avec le sens commun, qui prône la force répressive comme condition à « l’ordre et au progrès ».

Les évènements récents promus par le sommet du gouvernement brésilien actuel qui incite à la violence, imprègne le discours trompeur d’ordre et de progrès, sont un exemple clair de la manipulation de l’État et une atteinte à l’État démocratique de droit. En ce sens, il faut souligner la fonction de la violence comme instrument emblématique de domination économique et politique sur les groupes sociaux dans leurs diverses constitutions actives. La violence se retrouve enracinée dans différents secteurs de la société qui perpétuent cette violence dans ses réalités complexes.

Il faut aussi souligner la violence qui s’étend au processus électoral du Brésil, celle de la violence exercée contre des citoyens brésiliens dans le libre exercice du choix de la représentation politique démocratique. C’est le cas de l’assassinat de Marco Arruda [4]. Je rappelle aussi l’assassinat de Marielle Franco [5]. Ces deux cas ont pour motif de rendre impossible la consolidation d’un projet démocratique d’un pays asservi par l’organisation difficile de luttes collectives. Le processus dénoncé, selon les manifestations publiques, est de rendre irréalisables les libertés assurées par les piliers de la démocratie, qui se traduit par davantage de morts, de poursuites, de menaces et d’intimidations.

L’inquiétude qui nous pousse à affronter la violence dans ce contexte, nous conduit à penser que la violence récurrente au Brésil est le fruit de relations constitutives inégalitaires de la société brésilienne, encouragées par une politique d’autoritarisme, d’exclusion, d’abandon, qui touche les notions de race, de classe et de genre. Dans les formes les plus diverses d’intimidation la violence est utilisée contre toute possibilité pour les défenseurs des droits humains, les interlocuteurs, contre leurs attentes d’application des droits dans une société démocratique et pour la lutte en faveur d’une société démocratique.

Cette réflexion nous engage, pour les faire comprendre, à considérer les points de synergie de la cause et de la reproduction de la violence opposée à la lutte historique des peuples dans une action à court , moyen et long terme. Elle permet aussi de situer ces luttes, constitutives de droits, dans une dimension régionale et dans son interrelation avec les résistances pour l’édification de la paix dans l’environnement latino-américain.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alai.info/violencia.

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[1Populations vivant sur les rives des fleuves – NdlT.

[2« Quilombola » : résident afro-brésilien des communautés, « quilombo » : descendants d’esclaves afro-brésiliens qui se sont échappés des plantations. Ndlt.

[3Le Complexo do Alemão (Gaza do Rio) est un ensemble de treize favelas situées dans le nord de la ville de Rio de Janeiro – NdlT.

[4Militant du PT tué par un partisan de Bolsonaro – NdlT.

[5Le 14 mars 2018. Marielle Franco est une sociologue, femme politique brésilienne, militante féministe des droits humains et LGBT– NdlT.

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