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DIAL 2960

BRÉSIL - Les nécrocombustibles

Frei Betto

lundi 1er octobre 2007, mis en ligne par Dial

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Frei Betto, dominicain brésilien, prend ici le contrepied des clichés sur les agrocarburants souvent présentés comme une solution aux problèmes de l’approvisionnement énergétique alors que les réserves de pétrole s’amenuisent. Traduction publiée par À l’encontre le 30 juillet 2007.


Le préfixe grec « bio » signifie « vie » ; celui de « nécro » signifie « mort ». Le combustible extrait de plantes apporte-t-il la vie ? A l’époque de mon école primaire, l’histoire du Brésil se divisait en cycles : celui du bois, de l’or, de la canne à sucre, du café, etc. Cette classification est loin d’être stupide. Maintenant nous sommes en plein cycle des agrocombustibles, appelés de façon incorrecte des biocombustibles.

Ce nouveau cycle provoque l’augmentation des prix des aliments, déjà dénoncée par Fidel Castro. Une étude de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), parue le 4 juillet 2007, indique que « les biocombustibles auront un fort impact sur l’agriculture entre 2007 et 2016. ». Les prix agricoles resteront au-dessus de la moyenne des dix dernières années. Les céréales devraient coûter entre 20 et 50% de plus. Au Brésil, la population a payé trois fois plus pour les aliments au cours du premier semestre de cette année, si l’on compare à la même période de 2006.

Nous allons nourrir des voitures et affamer des personnes. Il y a 800 millions de véhicules automobiles dans le monde. Le même nombre de personnes survit en état de dénutrition chronique. Ce qui est inquiétant c’est le fait qu’aucun des gouvernements enthousiasmés par les agrocombustibles ne remette en question le modèle de transport individuel, comme si les bénéfices de l’industrie automobile étaient intouchables.

Les prix des aliments grimpent déjà à un rythme accéléré en Europe, en Chine, en Inde et aux États-Unis. L’agflation – l’inflation des produits agricoles – devrait atteindre, cette année les 4% aux États-Unis, en comparaison avec les 2,5% d’augmentation en 2006. Là-bas, comme le maïs est presque entièrement destiné à la production d’éthanol, le prix du poulet a augmenté de 30% au cours des douze derniers mois. Et le lait devrait augmenter de 14% cette année. En Europe, le beurre a déjà augmenté de 40%. Au Mexique, il y a eu une mobilisation populaire contre l’augmentation de 60% du prix des tortillas, faites à partir de maïs.

L’éthanol made in USA, produit à partir du maïs, a fait doubler le prix de cette céréale en une année. Non que les Yankees aiment tellement cette céréale (à part le popcorn). Mais le maïs constitue une composante essentielle de la nourriture des porcs, des bovins et des poulets, ce qui élève le coût d’élevage de ces animaux, renchérissant par la même occasion les dérivés tels que la viande, le lait, le beurre et les œufs.

Comme ce qui commande aujourd’hui c’est le marché, il se produit aux États-Unis ce qui se reproduit au Brésil avec la canne : les producteurs de soja, de coton et d’autres biens agricoles abandonnent leurs cultures traditionnelles pour le nouvel « or » agricole : du maïs par-ci, de la canne par-là. Cela se répercute sur les prix du soja, du coton et de toute la chaîne alimentaire, en conséquence du fait que les États-Unis sont responsables de la moitié de l’exportation mondiale de céréales.

Aux États-Unis, il existe déjà des lobbies de producteurs de bovins, de porcs, de caprins et de volaille qui font pression sur le Congrès afin que celui-ci réduise les subsides aux producteurs d’éthanol. Ces producteurs préfèrent que l’on importe l’éthanol du Brésil, à base de canne, de façon à éviter que les prix de l’alimentation n’augmentent encore plus.

La dénutrition menace aujourd’hui 52,4 millions de Latino-Américains et de Caribéens, ce qui correspond à 10% de la population du Continent. Avec l’expansion des surfaces de cultures tournées vers la production d’éthanol, on court le risque que celui-ci se transforme, de fait, en nécrocombustible, en prédateur de vies humaines.

