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DIAL 2962

MEXIQUE - André Aubry est mort

Jacques Lonchampt

lundi 1er octobre 2007, mis en ligne par Dial

Dial publie ici en guise d’hommage un texte rédigé par Jacques Lonchampt qui fait retour sur la vie d’André Aubry, grand défenseur des droits des populations indigènes du Chiapas et collaborateur de Dial.


L’ancien directeur de l’INAREMAC (Institut d’anthropologie pour la région maya), André Aubry est mort le 20 septembre dans un accident de la circulation sur la route qui relie San Cristobal de las Casas à Tuxla-Guttierez, au Mexique. Son décès suscite une vive émotion dans l’État du Chiapas où il a joué un rôle important pour les populations indiennes depuis 1974.

Né en France en avril 1927, après des études d’ethnosociologie à l’Institut oriental de Beyrouth et à la Sorbonne, ainsi que de liturgie à l’Institut supérieur de liturgie de Paris, prêtre du diocèse de Nanterre, il est vicaire à Saint-Martin de Meudon de 1961 à 1969. Collaborateur de Concilium et de nombreuses revues catholiques, il est invité à faire des cours à l’Institut de pastorale liturgique du CELAM à Medellin (Colombie) de 1969 à 1972. A l’Assemblée des évêques latino-américains en 1968, il rencontre Don Samuel Ruiz, une des personnalités éminentes de l’Église du Mexique, qui lui demande en 1974 de fonder dans son diocèse, à San Cristobal, un « Institut d’anthropologie pour la région maya ».

Don Samuel, venu du nord du Mexique, a eu la révélation de la société indienne des Mayas, réfugiée dans les montagnes, très fortement structurée, à la riche tradition en partie détruite ou cachée ; il veut rassembler les techniciens du développement, pour aider les Mayas à retrouver leur autonomie et leur personnalité. André Aubry y fera merveille, développant de nombreux programmes d’actions avec des spécialistes européens et américains [1]. Mais il comprend que, sur le terrain, il faut aussi découvrir les richesses des hommes avec qui l’on vit, de la civilisation avec laquelle on dialogue. Il se rend compte qu’on a « dépouillé le Chiapas de sa mémoire », que ce pays qui est un « paradis culturel », avec ses ruines antiques et ses trésors architecturaux, est aussi un champion de l’analphabétisme. Ainsi à côté des programmes d’agriculture, de santé, de droit, de soutien aux prisonniers, il instaure un atelier tsotsil pour fournir à l’une des langues principales du Chiapas, non écrite, une transcription graphique, un dictionnaire, un embryon de littérature ; il crée avec Angelica Inda le département des archives de l’évêché de San Cristobal, ainsi qu’une banque de données, qui font renaître la mémoire oubliée de son peuple ; il participe à la réhabilitation des monuments religieux de San Cristobal, etc. Mais surtout, loin de se confiner dans des laboratoires d’études avec les personnalités qu’il a fait venir de pays lointains, il circule inlassablement sur des pistes souvent effroyables pour entretenir un rapport direct et constant avec les populations mayas des « Altos ».

Cette action n’ira pas sans difficultés dans un pays en proie à des luttes sévères. La personnalité d’André Aubry, sa prise de parti pour la population « indigène » irrite profondément la classe dirigeante du pays. Comme son ami Don Samuel, il se trouvera fréquemment dans des situations dangereuses, espionné, menacé, au point de devoir s’enfuir pour plusieurs mois.

La situation s’aggrave à partir de 1994 et du soulèvement zapatiste du sous-commandant Marcos. André Aubry participe à la commission de réconciliation, présidée par Don Samuel, qui aboutit aux « Accords de San Andrés » entre le gouvernement du Mexique et l’armée zapatiste de libération [2]. Mais, sur le terrain, les événements sont de plus en plus dramatiques, avec, en 1997, un attentat contre Don Samuel, qui y échappe par miracle, et surtout le massacre d’Acteal, dans la paroisse de Chenalhô, dont le curé, Michel Chanteau, est expulsé vers la France. Don Samuel juge prudent de mettre tin à l’activité de l’INAREMAC.

Cependant, au Mexique, les événements prennent souvent un tour inattendu. Les dernières années d’Aubry seront plus calmes ; son action sera moins visiblement « provocatrice », alors qu’il participe en profondeur aux activités d’éducation des villages zapatistes... Lors d’une rencontre hispanique et indienne au Chiapas en 2005, les écrivains, journalistes et poètes de l’État publient un livre unanime : Jamais ne se taira la parole, hommage à André Aubry.

Mais déjà, le 20 novembre 2001, le gouvernement de l’État du Chiapas avait décerné à André Aubry son « Prix des Sciences de l’État » avec les motifs suivants, qui resteront son meilleur titre de fierté : « En ses 28 années de résidence dans l’État du Chiapas, il a voué sa vie au développement de l’anthropologie appliquée (...) à travers une recherche de coparticipation avec et pour le peuple indien. (...) Il a influé sur la forme de travail d’une nouvelle génération d’anthropologues au Chiapas (...) avec la préoccupation de traduire les résultats des recherches dans les langues indiennes, promouvant ainsi la reconnaissance des ethnies et le caractère multiculturel de l’État. Sa connaissance des différents aspects de la réalité chiapanèque a été un apport important dans la lutte pour la reconnaissance des droits des peuples indiens. »

Nul ne peut dire aujourd’hui ce qui restera de l’œuvre d’André Aubry au Chiapas et des graines qu’il y a plantées, mais on gardera le souvenir d’un homme infatigable, prodigieusement intuitif, à l’enthousiasme exceptionnel, défrichant sans relâche des pistes nouvelles, qui fut, comme dit son ami André Rosat « un lecteur exceptionnel des Signes des temps », selon l’expression prophétique de Jean XXIII.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2962.

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[1Cf. Le Monde des 12, 13 et 14 août 1981.

[2Une des dernières publications d’André Aubry a été, en 2003, celle du texte des accords de San Andres, traduits, sous sa direction, dans les dix langues indiennes du Mexique.

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