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DIAL 3644
BRÉSIL - « 30 millions de personnes victimes de la faim, ce n’est pas facile d’y remédier ». Entretien avec Michela Calaça, du Mouvement des femmes paysannes
Helena Dias
mardi 31 janvier 2023, mis en ligne par
Après l’élection de Luiz Inácio Lula (30 octobre 2022) et quelques jours avant sa prise de fonction le 1er janvier 2022, l’édition de l’État du Pernambouc du journal Brasil de Fato a interrogé Michela Calaça, du Mouvement des femmes paysannes, sur les perspectives de cette nouvelle période politique. Entretien conduit par Helena Dias et publié le 22 décembre 2022.
Brasil de Fato (Pernambouc) s’est entretenu avec Michela Calaça, dirigeante nationale du Mouvement des femmes paysannes (MMC). Elle énumère les défis auxquels devra faire face le gouvernement Lula pour lutter contre la faim.
À la veille de l’investiture du président élu Luis Inácio Lula da Silva, les prévisions se multiplient autour des priorités du nouveau gouvernement, notamment dans les domaines de la lutte contre la faim et du soutien à l’agriculture familiale, thèmes qui étaient à l’ordre du jour des élections de 2022. Michela Calaça énumère les défis de la lutte contre la faim, en lien avec les politiques de promotion de l’agroécologie et le développement régional ; elle explique de quelle manière le Nord-Est a traité la question.
L’un des principaux sujets de la situation actuelle au Brésil concerne la lutte contre la faim, notamment dans les régions du Nord et du Nord-Est qui connaissent les niveaux les plus graves d’insécurité alimentaire. Quelles améliorations pouvons-nous espérer prochainement, à cet égard ?
C’est une question très complexe car elle touche la production, la distribution, la transformation de l’agriculture et l’accès à la terre. Mais je pense que nous vivons un moment favorable aujourd’hui, malgré la crise économique et environnementale qui perdure. Nous venons d’élire un président qui déclare qu’il est absurde d’avoir faim au Brésil et qu’il fera de la lutte contre la faim une priorité de son gouvernement. Nous avons plus de 30 millions de personnes qui souffrent de la faim, ce n’est pas facile d’y remédier, ce ne sera pas résolu dans les cent premiers jours du prochain gouvernement. Mais nous sommes dans un moment d’espoir où les expériences que nous avons acquises dans le Nord-Est seront fondamentales pour nous permettre de faire face à la faim dans tout le pays.
Le débat sur notre système alimentaire a évolué depuis ces trois dernières décennies. Et l’expansion de l’agroécologie a pris tout son sens dans un contexte où beaucoup souffrent de la faim au Brésil. Est-il possible aujourd’hui de penser l’expansion de ce mode de vie, d’agriculture et de travail ?
Nous parions sur la possibilité d’évoluer et cela va au-delà du système de production. L’agroécologie est un mode de vie, une science et un mouvement en action. Ainsi, affronter la faim en rejetant l’agroécologie, c’est ne pas adopter de mesures structurelles mais développer des actions qui peuvent être remises en cause, par exemple par un coup d’État. L’agroécologie va changer notre logique de production, tout comme la relation entre ceux qui produisent et ceux qui en bénéficient. Nous voulons produire une alimentation saine, sans pesticides, sans violence envers les femmes et sans racisme. Je pense qu’il est très important pour nous de réaliser que l’agroécologie provient d’un regard académique sur les diverses expériences faites notamment par les communautés indiennes et quilombolas. Nous devons transformer notre façon de produire des aliments sains.
On parle d’une insécurité alimentaire qui s’est aggravée avec la pandémie de la Covid-19. Les femmes, majoritairement noires et originaires du Nord-Est, sont les premières impactées par cette situation, par le chômage et la pauvreté, sans compter la surcharge du travail domestique et des soins. Quelles sont leurs principales revendications, aussi bien à la campagne qu’à la ville ?
Nous ne nous organisons pas pour avoir le droit de travailler, mais déjà pour que le travail que nous faisons soit reconnu. Ce travail est historiquement responsable de la préservation de la biodiversité et d’une manière de produire des aliments plus diversifiés, mais il a été rendu invisible. Cela a un impact sur la vie des paysannes qui manquent ainsi d’autonomie économique, c’est comme si tout ce qui est produit dans leur unité de production appartenait à l’homme.
Et il y a aussi une relation entre les femmes de la campagne et celles de la ville, c’est ce que nous construisons dans le MMC depuis quelques années maintenant, car nous avons pris conscience du besoin d’être un mouvement de femmes paysannes lié au mouvement des femmes féministes des villes.
En 2020, a été créé le Consortium du Nord-Est, une organisation politique et de gestion composée des États de la région. Comment évaluez-vous l’importance du consortium pour le développement du Nord-Est et pour les sujets dont nous parlons ?
Jusqu’au 31 décembre, nous avons eu un président qui était un ennemi de notre région. Avant le coup d’État de 2016 [1] nous avions un débat autour du développement territorial et du développement régional. Nous envisagions ce que nous avons toujours appelé le développement régional comme un développement territorial et nous essayions d’aller de l’avant. Le Nord-Est est une région diversifiée, qui présente une grande diversité de climats, de sols, de biomes, de populations et de cultures. Nous étions dans ce processus quand le coup d’État a capturé l’État pour mettre fin aux politiques sociales et ne donner de l’argent qu’aux détenteurs du capital. Par la suite, malheureusement, nous avons eu une élection qui a éliminé le candidat démocrate et le vainqueur a été un fasciste, génocidaire, peu importe comment on veut bien l’appeler.
Le Consortium du Nord-Est est une solution concrète mise en place par des personnes engagées pour faire en sorte que notre région continue à avancer, car si tout dépend d’un gouvernement fédéral du genre de celui qui arrive à échéance, il est très difficile de bénéficier de politiques de santé, d’éducation, d’aide sociale ou d’autres politiques publiques. C’est pour remédier à cela que le Consortium du Nord-Est a été mis en place pour dialoguer et échanger au sujet des expériences régionales.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3644.
– Traduction de Pedro Picho pour Dial.
– Source (espagnol) : Brasil de Fato Pernambouc, 22 décembre 2022.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, le traducteur, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Il s’agit de la destitution de la présidente Dilma Roussef, remplacée par le vice-président Temer pour 2 ans, et de l’élection de Bolsonaro battant Fernando Haddad, substitut de Lula, alors incarcéré pour l’empêcher de se porter candidat – note du traducteur.