Au Brésil, le gouvernement a déjà sanctionné cette année des fazendas  [1] dont les cannaies [2] dépendent d’un travail « esclave ». Et tout indique que l’expansion de ce type de labeur dans le sud-est repoussera la production de soja vers l’intérieur de l’Amazonie, provoquant la déforestation d’une région qui a déjà perdu, en surface de forêt, l’équivalent du territoire de 14 États d’Alagoas [3].

La production de canne au Brésil est historiquement connue pour sa surexploitation du travail, la destruction de l’environnement et l’appropriation indue de ressources publiques. Les usines se caractérisent par la concentration de terres pour la monoculture tournée vers l’exportation. On utilise en général de la main-d’œuvre immigrante, les « bóias-frias » qui ne jouissent d’aucune protection légale du travail. [4]. Ces travailleurs sont (mal) rémunérés à la quantité de canne coupée, et non au nombre d’heures travaillées. Et même avec ce système, ils n’ont aucun contrôle sur le pesage de ce qu’ils produisent.

Poussés par la nécessité, certains arrivent à couper 15 tonnes par jour. Un tel effort cause de sérieux problèmes de santé, allant des simples crampes aux tendinites et affectant la colonne vertébrale et les pieds. La majorité des engagements se fait par des intermédiaires (travail tertiarisé) ou par des « gatos » [5], qui enrégimentent le travail esclave ou semi-esclave. [6]. Dans les années 1850, un esclave avait coutume de travailler dans la coupe de canne pour 15 à 20 ans. Aujourd’hui, le travail si intensif a réduit ce temps à 12 ans en moyenne.

L’enthousiasme de Bush et de Lula pour l’éthanol fait que les propriétaires d’usines des États d’Alagoas et de São Paulo se battent pied à pied pour chaque lopin de terre du « Triângulo Mineiro » [7]. Selon le reporter Amaury Ribeiro Junior, en moins de quatre ans, 300 mille hectares de cannes ont été plantés sur d’anciennes surfaces de pâturages et d’agriculture. L’installation d’une dizaine d’usines nouvelles, près d’Uberaba [8], a généré la création de dix mille emplois et a fait exploser la production d’alcool dans cet État, production qui est passée de 630 millions de litres en 2003 à 1,7 milliard cette année.

La migration de main-d’œuvre non-qualifiée en direction des cannaies – vingt mille bóias-frias par année – produit, en plus de l’augmentation du nombre des favelas, celle des assassinats, du trafic de drogue et de la traite des enfants et des adolescents destinés à la prostitution.

Le gouvernement brésilien a besoin de se libérer de son syndrome du Colosse, de la fameuse toile de Goya [9]. Avant de transformer le pays en une immense cannaie et de rêver de l’énergie atomique, il devrait prioriser les sources d’énergie alternative abondantes au Brésil, comme l’énergie hydraulique, solaire et éolienne. Et s’occuper de donner à manger à de pauvres affamés avant d’enrichir les « héroïques » propriétaires d’usines.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2960.
 Traduction et notes de À l’encontre. Traduction revue par Dial.
 Source : À l’encontre, 30 juillet 2007.

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[1Grandes propriétés.

[2Plantations de canne à sucre.

[3C’est l’un des neufs États du Nordeste, d’une surface de 27.818,5 km2 et dont la capitale est Maceió.

[4Les – littéralement – « bouffes froides » ; ce sont des travailleurs ruraux « volants », des journaliers, habitant dans les bidonvilles ou des sans-terre.

[5« Chats ».

[6Ce « gato » est une sorte de recruteur, qui est à la fois chef d’équipe et interlocuteur du donneur d’ouvrage. Il est souvent considéré par les travailleurs, à tort, comme un protecteur…

[7C’est l’une des régions les plus développées de l’État de Minas Gerais - MG.

[8État de MG.

[9Œuvre symbolisant la guerre qui date de 1808-1810.

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